Sources étymologiques



Vertu — virtuel


Catherine Barbé
Économie, œcuméniqueHécatombe
 

Une simple curiosité étymologique peut conduire loin ! Et plonger dans des abîmes de réflexion où l’on est susceptible de se perdre. Quelques amorces, quelques jalons, quelques repères suffiront à ouvrir des pistes insoupçonnées que chacun pourra aller explorer selon son goût !

Nous nous reportons le plus souvent possible à l’étymologie du mot, partant de l’hypothèse que sa représentation est l’aboutissement d’une évolution et qu’elle englobe tous les glissements de sens, de même que l’homme contemporain est le fruit de son histoire. Considérer le mot uniquement dans son sens actuel serait une des multiples manifestation de la tendance à la réduction, en vigueur de nos jours.

 

 

Virtuel est une réfection étymologique du XVIe siècle sur uirtus, qui au XIe siècle nous avait donné la vertu, celle que Vénus se plaît à faire « cascader »[1], chez les femmes, cela s’entend !

Mais la uirtus romaine est tout autre chose où les femmes n’ont strictement rien à voir !

I - Virtus,

C’est la qualité inhérente au uir « l’homme », opposé à la « femme » ( et non pas homo, « genre humain »)[2].

Selon Gaffiot[3] appartiennent globalement à la uirtus les qualités qui font la valeur de l’homme physiquement et moralement

Par glissement de sens ou dérivation, uirtus se spécialise, se différencie en

A – Caractère distinctif de l’homme, mérite essentiel

Animi uirtus corporis ante ponitur, Cic., fin., 5,38 : « les mérites de l’âme passent avant ceux du corps »

B – Qualités morales

Virtues continentiae, grauitatis, iustitiae : « les vertus qui consistent en la maîtrise de soi, la gravité, l’esprit de justice », Cic., Mur.,23

C - Qualités viriles, vigueur morale, énergie

Vestae uirtuti continentiaeque confido : «  j’ai confiance en votre énergie et votre fermeté. », Cic., Phil., 5,1

D’où

« bravoure »

« courage » voir le « corage » médiéval = qualité du cœur

« vaillance »

 

La uirtus renvoie donc aux qualités intrinsèques à l’homme (ce qui laisse peu de choses aux femmes)

Il faudra noter que cet intrinsèque là est situé différemment dans le corps selon les civilisations et les époques. Ainsi, chez les Grecs, le tumos/tumoz, traduit habituellement par « le cœur », siège des « guerriers », défenseurs de la Cité[4] dans la vision platonicienne, avait une place indéterminée chez Homère, ou du moins largement située dans la partie supérieure du corps, associer à Image/imago/eikon/eikon

II – Vertu

apparaît dans langue française dès le XIe siècle au sens de « courage, force physique, sagesse » = ce qui vient de Dieu

« Signur baron, de deu aiez vertu » Chanson de Roland, LXXX

« … fist Deus vertuz mult grave » ibid., CLXXVI

  = sang® force® vie

« Nen ad vertut, trop ad perdut del sanc » Ibid., CLXIII

A – Au XIIIè siècle :

 St Bernars dit : « vertus est us de la volonté selonc le jugement de la raison » Brun. Latini, Trésor, 338

…/… annexe

 

Au XVIIe, renvoie spécifiquement à la force d’âme, énergie morale (vieilli dans ce sens aujourd’hui)

« Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu… », Corn., Le Cid

B – Au sens moderne,

c’est

1) la force par laquelle l’homme tend au bien, la force morale appliquée à suivre la règle, la loi morale

« La vertu est toute dans l’effort », A. France

2) Spécialement concernant les femmes (nous y voilà) : « la fidélité conjugale, la chasteté »

III - De la vertu au virtuel

Évidemment, la relation avec le virtuel ne frappe pas les esprits jusqu’ici ! C’est que nous avons passé sous silence que vertu bifurque au XIIe siècle, en dehors de toute connotation morale, moraliste ou moralisante, s’appuyant sur « l’essence », « l’intrinsèque » que nous avons souligné plus haut, et se retrouve comme synonyme quasi parfait de « principe » : c’est-à-dire ce qui dans une chose, est considéré comme la cause  des effets qu’elle produit.

En particulier, appliqué aux plantes :

« Les plantes ont ce je ne sais quoi de magique, où sans doute résident leurs vertus étrangement thérapeutiques » H. Bosco.

Le terme virtuel, issu précisément du uirtualis scholastique, lui même dérivé de uirtus, apparaît en 1503, mais reste rare avant la deuxième moitié du XVIIè siècle.

A – En philosophie ou en littérature, s’applique à ce qui est en puissance, qui est à l’état de simple possibilité dans un être réel.

On ne peut à ce propos manquer d’évoquer l’entéléchie d’Aristote.

Catherine Barbé, Paris le 25/10/00

 

À suivre, Études étymologiques sur : Entéléchie , Imago/eikon, psuchè/soma

 

BIBLIOGRAPHIE

Dictionnaire latin/français, F.Gaffiot

Dictionnaire de l’ancien français, Larousse

Littré

Petit Robert

Notes


[1]Citation de la Belle Hélène d’Offenbach, opérette du Second Empire.

[2]On note la même opposition en grec, entre l’homme/mâle (anèr/anhr) et l’homme/humain (anthropos/anqropoV).

[3]Dictionnaire illustré latin/français.

[4]La République.

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