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O vieillesse ennemie !


L’allongement sensible de la durée de vie pose déjà de nombreux problèmes, notamment dans l’appréhension que nous avons des catégories d’âge, figées depuis des siècles. A partir d’un recueil de conférences, d’un roman et d’un documentaire télévisé, l’auteur analyse quelques uns de ces problèmes.

Arriverait-on enfin à faire de la vieillesse un thème tout bonnement humain et donc susceptible, en tant que tel, de donner à penser pour tenter de mieux vivre ?

— La fondation Eisei – dépendante du laboratoire éponyme – publie (puf 2005) Le grand âge de la vie un recueil de deux conférences et d’un entretien suivis de plusieurs commentaires. Il y est question de la vieillesse d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui et des problèmes matériels, éthiques, culturels que pose à nos sociétés l’allongement de la vie.

— En 2006, un roman d’Héléna Marienské intitulé Rhésus (éditions P.O.L.) prend aussi la vieillesse pour thème mais sur un mode caricatural, voire burlesque qui n’est pas sans rappeler le film de Marco Ferreri La grande bouffe – et qui, comme lui, donne à penser.

— Et fin janvier 2007, Arte proposait Les mystères de Monte Sana, un documentaire-fiction de Leo Singer et Nicolas Wadimoff, qui mêle information scientifique d’aujourd’hui et projection dans le futur : la culture des cellules-souches d’un organisme promet en effet aux corps usés (à condition qu’ils soient assortis de portefeuilles bien garnis) des lendemains renouvelables – et qui chantent...

Un rapide inventaire de ces trois documents nous permettra peut-être de dresser un état des lieux et de dégager quelques questions clés de la broussaille des difficultés théoriques et pratiques entraînées par le grand âge aujourd’hui – et plus encore demain et après-demain .

LE GRAND AGE DE LA VIE

I) De la vieillesse magnifiée à la vieillesse marginalisée et même expulsée du monde des vivants :

Tel est l’intitulé à l’ancienne -parfaitement explicite- du premier texte, celui de la conférence de l’anthropologue Maurice Godelier. Il apparaît d’emblée que la vieillesse n’est plus ce qu’elle était.

Dans une ethnie de Nouvelle-Guinée – les Baruya, telle que l’a observée Maurice Godelier autour de 1960, on devient vieux vers la cinquantaine. Aristote faisait à peu près la même estimation au 4e siècle avant notre ère. Pour l’un comme pour les autres, dépasser 70 ans, c’est se muer en monument historique. Le 4e âge d’aujourd’hui et surtout de chez nous est un produit du progrès technique et social. On comprend dès lors que la présence massive du 3e âge et l’augmentation régulière du 4e âge déséquilibrent le paysage social et donnent à la vieillesse une inquiétante visibilité. L’anthropologue se doit de rappeler que le statut des personnes âgées varie dans l’espace et dans le temps selon la totalité sociale du lieu et de l’époque, totalité constituée, par « des rapports politico-religieux qui débordent et traversent les rapports de parenté ». L’ étude de sociétés différentes, en mettant en lumière les variétés et les variations de ce statut- doit contribuer à l’élaboration d’une anthropologie de la vieillesse qui n’en est qu’à ses balbutiements. Il faudrait d’abord établir une « matrice des transformations et des différences » du traitement du grand âge à travers l’histoire avant d’en arriver là où nous en sommes.

C’est dire qu’il ne faut pas chercher dans les sociétés traditionnelles, quelle que soit leur organisation (prédominance du lignage patrilinéaire ou matrilinéaire ou division en classes) un modèle de traitement du grand âge. En tant que gardiens du patrimoine culturel, d’intermédiaires privilégiés entre le monde des vivants et celui des ancêtres, les vieillards ont souvent une place de choix dans les sociétés dites primitives. Et il faut comprendre que l’abandon ou le meurtre des vieux dans certains groupes n’est pas une pure et simple élimination. Avant d’être abandonné sur la glace, le vieil Inuit a choisi la femme enceinte porteuse de l’enfant dans lequel il se réincarnera ; ailleurs, la victime deviendra l’ancêtre tutélaire... Croyances et comportements tendent à maintenir la cohésion organique du groupe, dans la mort comme dans la vie. C’est cette cohésion qui est mise à mal dans nos sociétés : l’allongement de la vie révèle brutalement la présence massive de la vieillesse – présence génératrice de ruptures et de désordres dont il faut d’abord – modestement – à faire le constat.

II) La personne âgée dans les monothéismes

Le monothéisme, dit Joseph Maïla, inscrit d’emblée la totalité de l’existence humaine dans l’enveloppement d’une volonté divine si bien que s’unissent « dans l’âge d’un homme le temps de l’homme et le temps de Dieu ». La vieillesse ne saurait donc en être exclue. Le regard sur la personne âgée dans chacun des trois monothéismes est plus affaire de nuances que de différences profondes :

— Dans le judaïsme, s’il est ordonné d’honorer père et mère, la vieillesse n’a pas de statut défini. Pourtant, ce sont souvent des vieillards qui, volens nolens, réalisent les desseins de Dieu sur le peuple qu’il a élu. Ainsi Abraham et la lignée des patriarches. Il y a une sagesse biblique liée à l’âge (Dieu se sert de la longue durée qu’il accorde à des individus élus pour agir dans le monde qu’il a créé) mais totalement définie par l’accueil de la volonté de Dieu. Sarah peut enfanter à 90 ans, Abraham mourir paisiblement à 175 ans « rassasié de jours »...

Le christianisme semble plus « jeuniste » : Jésus -sauveur du monde- meurt jeune et si la tradition en fait le descendant -pauvre- de David, c’est pour exalter la filiation divine plutôt que le lignage humain. La célébration de sa naissance et de sa résurrection sont les temps forts de la liturgie chrétienne. Désormais la vie est à lire dans la lumière de l’éternité. Ce qui fait la dignité de la vieillesse, c’est qu’elle rapproche la vie de l’éternité.

— Le Coran, – même si les aléas de l’histoire ont entretenu ou réhabilité les hiérarchies tribales en terres d’islam –, tend à présenter la communauté des croyants comme fondement de l’organisation politique et sociale. Dans une telle perspective, aucun âge n’est privilégié. On comprend qu’après l’Evangile, le Coran ne fasse que reprendre le commandement biblique : Tu honoreras ton père et ta mère.

Dans les monothéismes, c’est donc bien le rapport de l’homme à Dieu, qui régule les rapports entre les générations, quelles que soient par ailleurs les particularités politiques et économiques des sociétés considérées. Il revient aux lois et aux coutumes de se conformer au commandement divin...

J’ajouterai que cela se traduit, chez juifs, chrétiens et musulmans de stricte obédience, par une sacralisation de la vie, laquelle devient ainsi intouchable. Que naissent pour mourir bien vite les enfants du sida ! Que survivent malades condamnés et vieillards accablés de jours qui adressent en vain aux hommes l’humble prière que Moïse adressait à Dieu :

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre...

III) Vieillesse et longévité : comment penser le procès de la vie ?

Le philosophe François Jullien part d’un constat : la pensée occidentale, de l’antiquité grecque à Kant, si elle a vu la vieillesse comme état – lamentable par ci, vénérable par là – a été incapable de la penser comme procès immanent à la continuité de la vie. Même si Platon pose la question du passage de l’être au non-être, même si Aristote s’applique à situer le changement dans le mouvement qui va d’un commencement à une fin, ni l’un ni l’autre n’arrivent à penser la transition dans un processus aux limites indéfinissables. Avec la pensée grecque, la philosophie occidentale reste longtemps arrimée à l’idée de l’être-substance qui supporte le changement mais ne change pas ; selon le principe de non-contradiction, il n’y a pas de moyen terme entre l’être et le non-être. Seul Montaigne fait avec finesse le constat du vieillissement comme affaiblissement progressif qui conduit assez doucement la vie vers la mort, laquelle est donc son achèvement.

La pensée chinoise, elle, parce qu’elle voit la vie comme inscrite dans le mouvement et la continuité du monde, s’applique à comprendre « les transformations silencieuses ». Toutes se rattachent à deux processus complémentaires de modification/transformation et de modification/continuation. Le premier couple exprime le délestage, le renouvellement, le deuxième l’engrangement et la durée – et l’un ne va pas sans l’autre. Ainsi va le monde dans la succession des saisons. Ainsi va la vie dans la succession de ses âges inscrite dans la respiration du monde. La vieillesse est détente, relâchement avant le repos de la mort dit le philosophe taoïste Zhuangzi contemporain d’Aristote. Quelque deux siècles avant lui, le grand Confucius voyait dans la vieillesse une sorte d’accomplissement par l’adhésion enfin pacifiée du désir à l’ordre du monde, le rite étant l’effectuation visible de cet ordre dans l’activité humaine.

Ces deux images de la vieillesse, loin d’être antagonistes, suggèrent une même économie de la longévité par une bonne gestion de ce souffle énergétique qui constitue notre capital de vie. Il s’agit, non pas comme tend à le faire la pensée technicienne de l’occident, de plier la vie à des modèles préfabriqués de santé, de jeunesse, mais de « nourrir la vie » comme le fait le bon jardinier pour les plantes de son jardin. La médecine chinoise, si elle s’efforce de traiter la maladie, est avant tout soucieuse de maintenir la santé par une sage utilisation des énergies vitales jusqu’à leur extinction dans la mort. François Jullien souligne – avec une évidente satisfaction – qu’un texte de Kant, dans Le conflit des facultés, s’élève contre la médicalisation des troubles de la vieillesse : seule une volonté attentive peut être capable de gérer raisonnablement l’usage des dernières ressources de la vie. Alors que l’on a vu dans ces propos le signe d’une pensée sénile, François Jullien y voit au contraire l’expression d’une pensée toujours en éveil, capable de se mettre à l’écoute du corps. La pensée kantienne, quintessence du rationalisme occidental, rejoint ainsi la sagesse chinoise éminemment pragmatique. L’intelligence abat les frontières d’espace et de temps.

C’est pourtant par une interrogation que François Jullien conclut son exposé de l’exhortation chinoise à nourrir la vie : « Mais est-ce en termes de rendement (et de capital) que nous voulons aborder la vie » ?

Question qui s’adresse aux successeurs de Mao comme à la descendance -peut-être dévoyée- de Kant.

IV) Aperçus

Ce titre regroupe six interventions qui jettent leur coup de sonde dans le marigot du grand âge...

1)Claudine Attias-Donfut, sociologue, s’inquiète du refus du vieillissement par ceux qui vieillissent, de son coût économique et social, les besoins d’assistance augmentant avec l’âge alors que les liens sociaux se distendent, ce qui fait des vieux des immigrés dans le temps. Pourtant, « le lien intergénérationnel » reste « le lien vital » par excellence : c’est par lui qu’une génération s’affirme en s’opposant aux générations précédentes et que l’humanité s’assure une sorte d’immortalité par la succession des générations et la transmission de l’héritage culturel.

2)Marie de Hennezel écrivain et femme de terrain (elle a travaillé à Paris dans le premier centre de soins palliatifs) rappelle les deux visages antagonistes de la vieillesse : décrépitude physique et mentale, sérénité rayonnante. Avec l’allongement de la vie, la prolifération de maisons de retraite-mouroirs, c’est la première image qui tend à l’emporter. Il y a urgence à traiter le grand âge de façon à sauvegarder son humanité.

3)Serge Koster, enseignant et écrivain, reprend la même distinction pour suggérer que le vieillard est susceptible d’exercer une fascination érotique quand il figure la sagesse, ou la puissance du talent... Sont donnés des exemples, masculins évidemment (le Booz de la bible, Picasso...) mais on pourrait citer la femme de l’écrivain Stevenson, Marguerite Duras...

4)Serge Marti, journaliste, souligne quelques effets économiques de l’allongement de la vie : d’une part, en tant que retraité aux revenus assurés, le vieillard en bonne santé est un consommateur qui joue un rôle positif dans l’équilibre économique ; d’autre part l’allongement de la vie entraîne des soins de santé et d’assistance qui grèvent lourdement les budgets sociaux. C’est de façon plutôt inquiétante que le pouvoir gris modifie l’aspect et le fonctionnement de nos sociétés.

5)Robert Misrahi, philosophe, plaide pour un dynamisme du grand âge lequel requiert le recours aux techniques bio-médicales susceptibles de maintenir la santé physique et mentale et une pédagogie du temps qui permette à la conscience d’assumer activement la plénitude et la durée du présent au lieu de se perdre dans le regret du passé ou l’angoisse d’un manque d’avenir. Durer pour mieux penser et pour mieux vivre. Le vieux rêve philosophique de sagesse est à portée de temps...

6)Bertrand Vergely commente la déclaration d’un mystique juif : « Il est interdit d’être vieux ». C’est qu’il ne faut pas confondre la vieillesse, le vieillissement et le fait d’être vieux.

La vieillesse est un âge de la vie -inéluctable. Le vieillissement est le processus qui y conduit, bénéfique quand il est maturation de qualités (le vin vieux), maléfique quand il est dégradation, accentuation d’un défaut (un jeune fou peut être aimable, un vieux fou est pitoyable, voire répugnant). Le fait d’être vieux est une attitude indépendante de l’âge et qui ne connaît pas le vieillissement. On est vieux à n’importe quel âge quand on est figé dans une vision négative de la vie.

Apprendre à vieillir sans être vieux : telle serait la tâche urgente – à la fois sociale et individuelle – induite par l’allongement de la vie. Conclusion (partielle et provisoire)

Chacun des textes dont je viens de résumer le contenu dit quelque chose de la vieillesse à partir d’un domaine de réflexion et/ou d’activité sociale mais leur juxtaposition ne fait qu’indiquer le grouillement inquiétant des problèmes que pose déjà et que posera de plus en plus l’allongement de la vie. C’est grâce à un même progrès médico-social que l’enfant se fait rare par chez nous et que le vieillard prolifère (alors qu’en nombre de régions d’Afrique où sévit le sida, des hordes d’enfants survivent, assistés tant bien que mal par des grands-mères épargnées par l’épidémie). En Europe, ma génération est la première à arriver au portillon de la mort en foule compacte et traînante d’octogénaires et de nonagénaires et ce, au moment où la civilisation technico-consumériste se découvre mangée aux mites : évidence de la détérioration de notre planète, méfaits économiques et sociaux d’une mondialisation régie par les lois du marché, intégrismes religieux archaïques et dévastateurs... Au secours !

RHESUS roman d’Hélèna Marienské

Rhésus, c’est le nom : d’un roi de Thrace accouru – sur le tard et vainement – au secours de Troie ; d’une famille de singes ; d’un agglutinogène présent dans les hématies de 85 % des sangs humains... Appeler Rhésus un singe – chimpanzé ou bonobo – venu on ne sait d’où et qui va devenir le héros (mais non le sauveur : sans doute, comme son patron grec, vient-il trop tard) d’une sinistre maison de retraite, c’est suggérer la nécessité d’une transfusion d’animalité dans une humanité ravagée par l’âge, étranglée de contraintes, pourrie de haines intestines – et toujours taraudée par l’impatience du désir.

Dramaturgie

— Avant l’arrivée de Rhésus au Manoir, deux des pensionnaires, Raphaëlle ex-grande dame toujours libertine et Hector, ex-militant communiste que la grâce du loto a fait riche à 90 ans, ont déjà donné le branle de la révolte contre l’enfermement et le mépris. Aux misérables rivalités de clans qui fermentent dans l’enclos de la maison de retraite, ils opposent un appétit de vivre intact et une amoralité tranquille. Leurs amours, pimentés de saphisme par le recrutement de Céleste, la vieille écrivaine, font vite scandale. C’est la fille de Raphaëlle qui, du dehors, brandira la première l’étendard de l’ordre moral et déclenchera une guerre picrocholine où les forces de l’ordre moral susdit seront écharpées et devront – pour un temps – se réduire à un cordon de surveillance tendu à distance respectueuse.

— Quand survient Rhésus, amené par deux comparses d’Hector, l’atmosphère est déjà survoltée. Sa présence disloque les clans et soude l’entente des vieillards : il offre à tous et à chacun l’innocence consensuelle d’une sexualité débridée, la tendresse enveloppante de ses longs bras, le secours d’une agilité joueuse ; en retour, il se laisse humaniser assez pour apprendre quelques manières de table et se faire l’auxiliaire, voire le remplaçant, de l’infirmier Ludovic, quitte à mêler allègrement pilules en tout genre avant de les distribuer en rations équitables. Soumise au traitement Rhésus, la libido des patients s’exaspère jusqu’à faire que l’un ressuscite ou que l’autre meure dans un spasme voluptueux.

— S’exaspère aussi l’opposition à toute autorité. Ces vieillards en folie vont jusqu’à inquiéter le pouvoir politique. Un vieil académicien – qui fut autrefois amoureux de Raphaëlle –, pressenti comme observateur-espion glissé parmi les mutins, deviendra très vite leur complice et leur coryphée. Après une feinte réconciliation, un maître-queux est mandaté, avec victuailles et marmitons, pour organiser à l’intérieur même de la maison de retraite un somptueux banquet qui – l’excitation libertaire de Rhésus et son art du mélange aidant – entraînera la reprise de la guerre et la mort de la plupart des convives. Raphaëlle disparaîtra mystérieusement. L’académicien Dhorlac et Rhésus survivront, le premier en prison, le second encagé au zoo de Vincennes.

Journaux de bord

L’histoire nous est d’abord contée successivement par quatre des protagonistes et, à lire leurs témoignages, non pas contradictoires mais disparates -par leur contenu et par leur ton-, on se dit qu’il y a là quelque chose d’autre que le jeu de sensibilités différentes, voire divergentes :

— Le journal de Raphaëlle s’arrête à l’arrivée de Rhésus. Il est centré sur le récit de ses amours avec Hector et Céleste et des persécutions que lui inflige Ludovic, l’infirmier, chargé de la punir elle, l’amoureuse, dégradée en vieillarde lubrique au nom de l’ordre moral.

— Céleste, la teigneuse, – si elle s’abandonne à quelques trémolos de plume pour parler de Raphaëlle –, est surtout la chroniqueuse qui parodie – et avec talent – Homère et Rabelais pour décrire l’insurrection, dirigée par Hector le bien-nommé, insurrection qui répond aux manœuvres répressives commandées par Ingrid, la fille de Raphaëlle. Rhésus apparaît. Raphaëlle disparaît et réapparaît. Elle reçoit une lettre de son ami, l’académicien Dhorlac...

— Ludovic, l’infirmier haineux, méprisant : « qui aime les vieux ? vermine... », dit, lui, la geste d’un bonobo « sociable et pansexuel » devenu « leur frère animal, leur romance, leur garde-malade... leur godemiché, leur baume et leur canne ». Et comme il n’y a que la foi qui sauve, il va jusqu’à être, ce Rhésus-là, le thaumaturge qui les ressuscite à l’occasion. Le récit de Ludovic se clôt en effet sur la résurrection de Claudine et d’Aquitaine, soit les Juliette et Romeo décrépits mais boulimiques du Manoir.

—  Dhorlac, enfin. L’académicien, toujours respectueux du dictionnaire mais revenu des prestiges de l’épée et du tricorne, l’amoureux transi de Raphaëlle, se fait le rapporteur des manœuvres politiques ourdies contre les insurgés, du banquet grandiose et farcesque qui consomme leur défaite. Pour prolonger leur révolte, il endosse les accusations les plus infamantes et, dans le calme de sa cellule, il achève son travail de témoin ultime, compose, – à coups de jeux verbaux – les gloses tombales de ceux qui sont morts au champ d’honneur.

Le maître d’œuvre et son acolyte

Mais c’est le récit d’un cinquième larron, Witold, qui fait basculer le sens de cette histoire en nous en dévoilant l’origine, la nature, les mécanismes et les conséquences. Elle a été conçue par Witold – et réalisée par lui en étapes cahoteuses plus ou moins bien raccordées –, en tant que programme de téléréalité. Les récits susmentionnés ne sont donc plus que le texte fragmentaire de rôles tels qu’ils ont pu être conçus, joués et, accessoirement, vécus...

Il a été facile de trouver des établissements prêts à choisir parmi leurs pensionnaires les loques humaines les plus représentatives des déflagrations de l’âge – et à les louer ; facile aussi de recruter des volontaires prêts à tirer vanité de l’étalage de leur décrépitude ; plus difficile de faire évoluer le spectacle selon les fluctuations du voyeurisme des spectateurs toujours avides de sensations neuves, fortes et bas de gamme. On est allé jusqu’à leur offrir la mort en direct de victimes désignées par leurs suffrages. Les pensionnaires du Manoir devenaient -littéralement et nommément – des morituriens. Mais l’abjection aussi finit par lasser. « Un programme de téléréalité, pour faire mouche, ne doit pas seulement choquer. Il doit répondre aux questions informulées », dit Witold. Rhésus a été le révélateur de quelques-unes de ces questions et, du même coup, le sauveur de l’entreprise...

D’abord simple animal de compagnie dévolu à Hector, il a tôt fait d’éclipser la chèvre de Raphaëlle ou le crotale d’Honorine, simples figurants au pittoresque vite épuisé alors qu’il devient, lui, agent et meneur de jeu – coréalisateur en somme. Ses prouesses de copulateur infatigable et complaisant, son secourisme inconditionnel, insensible à la sanie, à la puanteur et à l’hébétude font bientôt de lui le maître à vivre – sinon à penser – des hôtes du Manoir et la coqueluche des téléspectateurs. Lesquels basculent sans états d’âme du sadisme de la mort en direct à l’attendrissement égrillard devant un bonobo voué de tout corps et de tout coeur à la survie jouisseuse de ses vieux protégés. Sa renommée met en branle « seniors du dehors », têtes pensantes des sciences humaines, hommes politiques, journalistes. L’effet Rhésus recherché par Witold enfle jusqu’à devenir le phénomène Rhésus, objet de gloses savantes et souffleur de projets de lois. Lors de l’anniversaire de l’émission, le délire des spectateurs harangués par Dhorlac improvise le sacre de Rhésus.

Mais la royauté de Rhésus a vite fait de montrer les limites d’un pouvoir animal en milieu humain. Ce pouvoir peut bien révéler un désordre, voire l’apaiser provisoirement, mais non fonder une entente proprement humaine. Sous son égide, les révoltés du Manoir finissent par se muer en une horde lubrique et brutale vouée à l’extinction. Le spectacle implose...

Epilogue

Mais la fin du spectacle -donc le retour des acteurs à leur condition animale ou humaine – n’épuise pas l’effet Rhésus. Et Witold d’aller du cynisme tranquille de l’arriviste comblé par le succès à la sagacité de l’observateur, – voire du moraliste –, pour en consigner et en commenter les conséquences...

— C’est d’abord la victimisation de la vieillesse et son corollaire : la culpabilisation des adultes. La révélation des mauvais traitements subis par les vieillards dans certaines maisons de retraite, de l’état d’abandon où vivent nombre d’entre eux, fait tache d’huile en se répandant de la région parisienne à la France entière et de la France à l’Europe. Les vieux sont bien ces immigrés du temps évoqués plus haut. Les pays riches constatent avec effarement la prolifération de la vieillesse et la crise générationnelle qu’elle entraîne : la génération des préretraités ou jeunes retraités, nourrie d’hédonisme soixante-huitard, oublie ses parents, voire les exploite sans vergogne.

— C’est ensuite (les observations de Witold vont jusqu’en 2017) la revanche des vieux qui, portés par la compassion publique et des mesures juridiques prises en leur faveur, en arrivent très vite à engager une véritable guerre des générations qui fait trembler les jeunes vieux de 70 ans devant leurs parents nonagénaires ou centenaires. Survient le procès de Marie-Michelle, de Douai, qui, après avoir subi longtemps les mauvais traitements de son père, l’empoisonne, le dépèce, consomme les meilleurs morceaux en tartare et congèle le reste en petits paquets soigneusement étiquetés (femme sans enfant, Marie-Michelle n’a – nous sommes en 2017 – qu’une retraite de misère)... Le récit de Witold s’arrête là. On peut penser que la révolte violente des jeunes vieux n’est pas loin. Quand l’histoire se réduit à des règlements de comptes, la loi de l’Eternel retour – soit le retour du même, le retour au même – l’emporte sur tout espoir de dépassement dialectique. L’entente entre Rhésus et les pensionnaires du Manoir n’a été qu’une tentative – grossièrement jouée, rêvée – de faire revivre quelque chose de l’innocence du paradis perdu.

Post-scriptum

« D’après moi », dit l’auteur qui, le récit objectif achevé, veut « réduire le cadavre exquis de Rhésus ». Pour elle aussi il y a un avant Rhésus et un après Rhésus.

— Avant Rhésus, c’est la seule présence d’un moi encombrant et tenace qui n’est jamais ce que je suis, qui voudrait bien me réduire à ce que je parais, qui s’estompe parfois dans les instants où -non-moi bienheureux- je me fonds dans la musique ou la beauté des choses. Le moi, c’est la constante menace de la pesanteur, la résistance à la grâce.

— Rhésus advient d’abord comme récit – entendu, écouté – d’un fait divers : « Il entra par l’oreille gauche, la plus près du cœur » avant d’entrer en littérature : « ... et par sa bouche presque gueule je crie ma peur et ma haine longtemps encagées ». Son animalité tendre à qui souffre, brutale à qui fait souffrir, redonne à l’être sa légèreté et sa mouvance, au désir sa jeunesse... L’animal disparu, reste l’image archétypale d’un hybride débonnaire et inquiétant, bête sûrement, Eros narquois sans doute et peut-être aussi ange luciférien. Le roman d’Héléna Marienské dispense en éclats kaléidoscopiques la présence et l’absence de Rhésus.

Conclusion 2 (encore partielle et provisoire)

Arrachons-nous au mystère Rhésus. Notre propos est ici de dégager de cette fiction exubérante ce qui nous est dit de la vieillesse d’aujourd’hui et de demain.

— D’abord, éclate une évidence scandaleuse : tant qu’il y a de la vie, il y a du désir et les vieux, tout délabrés qu’ils soient, restent, – souvent en paquet mal ficelé –, sexe, cœur, regard qui cherchent l’autre. Le vouloir-vivre n’opère pas de choix moral : le vieillard libidineux serait le produit mécanique de l’un, le vieux sage le patient accomplissement de l’autre. Nous retrouvons ici quelque chose du flux énergétique de la pensée chinoise mais caricaturé et déboussolé au point d’avoir besoin d’un animal pour le réintégrer dans l’ordre du monde.

La psychanalyse a réussi à nous faire admettre l’existence d’une sexualité enfantine. L’idée progresse d’une sexualité dégagée des tabous – et respectable en tant que composante de nos rapports à autrui et à nous-mêmes. Mais la représentation de la sexualité, si elle est libérée d’un jugement de laideur morale, est conditionnée par une publicité tout en images de jeunesse, de santé, de beauté, de liberté. C’est qu’il y a quelque chose de répugnant à imaginer le rapprochement érotique de vieux corps abîmés. Héléna Marienské le sait et elle se garde bien de toute description trop précise. Mais en poussant sur le devant de la scène de vieux cabotins et leur singe, elle grossit à la loupe une réalité encore insupportable. Les étourdissantes variations de style sont, dans ce roman, la danse des sept voiles qui pare et révèle la nudité interdite. L’art qui enveloppe et suggère dit sur l’existence bien plus et bien mieux que la fabrication éructante et prétendument interactive d’un spectacle de téléréalité.

— La dénonciation des mauvais traitements infligés aux vieillards n’en fait pas pour autant des victimes innocentes. Ils ne sont pas tous et pas toujours aimables les pensionnaires du Manoir et leur microcosme reproduit fidèlement les mesquineries et les cruautés de la société qui les a relégués. Avec Rhésus, ils sont comme soulevés par un élan de générosité mais après lui, eux et leurs successeurs ne savent plus que s’abandonner à la frénésie sadique du pouvoir et de la jouissance. La vieillesse n’a pas à être sacralisée.

« Qui veut faire l’ange fait la bête » dit Pascal. La formule n’est pas réversible : qui veut faire la bête fabrique le monstre. Rhésus, qui l’eût dit ?

— Il ne faudrait pourtant pas en conclure que la guerre des générations soit une fatalité. Mais elle reste une menace si on ne fait qu’opposer au pouvoir gris une niaise compassion post chrétienne pour les victimes et/ou des mesures prises dans l’urgence – et à courte vue. Tout pouvoir se mue en tyrannie si son exercice ne s’articule pas à des contre-pouvoirs.

C’est ce que dénonce le roman d’Héléna Marienské. Guerre des sexes, guerre des civilisations, guerre des générations relèvent d’une même intempérance du pouvoir. Avant d’être un choix moral, la paix est d’abord l’équilibration interne d’un pouvoir par l’équilibrage entre pouvoirs... L’ombre furtive de Rhésus n’est peut-être après tout qu’un appel nostalgique à un ordre poétique qui équilibrerait en nous et autour de nous nécessité biologique et exigence humaine. S’humaniser oui, mais sans se déshominiser.

Les MYSTERES de Monte Sana

Nous sommes en 2026 dans une luxueuse clinique de la Côte d’Azur, Monte Sana. Là se concocte dans le secret des laboratoires, à partir de la culture de cellules-souches extraites de l’organisme de chaque patient, un élixir de longue vie à la carte qui répare, ranime, ravive.et n’en finit pas de reculer les frontières de la mort. Ici, la logique capitaliste qui fait produire de l’argent à l’argent s’applique à la vie : la techno-biologie fait produire de la vie à la vie. Le prudent conservatisme chinois de la gestion d’un capital donné n’est plus que radotage. Pour le plus grand contentement de ces sémillants joueurs de golf nonagénaires qui se laissent interviewer avec complaisance.

Mais autour de Monte Sana des colères grondent contre ces vieux trop riches qui « refusent de mourir ». Un attentat est commis par un jeune homme qui le revendique comme une protestation contre l’exploitation éhontée des jeunes par les vieux. Le procès sera l’occasion de voir que le chemin parcouru depuis 2006 va bien en effet dans le sens d’un étouffement des jeunes générations par la survie vampirique des vieillards.

La morale de ce documentaire-fiction est limpide :

— Soumise qu’elle est à la recherche du profit, l’utilisation des techniques médicales de prolongement de la vie favorise les nantis et creuse vertigineusement les inégalités sociales. L’inégalité devant la vie et devant la mort devient une évidence monstrueuse
— La révolte des jeunes est la conséquence du déséquilibre économique engendré par l’allongement de la vie. Les repères qui fragmentaient le temps de vie et son usage se brouillent et les jeunes générations se trouvent réduites à la portion congrue. Le laisser-faire du libéralisme économique débouche sur un conflit de générations.

— Le refus de mourir des vieux, dénoncé par le jeune terroriste, pose le problème philosophique fondamental : pourquoi prolonger indéfiniment la vie ? Pourquoi vieillir ? L’intérêt de ce documentaire est finalement de souligner notre sempiternelle inadaptation -tant pratique qu’intellectuelle et morale- aux variations du paysage de la vie, comme à l’inéluctable échéance de la mort.

CONCLUSION 3

Alors, où en sommes-nous ? Pauvres vieux, vilains vieux, sales vieux ? Vieillards estimables, voire admirables, confits en sapience ? Le patchwork ci-dessus laisse le jugement ouvert. Ma voisine du 5e – nonagénaire – est bien près d’être exécrable ; je me suis laissé dire que je faisais, moi, une vieille personne tout à fait acceptable. Ce qui doit signifier que l’on est dans sa vieillesse ce que le temps a fait de vous et aussi ce que l’on a fait de son temps, donc une histoire au bas de sa pente et qui n’a plus, avant d’arriver à son terme, qu’à moudre un reste de vie parfois misérable.

D’ailleurs, la question n’est pas, d’abord, de savoir ce que valent les vieux mais de prendre en compte leur présence exponentielle -afin d’estimer la place à leur accorder, pour leur bien et celui du corps social tout entier, dans un monde qui change et qui se voit changer.

1) Il faut d’abord insister sur une urgence : en finir avec la question de l’euthanasie en général et particulièrement de l’euthanasie des vieillards à bout de souffle, question qui s’enlise dans des criailleries moralisantes et qui empêche de voir dans toute son ampleur la question de la vie et de la mort telle qu’elle se pose aujourd’hui. Il ne s’agit certes pas de traiter les déchets humains au lance-flammes mais d’affirmer qu’une société démocratique doit être capable de regarder et d’écouter ceux des siens qui ne peuvent plus ou ne veulent plus supporter d’être dépossédés de leur humanité. Le vieillard exténué doit pouvoir obtenir la potion létale qui le délivrera ; une entente entre corps médical et proches doit pouvoir mettre fin à la survie purement végétative d’un patient.

Aux moralistes frileux qui se retranchent derrière la sacralité de la vie, je rappellerai que la loi qui autorise n’est pas la loi qui prescrit : elle ne fait que garantir – dans un monde où l’individu est la valeur à préserver et à faire croître – une liberté de choix minimale dans des situations irréductibles à des certitudes logiques ou expérimentales. Il en va du choix de mourir ou de laisser mourir comme du choix de l’avortement : personne ne peut dire à quel moment l’embryon est fait homme, personne ne peut dire quand la vie organique cesse d’être constituante d’une personne... La mort qu’on se donne ou que l’on donne par respect de la valeur de la vie fait de la mort un acte qui engage la responsabilité humaine. Le maintien inconditionnel de la vie la ramène à une superstition.

2) Une deuxième urgence serait que les responsables politiques prennent en compte les problèmes économiques et sociaux posés par l’allongement de la vie. Des mesures qui prétendraient régler les questions du chômage, du temps de travail, du régime des retraites, des dépenses de santé sans se projeter dans l’avenir ne peuvent être qu’emplâtres sur jambe de bois.

Une vie humaine, – entre naissance et mort –, apparaît de plus en plus dans sa durée, son contenu et son évolution interne comme un processus indéterminé. S’il y a toujours des âges de la vie – enfance, jeunesse, âge mûr, vieillesse – ils ne se laissent plus strictement découper selon un ordre extérieur aux individus – unité organique du corps social, ordre du monde, volonté de Dieu ou pouvoir étatique – mais s’inscrivent dans la mouvance de l’histoire des individus. C’est là la conséquence d’un individualisme qu’il faut arrimer à la solidarité sociale au lieu de le déplorer. Si contraire que ce soit aux habitudes du pouvoir, la gouvernance des sociétés doit s’ajuster à cette mouvance individualiste sous peine de marasme économique, d’injustices explosives et de guerre des générations.

L’allongement de la vie exige une nouvelle mise en perspective du temps social, un assouplissement de ses articulations et une nouvelle distribution des activités humaines et des richesses qu’elles produisent. Si l’on peut espérer vivre en pleine forme jusqu’à 90 ans et au-delà, cela signifie que l’on peut revendiquer bien plus longtemps et bien plus tardivement qu’aujourd’hui le plein exercice de la vie adulte, – qu’il s’agisse de travail ou de procréation. On devient vieux, certes, mais beaucoup plus tard et on peut espérer, dans un proche avenir, que l’on mourra d’épuisement le plus souvent, plutôt que de maladies invalidantes et ruineuses comme Alzheimer, par exemple. Les querelles autour de la retraite à 60 ans ou de l’aménagement de l’assistance aux personnes âgées ont à s’élargir en débat autour d’un avenir qui est déjà là.

L’état doit, sans tomber dans un assistanat débilitant, aider l’enfant à grandir, l’adolescent à mûrir, l’adulte à exercer ses responsabilités. Le vieillard – même celui de demain qui aura pris beaucoup de temps pour faire son temps – est un adulte comme les autres – voire plus riche d’expérience que certains autres – mais qui tend à se dégrader. Il faut, sans préjudice pour personne et tant que son état mental lui permet de choisir, lui laisser le droit de vivre ou de mourir ; et quand il n’a plus rien à choisir, faire que sa survie soit le moins inhumaine possible. Il revient aux politiques et aux partenaires sociaux de convertir ces exigences en mesures légales assez souples pour s’adapter aux besoins individuels et à l’évolution des situations sociales. C’est dire que ce ne peut être l’œuvre ni d’un libéralisme intempérant, ni d’un étatisme rigide. Le réalisme politique a besoin d’utopie.

3) Si l’allongement de la vie met à mal l’échelle traditionnelle des âges, c’est qu’il semble vider de leur contenu normatif des concepts comme celui de jeunesse ou d’âge adulte. En effet, si l’on est assuré de pouvoir être un centenaire gaillard, quand cesse-t-on d’être jeune ? Et peut-on encore parler d’un devenir adulte ?

Cependant, il ne faut pas tomber dans le niais relativisme des goûts et des couleurs, ni dans le jeunisme publicitaire. La notion d’adulte, même si elle renvoie à un idéal plus qu’à une réalité (un prêtre disait à Malraux que l’expérience du confessionnal lui avait appris qu’il n’y avait pas d’adulte), reste centrale si l’on veut comprendre ce que peut signifier la répartition des âges de la vie. Ce n’est en effet qu’à partir d’une pensée soucieuse de cohérence, nourrie d’expérience concrète, capable de mettre le temps en perspective – soit une pensée adulte – que l’on peut parler valablement d’enfance ou de vieillesse – et de devenir adulte.

Car il s’agit bien d’un devenir et non pas d’un état aux contours définis et définitifs. L’âge adulte supposerait un certain nombre d’années d’existence – disons, jusqu’à à 75 ans – progressivement assimilées en expérience humaine ; une exigence d’authenticité qui amène l’individu a faire ses choix existentiels selon le meilleur de lui-même et non selon la mode ou les conventions ; une responsabilité qui le fait s’engager – travail, vie familiale par exemple – et assumer ses engagements. Il est remarquable que ces critères [1] : expérience, authenticité, responsabilité ne soient pas affaire de cadrage extérieur mais de maturation intellectuelle et morale laquelle sourd de l’histoire d’une vie et ne s’achève que par la mort.

C’est dire que la vieillesse, en tant que dernier épisode du devenir adulte, ne relève pas uniquement d’un traitement social mais d’une éducation – et surtout d’une autoéducation qui en fait un accomplissement du devenir adulte. Là est ce dynamisme du grand âge réclamé par le philosophe Paul Misrahi. Il s’agit d’accompagner l’allongement de l’existence par une conscience du temps qui, en ouvrant le passé et en réduisant l’avenir, valorise le présent pour faire entrer le peu de temps qui reste dans une histoire de vie.

Jusqu’à ce que mort s’ensuive, qu’elle soit choisie ou simplement acceptée. A la question : pourquoi vieillir ? il faut pouvoir répondre : pour aller jusqu’au bout de cet individu infime et nécessaire dont chaque instant recompose l’identité.

juillet 2007 par Yvette Reynaud-Kherlakian


Notes :

[1] Eric Deschavanne et Pierre-Henri Tavoillot : Philosophie des âges de la vie (Grasset)

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