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Le sang de l'Algérie

... dans la lutte pour l'existence, l'Occident a enfermé et pris ses contemporains dans les mailles du filet de son emprise économique et politique, mais ne les a pas encore dépouillés de leur culture propre. En dépit des pressions subies, ils peuvent encore se considérer maîtres de leur âmes et cela signifie que l'affrontement des conceptions n'a pas encore eu lieu.

Moïse Toynbee

Chère correspondante...

... vous me dites que mes éditoriaux sont trop violents, que vous avez besoin de douceur, de calme, pour contempler la nature autour de vous...
Oui, j'entends bien !
Défilent nuages et vents.
Je me souviens d'un matin calme, plein de soleil qui s'ouvrait sur un paysage familier, celui des montagnes du djebel Meghris. Tout était paisible, la nature s'éveillait d'une belle nuit de printemps... à mes pieds une grosse tâche grasse et gluante, couleur carmin... une odeur fade et muette, poignante, du sang humain.
L'Algérie, ce matin là s'éveillait sous un autre jour, celui du sang et de la douleur.
Mes premiers jours en France ne furent pas paisibles, je m'éveillais la nuit, du calme environnant... beaucoup de mes amis, chiliens, palestiniens, voire algériens, pourquoi pas, me témoignèrent des mêmes choses... ce calme ! Si puissant, si présent, nous avions oublié.
Depuis 50 ans l'Europe vit au calme de ses années glorieuses, dans une stabilité économique inégalée, pourtant la vie domestique de chacun est battue par le vent des disputes insensées qui reposent sur des détails et l'on me dit que là, c'est trop violent !
Que répondre à cela ?
Pas un moment de ma vie, pas une minute, pas un seul paysage n'échappe à la mémoire de ceux qui ont disparu, des visages flottent dans le vent... Et il y a ceux, qui meurent chaque jour en Palestine, au Sri Lanka, au Cachemire en Côte d'Ivoire...
Vous en voulez d'autres ? Non ça suffit ! Bien sûr, mais vous savez, je ne suis pas violent... Pardon ? Vous voudriez que je m'explique ?
...

Comment va votre café au lait ? Vous écoutez « France Info »... j'entends, oui.
Et bien moi aussi, je goûte désormais chaque instant comme éternel depuis que j'ai quitté cette foutue guerre. Ici, seul le bruit d'une voiture ou d'un chien me réveille, pas celui d'un gosse qu'on égorge ou qu'on transperce d'une balle de 12 mm. Vous me trouvez poète ? Quel hommage !
...
Merci la France et l'Europe aussi !
Ce matin, sur les Pyrénées, il pleut à verse... Il y a des visages qui flottent dans le vent, je regarde à mes pieds et je m'étonne de n'y pas trouver de sang... ailleurs peut-être, mais c'est si loin.
Bonne journée chère correspondante.
Il 'L Baz, Mauvezin le samedi 14 octobre 2000

Lierre & Coudrier Éditeur

© Paris 1997

La Paguère
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