[Hommes et Faits] > Chroniques laïques d’Afrique du Nord

L’Afrique a perdu le Nord


L’histoire ! Elle souffre en silence. Quoi dire d’autre, si c’est peu dire ? L’histoire à quelque part un peu de responsabilité dans le drame qui la prend. Son drame, elle le doit justement à son silence, elle reste magnanime avec la vermine, les conquérants et les seigneurs des guerres qui ont modifié l’originalité des peuples et saccagé leurs personnalités. Par ses lois, la nature a séparé les continents, eux les ont éclatés.

On dit des fascistes qu’ils sont condamnés par l’histoire, pfft, laissez moi rire. À quoi servirait une condamnation qui ne serait pas suivie d’effet, une fois que le tortionnaire sera poussière, il se foutrait de nos accusations.

L’histoire regorge de Nérons et aussi de trublions méphitiques et d’idées infectes qui refont encore surface comme pour stigmatiser la mémoire défaillante. L’histoire nous les renvoie peut-être dans l’espoir qu’ils soient jugés et classés enfin dans la rive des sectes interdite aux générations futures. Seule manière de neutraliser leurs adeptes. C’est aux peuples de juger les méchants durant leurs mandats. Ainsi, l’histoire sera bien faite. Les tribunaux populaires devraient se multiplier et rester vigilants sans faire dans l’exclusive et la distinction. Conneries du TPI, il ne juge que ceux qui ont fait mal aux Européens. Le pardon est parfois synonyme de lâcheté, de démission, de complicité dans le crime contre l’humanité. La réalité du présent est ainsi conçue, elle fait élire à la tête des nations ces mêmes Nérons, ces mêmes trublions et ces mêmes idées sous couvert d’un visage aux traits lénitifs et adoucissants. Pour parfaire, une fois forts des catapultes de la technologie plus ou moins maîtrisée, ils s’accaparent des commandements du Ciel qu’ils accommodent à leurs ambitions personnelles. Les ingrédients réunis, ils se glanent contre l’histoire, et par extension contre l’avenir qu’ils s’affairent à chavirer dans des confins ténébreux impénétrables au regard.

Des villages entiers engloutis sous les feux des yeux dansants des généraux et des émirs qui se font la guerre via le peuple interposé. Ainsi devient l’ignorant subitement dominateur, il assassine le présent et prend l’avenir en otage. Chantage sur le devoir de mémoire, extorsion des identités vouées aux gémonies, et le reste s’ensuit comme un travail à la tache dans une usine d’armement, jusqu’à ce que les temps s’entrechoquent ! A l’ère de l’Internet, des clashs sont autant utilisés que les ordis. Pauvre monde sous la botte d’un Zeus évangélique et des divinités mineures qui se prétendent laïques.

Pauvre Afrique, tout retombe sur elle. Déjà qu’elle a perdu le nord, il s’est exclu de son histoire et des historiettes le veulent partie intégrante de la nation arabe. Le Nord africain, communément et tendancieusement appelé « Maghreb arabe », est un creuset dans lequel étaient venues se morfondre des cultures, des langues, et tout s’y mêlent, les pensées, les religions, les expressions violentes, les peurs, le clair, l’obscure, les nuits glacées, les crimes ; des sueurs et des larmes à ne plus savoir qu’elles sont les unes quelles sont les autres.

La désignation de l’Afrique du nord par le terme « Maghreb » est en elle-même une supercherie. Elle signifie que nos contrées sont dans l’Arabie mais à l’ouest. Je conteste, nous ne sommes ni en Arabie ni à l’Ouest. Nous sommes juste présents, avec notre particularité, notre histoire propre, surchargés d’indigences, d’infortunes, de guerres et qui dit guerres dit martyrs, dit veuves, dit orphelins. Tant que l’Afrique du Nord gardera l’appellation « Maghreb » la discorde régnera et cela, nos dirigeants ne le savent pas. Si ! ils en ont conscience, ils sont graves et répugnants. Si ce n’est pas le cas, c’est pire.

Noir dans la peau d’un blanc, je suis Africain, je peux communiquer par le son d’un tambour ; mes yeux peuvent prononcer la souffrance, la rage et exprimer la joie. Je peux parler avec les mains si toutefois mes lèvres sont cousues. Mes mains sont libres, ma bouche s’ouvre et se referme à ma guise, je peux donc dire. Les vilipender. Bafouer leurs empires et siffler leur réputation. Les offusquer, c’est refuser de succomber sous cette impression de torpeur qui maîtrise l’être et l’épuise. A genoux devant l’euro et le dollar, ils ont délibérément provoqué le naufrage de la société. Leur constitution fabrique des mutants et amplifie les incursions d’El Qaïda. Est-ce exiger un miracle que de leur demander de peser leur rapacité. Toute expression qui les accuse recèle un aspect de la plus haute importance car ils se font grands à coups de craques et délires qui éclatent en drame incessamment renouvelé. Leur existence à elle seule est une tragédie. Une misère. Ils malmènent le pays comme un vulgaire objet de contrebande, ils le monnaient aux Beni Saoud d’Arabie et inféodés tout bonnement parce qu’ils ont fixés un prix à leurs propres âmes. Le Diable se détourne de leur offre de service, tous les démons retournés, ils le dépassent en maléfices. Lâches, crapules, débauchés, Ils portent en eux le résumé de la bêtise : ce n’est pas un secret d’Etat.

Ils en veulent à l’histoire qui les considère de travers, elle est répulsive à leur humeur revêche et atrabilaires. Elle a beau fermer et garder la porte scellée, ils y rentrent quand même, en usant de subterfuges, d’artifices de style ou carrément par effraction. Ils lui font subir des épisodes burlesques dans lesquels ils se donnent des rôles supérieurs et bénis ; ils fourrent dans son poitrail des chapitres grotesques avec leurs noms en gros caractères. Ils énumèrent des gloires que la pauvre histoire n’a pas connues. Des gloires qu’ils truffent de fables, des gloires qu’ils imaginent. Ils ont le temps, ils ont de l’argent, ils peuvent se permettre. « Ils », ce sont les gens du pouvoir, qu’ils portent la casquette, qu’ils portent le turban, ils faut les dispenser des épithètes méchantes afin d’éviter le potin du pléonasme. C’est vrai, pourquoi dire du mal d’un général, il suffit de le nommer simplement par son grade. Tans pis, nous sommes Algériens de tempérament verbeux et métaphorique, dans l’adversité nous chérissons le pléonasme. Nous le prenons à bras le corps, quand nous lançons une insulte à leur égard, nous la décomposons en mille synonymes, cela, nous offre la satisfaction d’être nous mêmes, authentiques, en dehors de leur calcul. D’autant plus qu’ils font mine de ne pas constater que notre histoire est intacte ; malgré l’effort qu’ils ont manifesté à la réécrire frauduleusement, elle reste invaincue. Dans chaque foyer, il y a une grand-mère qui la conte telle qu’elle est dans sa splendeur, les foyers hument toujours son odeur même si celle-ci remonte à contre courant des courroux délibérément fermentés à son égard. Des biefs conjecturaux exécutés de schistes capitalisés se tordent dans le but de la modifier. Le peuple est sommé de la renier sous peine de tourments, il subit des pressions lourdes parfois subtiles, des schlagues pour le faire craquer, l’abîmer et le rendre asthénique et déficient. Résistant, il reste tenace, il est armé du cri de nos ancêtres qui sont ses alliés sûrs. Il oppose leur cri à chaque parjure tenté à son histoire et c’est de cette façon qu’ils redoublent ensemble de furie.

Attention ! les Kabyles sont libertaires, je vous avertis, et je défie tous ceux qui traînent l’ambition de les gouverner de montrer le contraire. Le Numide est né contre Rome, la lutte anticolonialiste est pour lui une spécialité qu’il exerce et qui le forge inlassablement depuis deux mille ans. infatigable. Il est donc inutile d’amender l’histoire par un quelconque décret ni de demander au Kabyle d’être moins redoutable. Il est inutile de semer le doute sur la justesse et la nécessité de son combat. Souiller son honneur et frauder son passé pour pousser la conscience à accepter la compromission est une idée des recrues de choix aux festins de charognes. Toute tentative de l’étouffer sera vaine, elle engendrera l’épuisement des neurones et rendra l’état caduc. L’arabe, seule langue officielle ordonnée à l’Algérien, devient automatiquement profondément réactionnaire, car, elle s’impose par une armée et une police. Inacceptable pour le Kabyle qui aime à la manière latine, manière dans laquelle réfléchissent aisément et son caractère et sa spécifité. Pour se tirer d’affaire, la mémoire prend acte, je parle de la mémoire clandestine, celle que nous disons collective. L’Amazigh rejette catégoriquement le statut de has been. Rien à faire contre son souffle, aucune force ni forfaiture n’est capable d’entraver sa projection dialectique vers l’avenir.

Les théoriciens de la résignation qui tendent à baisser définitivement le rideau et couper net l’éclat de ses reflets sont out, séniles, usés et souffrent de paraphasie, inaudibles, ils endurent une pluralité de sommeil ; leur connaissance est quasiment nulle et non avenue. L’histoire récuse les pactes informels qu’on lui impose en guise de traités limités parce qu’elle n’accepte point d’être une fiction avec en tête d’affiche les cultures revanchardes, bêtes et fascisantes. Pas du tout. L’histoire, du moins la non officielle, nous structure en des paraphes innocents de la filouterie des traiteurs du ventre et du bas ventre racolés pour l’enliser dans le brouillard épais de l’opacité dont l’objectif premier est de la rendre complexe. Incassable, elle reste solide, et encore, fraîche comme une herbe en pleine sève et les jours sombres qui passent ne font que l’humecter. Elle est si limpide et si simple à peindre, si belle et nécessaire à narrer, si généreuse à multiplier des mercis aux grands hommes qui l’ont faite. Derrière chaque grand homme, dit-on, il y a une femme, mais il y a aussi des traîtres. L’histoire est remplie d’adages et d’exemples de ce type, son poul bat du tambour à la trompette comptabilisant dans son registre la lumière des belles intentions asphyxiées et cédées à l’éternel.

J’entends le roulement du tambour et le son de la trompette plaidant le recrutement, il faut rejoindre les rangs des révoltés intraitables. Il est temps. Le Djurdjura pleure et, peut être, nous maudit. Nous nous sommes tu devant la marche âcre du sabre impérieux qui tranche nos tribus et leurs attribue des maîtres infectieux, devant les paroles qui courbent le dos de nos hommes, des hommes imprégnés d’opium, poussés enivrés dans l’effroi, la passivité et l’extase ; nous avons cédé nos mères au claquement du fouet, nous avons cédé nos femmes, nos sœurs au joug du voile pesant et accablant qui les a prosterné devant l’ouvrage des dévots ladres. Grave erreur qu’il nous faut remédier et vite. Dieu, le Kabyle n’a jamais enfanté en paix, l’horreur coudoie son bonheur consigné dans la liste des plaisirs momentanés. L’horreur a le mérite d’être cyclique, elle est là avec ses raccourcis, fidèle à ses rendez-vous avec la prétention sadique quand celle-ci se met en action pour domestiquer un peuple et son l’histoire. Comme les autres fois, comme tant de fois, comme toujours, elle sévit. Elle a donné congé aux vents et a pris leur place, elle siffle en tournoyant autour des fenêtres qui rêvent. Elle s’abat sur les berceaux. Le ciel est à sa merci, il s’incline. Il montre désormais l’aspect d’un tapis de cuivre. Le cafard.

Le Djurdjura pleure, sa plainte se divulgue dans des boules d’ennui, des insomnies, le pas saccadé des bottes, les rafales de mitraillettes, le sifflement des balles traçantes, le soufflement des mines déchiquetantes... Des larmes, des larmes et des larmes à ne plus voir qu’elles à l’horizon. Et, jours après jour, alors que nous pensons qu’elle s’éloigne, l’histoire avance, pas question qu’elle reste en retrait car sa vocation est de demeurer indéfiniment devant, récente pour ne pas dire présente. En souvenir de l’histoire des jours passés et des jours à venir, les belles de nos villages, aux mains teintées de henné, chantent le soupir rimé de nos braves pantelants, martyrisés au fonds des amères prisons, morts enragés dans l’exil, dans l’oubli ou sur la hampe d’un drapeau brûlé.

Perdu, le sacrifice des aînés Leur tache est violée Le présent édifié au prix du sang Tombe en poussière La jeunesse s’étiole Elle languit au sein de la misère Tout désir en regret s’effrite Je maudis L’ennuyeuse complicité de la mémoire Corrompue et soumise Aux conditions et aux traités Je maudis L’arrogance des concessions insipides Et les folles ambitions Roulées dans les quartiers subversifs des tripes.

novembre 2007 par Djaffar Benmesbah


Notes :

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