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Linguistique


Formes négatives et interrogatives
en français et en anglais

Utilitarisme et ergonomie des langues

Jacques Halbronn

 

L’étude qui va suivre est inspirée de nos travaux sur l’influence du français sur l’anglais. Nous avons voulu montrer que lorsqu’influence il y a entre deux langues, celle-ci ne se limite pas à l’emprunt de mots étrangers mais passe aussi par des calques, c’est à dire que l’on utilise des mots anglais, dans le cas concerné, mais selon un schème français.

Nous avons accordé une certaine importance au rôle de l’erreur dans la transmission.[1]

Nos propositions ne sont pas nécessairement acceptées par l’establishment des anglicistes pour diverses raisons. Nous les soumettons à la réflexion du lecteur.

Par delà la question de l’influence du français sur l’anglais, cette étude est une introduction à un ensemble de recherches consacrées à l’ampleur des similitudes et des passerelles entre les deux langues.

I – La marque du négatif

La façon dont le français marque la négation est assez originale quand on la compare à ce qui se passe dans les autres langues de l’Union Européenne, ce qui permet au demeurant d’étudier dans quelle mesure le français a influencé peu ou prou d’autres de ces langues.

Les éléments minimaux

Que ce soit “pas,” rien”, “personne”, on ne songe guère que ces mots en soi ne sont pas négatifs. Tout se passe comme si le français avait transformé, dans la langue parlée, des mots en soi indiquant une présence en des mots signifiant une absence. En français, nous faisons des pas,  un rien nous contrarie, nous avons des personnes de qualité.

Par quel processus ce quelque chose peut-il exprimer la négation, dans un certain contexte, c’est à dire lorsque associé à une négation ? Car ni pas, ni rien, ni personne, ne sont en soi des négations. Il s’agit là d’un des mystères de la langue française qui laissent perplexes les étrangers si tant est qu’ils en prennent conscience en confrontant les divers usages des mots employés.

Il semble que ces mots, utilisés dans le cadre d’une négation mais qui ne sont pas par eux-mêmes, du point au départ, des négations, indiquent une quantité minimale. Rien, pas ou personne, en tout état de cause, c’est peu, c’est dérisoire. Imaginons un film que ne verrait qu’une personne, imaginons une maison qui ne serait qu’à un pas...

Il convient d’ajouter “même pas” : je n’ai pas même pas vu une personne, ce n’est pas même à un pas de chez moi, c’est moins que rien ! Et à l’inverse, quand nous disons, en français, “quand même”, cela signifie en fait “quand même une personne”, “quand même un pas”, quand même un rien. Quand même est le contraire de même pas mais nous employons cette expression sans très bien le savoir.

Dans le langage familier, dire “pas un chat”, cela signifie même pas un chat, c’est à dire pas une personne ou familièrement plus brièvement “personne”, ce qui est en soi inexact puisque précisément cela veut dire quelqu’un tout comme si je dis “ça’vient pas”, cela signifie en fait que cela n’avance même pas d’un pas. Ou encore “que dalle”, pour signifier “ne rien”, renvoie à une dalle, qui encore une fois correspond à une entité minimale surtout dans la forme “je ne vois que dalle” qui devrait en fait être “je ne vois même pas dalle”, c’est à dire je ne vois même pas où je mets les pieds.

Si l’on compare avec l’espagnol, on note que “nada” qui signifie “ne... Rien” ou “rien... ne” – car la négation peut précéder ou suivre la forme minimale – n’a qu’un usage négatif d’où le fait que cela commence par le n marquant la négation”. De même pour nadie, qui veut dire “personne... ne”.

Si l’on passe à l’anglais, langue influencée par le français, de longue date, on note la forme “nothing”, qui est calquée sur le français, car “thing”, c’est quelque chose et existe indépendamment de nothing à la différence de nada ou de l’allemand, “nichts”. Idem pour nobody, pour “personne...ne”, où body existe indépendamment de nobody, pour signifier corps (body building). On trouve un équivalent en allemand avec niemand, c’est à dire pas un homme (Mann).

En revanche, quand l’anglais indique une négation, il n’a pas l’équivalent du “pas” français : I am not angry en anglais, je ne suis pas en colère, en français.

Que penser alors de la forme anglaise “all the same”, qui correspond au français “tout de même” Il semble que cela soit un calque maladroit car en français même se traduit en anglais tantôt par even (même cet homme), tantôt par same (le même homme)

Le cas de « plus »

En français, on distingue phoniquement : je n’en veux plus, et j’en veux plus, au sens de davantage et dans ce cas on fait entendre, de façon atypique, le s final. Comment la négation associée à plus au sens de davantage peut-elle en venir à signifier que l’on en a assez ? Quelle différence entre je n’en veux pas et je n’en veux plus ? Nous trouvons ce phénomène dans nombre de langues, cette fois, que ce soit en espagnol “quiero mas, no quiero mas”, à l’allemand “ich will mehr, ich will nicht mehr”, sans parler de l’anglais avec “more” mais sans le distinguo phonique du français (plu(s)

Si l’on oppose ce cas de figure au précédent, nous avons affaire à deux stratégies opposées : plus c’est un accroissement, pas, c’est un minimum qui n’est même pas atteint. Ne pas vouloir d’accroissement, c’est vouloir en rester là, ne pas vouloir même un minimum, c’est aussi mettre un coup d’arrêt. Toutefois, dans un cas, on s’arrête après avoir commencé, on ne veut plus continuer “je ne t’aime plus”, c’est à dire je t’ai aimé mais c’est fini alors que dans l’autre cas, dès le départ, on fait obstacle. Je ne veux plus boire, car j’ai déjà bien bu. Je ne veux pas boire, cela ne m’intéresse pas, même un tant soit peu (autre formule du même ordre)

Le mal et le bien

D’autres formules sont assez proches de celles que nous avons décrites. Quand je dis “cela n’est pas mal”, cela signifie que c’est plutôt bien et inversement; quand je dis “je ne me sens pas très bien”, ce qui indiquerait que cela va plutôt mal. Art de la litote et de l’understatement. Cette fois, la négation ne se forge pas avec un facteur indiquant la minimalité, le presque rien ou avec “plus” – indicateur quantitatif – mais avec un facteur indiquant une forme qualitative d’absolu  : le mal, le bien.

Quand bien même...

L’anglais a pratiqué avec le français, par delà des emprunts lexicaux directs, des calques. On l’a déjà vu pour “all the same”.

Mais que dire des formes en “ever” : whenever, whatever, what so ever etc.”. Ever signifie en anglais jamais et nous trouvons en français la forme “si jamais”, “sait-on jamais” où jamais n’a pas un sens négatif mais ménage une ouverture à la différence de “jamais”, dans “je ne mange jamais de pain”, ce qui exige en principe une négation mais dont on se passe volontiers dans le langage parlé : “Tu m’épouseras ? Jamais (de ma vie) !

Or, l’anglais pour dire même dispose de even et even ressemble singulièrement à ever... Est-ce que, dans ce cas, whenever ne serait pas l’équivalent du français quand même, ou quand bien même puisque when signifie quand : wheneven au lieu de whenever. Quant aux autres formes en “ever”, on pourrait les placer en vis à vis de : même si c’était, serait-ce même, serait-il même, même au cas où (...) cela ne changerait rien.

Il semble qu’ici even et ever si proches en anglais, phoniquement, aient parfois été intervertis pour rendre même et jamais en français, aux emplois souvent convergents.

Le As

Arrêtons-nous sur le cas du “as” qui sert en anglais pour marquer l’idée d’équivalence. He is as big as you. Il est aussi gros que vous. Il n’est nullement impossible que ce “as” ait pour origine le français “aussi”. Il faudrait rapprocher aussi “as” du français ainsi, qui est un quasi homophone et homographe.

Quand en anglais, on dit “as you like”, comme tu veux, est-ce que cela ne pourrait pas se référer à la forme française “ainsi que tu veux” puisque ainsi, dans ce sens, équivaut à comme ? C’est ainsi, c’est comme ça !

Le Any

L’anglais semble également marqué par le français avec la forme not ...any. Pour dire que l’on n’en a pas, on dira “I do not have any”, any en soi n’étant pas négatif puisque l’on peut demander “do you have any change”, avez-vous un tant soit peu de monnaie ?” Tout comme many, beaucoup, semble venir du français “maint” (maintes fois)

Il semble d’ailleurs que any dérive du français aucun ou plus simplement encore de un ou une. Je n’en ai aucune ou je n’ai même pas une robe à me mettre, pas une minute à moi : alors qu’en soit aucun ou un n’est pas négatif : d’aucuns disent pour certains disent, les uns disent....

Le Way

Nous avons signalé le doublon even/ever. Abordons à présent un autre cas possible de malentendu. On peut dire en anglais “no way”, pour indiquer “en aucune façon”, en aucune voie, le mot way et voie étant très proches. Always que l’on traduit par toujours signifie “toutes voies”.

Mais que dire de l’anglais “anyway”, que l’on traduit par cependant. Ne pourrait-on le rapprocher du français : toutefois. Et dans ce cas, fois et voie sont bien proches phoniquement. L’anglais a fort bien pu assimiler fois à voie. Pour indiquer jamais, no way. Reconnaissons que pas une fois est plus viable que pas une voie.  Avec  fois, nous avons encore un exemple de négation au moyen d’un facteur minimal : pas même une seule fois. Idem pour always : toutes les fois. Curieusement, en effet, l’anglais emploie une expression spatiale “way” pour désigner une notion de temps, qui aurait pu être rendu par time.

II – La marque de l’interrogatif

En abordant les constructions négatives et interrogatives, nous montrons que l’influence française a vraiment pénétré au sein même de la langue anglaise.

Le « do » anglais.

L’anglais utilise des constructions proches pour marquer la négation et l’interrogation; dans les deux cas, il se sert du verbe “do”, faire, dans un statut d’auxiliaire.

Négatif : I do not (don’t) want, interrogatif : Do I want sans parler de la forme interro-négative : don’t I want : est-ce que je ne veux pas ?

Or, si l’on examine la forme interrogative du français, elle n’est pas sans présenter quelque similitude avec celle de l’anglais, trait qui n’existe guère pour d’autres langues européennes modernes.

Le français, en effet, ne propose-t-il pas comme construction possible :”est-ce que” suivi de la phrase qui reste telle quelle : je mange, est-ce que je mange. En anglais : I eat, do I eat ?

S’agit-il là encore d’un calque approximatif ? Notre hypothèse est la suivante : dans la langue parlée, c’est à dire non écrite, on entend : est-ce que je mange, qui n’est pas si différent phoniquement de “fais que je mange”. Ne serait-il pas possible que l’homme de la rue anglais, face au conquérant normand et à ses descendants, ait confondu le verbe être (est-ce que) et le verbe faire, à la troisième personne du singulier ? On a des exemples de ce genre de distorsion comme, à Londres, Elephant and Castle à la place d’Infante de Castille...

Mais dans ce cas pourquoi retrouver ce “do” lors de la construction de la forme négative et non plus interrogative ? Le français ne semble pas se prêter cette fois à la moindre méprise. Voire.

N’avons-nous pas remarqué le caractère alambiqué de la construction à la française du négatif : au lieu de dire comme en espagnol; no te quiero, le français va dire “je ne t’aime pas” avec un “pas” qui s’avère quelque peu redondant puisqu’en pratique il faut marquer doublement la négation : ne....pas. Quand l’anglais dit “I do not want”, il est aussi par rapport à l’allemand dans une sorte de redondance : Ich will nicht est quand même plus simple !

Les formes interrogatives anglaises en W

Lorsque l’anglais interroge : what, why, when, s’agit-il de termes locaux ? On remarque que l’anglais tend à supprimer la consonne initiale quand il s’agit d’un q ou d’un g. Par exemple : war pour guerre, William pour Guillaume.

Mais le rapprochement entre when et quand n’est pas inintéressant. Tout comme, what et quoi (en allemand was qui a donné notre vasistas), en latin, quid. Quant à why, il est à placer en face du latin quia, pourquoi ou where (où) en face du latin quo..(quo vadis ?)

Il est étonnant que les mots commençant en w et qui, dans l’esprit de beaucoup de gens, sont typiquement anglais ou germaniques, soient à rapprocher, de façon si systématiques, de mots français ou en tout cas latins.

 

 

Les langues germaniques appartiennent certes à la même famille indo-européennne que les langues latines. On le voit notamment quand il s’agit de compter. Il reste que l’on ne peut que constater à quel point le passage entre l’anglais et le français est facilité; d’autant que récemment le français a lui-même pas mal emprunté à l’anglais. Ne pourrait-on parler d’une sorte de continuum ou de binôme franco-anglais dont il importe de prendre la mesure en ce début de siècle ?

 

Conclusion méthodologique

Certains lecteurs trouveront probablement nos méthodes un peu expéditives. Nous pensons en effet qu’il convient de développer de nouvelles grilles de recherche dans un domaine qui tend à se scléroser en faisant notamment la part de ce que nous appellerons l’épistémologie populaire, c’est à dire en essayant de comprendre – comme dans notre article sur l’ergonomie des langues – comment le locuteur contribue à la vie de sa langue en trouvant des parades à certaines carences structurelles de celle-ci mais aussi en introduisant de façon sauvage certains emprunts qui vont affecter le profil général de sa langue. C’est un peu la revanche de la sociolinguistique sur Saussure ! Cela explique probablement pourquoi nous avons eu des difficultés à faire reconnaître nos recherches au niveau universitaire, à Paris V...



[1] – Voir J. Halbronn et al. “Créativité de l’erreur : pour une errologie,” in Eloges de la souffrance, de l’erreur et du péché, Paris, Ed. Lierre et Coudrier.

J. Halbronn le 12/05/01

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