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Spiderman, le grand retour

 

Quelles sont les raisons du succès phénoménal que rencontra ce film à sa sortie aux Etats Unis ? On le comprend à la dernière seconde du film, lorsque le héros refuse de donner suite à la déclaration d’amour de la fille.

On est bien loin, alors, d’une happy end, du Hollywood ending, pour reprendre le titre du dernier film de Woody Allen ! Non, ils ne vivront pas heureux et n’auront pas beaucoup d’enfants... et cela fait scandale !

Et le héros de s’en aller en méditant sa devise : “des superpouvoirs exigent un super sens des responsabilités”. Traduction : il serait quand même irresponsable de convoler avec une jeune femme quand nous attend un destin extraordinaire de sauveur de l’Humanité. On croirait lire l’Evangile à propos de Jésus !

Spiderman serait donc un film de misogyne, en tout cas un film qui ne place pas la femme au même niveau que l’homme. Et c’est cela qui aurait fait son succès en tant que thérapie de groupe, en tant qu’exorcisme face à l’emprise féminine.

Cette jeune femme qui se croyait irrésistible, dont les mots devaient lier son partenaire à tout jamais et, lui, Spiderman, qui échappe à ce “piège” !

Car le seul piège dans lequel Spiderman aurait pu tomber, c’était celui de cette jeune femme dont il s’était amouraché et qu’il avait sauvée des griffes du méchant bouffon. C’est Adam refusant la pomme que lui tend Eve.

Hypothèse saugrenue que notre lecture ? Voudrait-on nous faire croire que les gens se sont précipité pour voir une sorte de héros en tenue de catcheur jouer à saute mouton pendant 2 heures ? De ce point de vue, ce film ne justifiait pas vraiment un tel engouement.

Et d’ailleurs, Spiderman n’est-il pas tout le contraire de Star Wars n°2 (l’attaque des clones), où le jeddi, Anankin Skywalker – le futur Darth Vador – succombe aux charmes d’Amidala et bascule du côté sombre de la force.

Ou encore Samsara, où le moine tibétain se laisse séduire par une femme avant de retrouver le chemin du monastère. Chaque fois, la femme tentatrice !

Le cinéma deviendrait-il vecteur d’une éthique ? Spiderman serait-il un film événement du fait même que des millions de spectateurs recevraient en même temps ou presque la bonne parole ?

En moins d’une semaine, c’est toute une partie des Américains qui aura reçu le message et gageons que ce message n’est pas reçu de la même façon par les hommes et par les femmes.

Spiderman serait la revanche de l’homme américain face à la femme araignée, sûre d’avoir conquis sa proie, prisonnière de la toile qu’elle a tissée. C’est bel et bien en tout cas la dénonciation du cocooning, qui tourne autour du couple d’amoureux transis. D’ailleurs qu’est-ce que c’est qu’un cocon sinon une sorte de chrysalide ?. Spiderman, c’est la fin de Spiderwoman !

Dans un précédent éditorial, “Le but du jeu”, nous nous étions penché sur la place de la femme dans l’univers technologique dont la dimension sexuée nous semble patente.

En rapprochant la femme de la machine, nous mettions précisément – du moins implicitement – l’accent sur l’absence de symétrie entre hommes et femmes. Faire un enfant, n’est-ce pas enclencher un processus ? Spiderman ne veut pas s’encombrer d’une femme qui ne pourrait que le soustraire, peu ou prou, à sa mission.

A un moment, dans le film, Spiderman reconnaît que la jeune femme lui insuffle de la force, que grâce à elle, il a envie de se dépasser. Et elle, elle comprend que tôt ou tard il sera mûr pour vivre avec elle. Mais ce n’est pas vraiment ce qu’il a dit. Spiderman est obligé à l’égard de cette femme, mais ce n’est pas pour autant qu’il paiera un prix exorbitant et qu’il lui appartiendra, corps et âme. Si elle l’aime, qu’elle le laisse partir !

Spiderman serait ainsi l’esquisse – ou du moins l’espérance – d’un nouveau contrat entre homme et femmes.

Parlant cinéma, on remarquera certains aspects propres aux œuvres des cinéastes femmes. Nous avons été frappé par le fait qu’elles campent volontiers des hommes d’un certain âge vivant une histoire d’amour avec de jeunes femmes, comme s’il y avait là un ressort important, en tout cas une curiosité pimentant le rapport entre les sexes.

En effet, on ne nous propose pas l’histoire de deux jeunes gens, ni celle de deux quadragénaires divorcés et refaisant leur vie ensemble. C’est dire que l’on quitte la symétrie des âges qui apparaissait à beaucoup comme le symbole d’une certaine égalité des sexes.

Cette jeunesse de la femme nous apparaît convenir à notre monde technologique où l’homme veut ce qu’il y a de nouveau et ne va pas s’intéresser à quelque chose de démodé et de vieilli, plus ou moins en état de marche.

C’est cette schizophrénie qui semble être en train de se résorber : ce serait alors la fin de l’exception féminine. Seule la femme, dans l’environnement de l’homme, aurait jusque là conservé le privilège d’échapper à la dure loi de la modernité.

Certes, nous savons ce que l’on nous répondra : que les femmes en pensent autant à l’égard des hommes et qu’une femme aussi pourrait vouloir rechercher un homme jeune. Et nous avons vu ce film américain, Infidèle, qui campe une femme mûre trompant son mari (Richard Gere) avec un jeune homme. Sauf que cela se termine, dans le film, en drame et que le jeune homme est tué. Impasse !

Le problème posé ne se résout pas – ou plus – par une pirouette ! La femme – pour en revenir à une formule biblique – est un prolongement de l’homme et elle doit trouver ou retrouver sa place, une autre place, dans la société de demain.

Après un XXe siècle qui a tout mélangé, il est fort probable que le XXIe siècle redécouvre la polarité. Or, le couple, quelque part, aussi paradoxal que cela paraisse, est ce refus de la polarité dans la mesure où homme et femme y sont supposés partager un même espace et surtout un même temps. Or, le temps de l’homme n’est pas celui de la femme.

Le temps d’un homme ne peut pas se situer autour d’une seule et même femme, sauf à envisager le retour de la polygamie, officielle ou officieuse. Spiderman serait-il une nouvelle sorte de Don Juan ? Multipliant les rencontres amoureuses, se nourrissant des belles paroles et des sourires émus de ses conquêtes. L’homme a-t-il vraiment besoin de davantage que de ces brefs moments de bonheur qui peuvent d’ailleurs s’accompagner d’un acte de fécondation envers la femme ?

Il semble bien que l’on ait oublié que le temps de l’homme, en effet, est d’une autre essence et qu’il peut être bref et intense, qu’il n’a pas forcément besoin de la durée. Bien plus, cette durée qui n’est qu’un prolongement de l’instant, ne serait pas de son ressort. Et au fond, l’enfant qu’il sème dans le ventre de la femme n’est-il pas une sorte de clone ?

Pour en revenir à Star Wars dont le dernier épisode est associé à celui des clones, n’est-ce pas là la prise de conscience que l’enfant s’apparente de plus en plus au champ technologique ? On l’avait déjà appris dans le film culte Matrix. Il y a une culture industrielle des clones.

Cette jeune femme, amoureuse de Spiderman, ne devrait-elle pas plutôt aller vers un homme plus âgé qu’elle, qui n’a pas à faire ses preuves, qui n’a pas peur de la castration ou d’oublier sa mission ? Nous la voyons bien se consoler avec un homme de vingt ans de plus qu’elle ; auquel elle offrira sa jeunesse, mais le monde technologique n’est-il pas celui d’une éternelle jeunesse ? Ce qui est vieux est obsolète, caduc.

Oui, nous savons, les hommes aussi vieillissent et pourquoi intéresseraient-ils les jeunes femmes ? Malheureusement et cruellement, là n’est vraiment pas la question !

Pour employer une image qui pourra choquer : c’est l’homme qui choisit la voiture et non la voiture qui choisit son conducteur. On pourra parler d’un néo-darwinisme qui met en compétition, dans le struggle for life, l’homme et la machine.

Or, il semble que la machine imite mieux la femme que l’homme et d’ailleurs combien de tâches domestiques n’ont pas été remplacées par de l'électroménager ?

Que Spiderman ait connu un tel succès dans cette Amérique hyper équipée au niveau technologique nous révèle bien que l’image de la femme y est en crise. Ces millions de spectateurs ont avoué leur malaise par ce seul acte terriblement banal en apparence que de prendre une place de cinéma mais il s’agit en fait d’un référendum qui ne dit pas son nom. Il y a là bel et bien une muette protestation. Serait-ce la fin du culte de la femme ? Faudra-t-il dire “La femme est morte” comme on a dit “Dieu est mort”, c’est à dire la croyance en Dieu ?

Message subliminal probablement car nous ne sommes pas certains que les spectateurs aient vu le film comme nous l’avons vu, parce que nous sommes dans le domaine du tabou. Mais gageons que ce message filmique fera son chemin, même si c’est sous de faux prétextes.

Il y a d’ailleurs des choses qu’il vaut mieux dire au travers d’un film que directement et c’est pourquoi le rôle du cinéma est voué à croître et à prendre une autre dimension, d'exutoire. La prochaine révolution aura lieu au cinéma, dans cet espace virtuel qui est le refuge face à une idéologie paritaire désormais dépassée.

La femme, dès lors, serait ainsi trahie par la technologie puisque le cinéma en est un fleuron, notamment en ce temps des effets spéciaux dont Spiderman – le film – est riche. C’est dans ces salles obscures que son règne s'achèverait. Cette actrice, Kirsten Dunst, qui a accepté de jouer ce rôle de la femme bafouée par un jeune homme de son âge, était-elle consciente de l’enjeu ?

Gageons que demain la scène finale de Spiderman, qui en est le véritable suspense, travaillera les esprits, chaque jeune homme s’identifiant à ce héros qui est d’autant plus masculin qu’il a une partenaire féminine, dans le film Ce n’est donc pas pour autant un héros asexué, comme Tintin.

Nous n’avons pas vérifié si la morale du film est celle d’une histoire déjà ancienne et qu’il faudrait situer dans son contexte. Mais peu importe, ce qui compte, c’est l’impact du film, ici et maintenant. Il ne s’agit plus d’une bande dessinée que l’on lit en solitaire mais d’un film hypnotique – probablement thérapeutique – aux pouvoirs centuplés et vécu collectivement... À vos scénarios !

Jacques Halbronn, 20 juin 2002