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Les métamorphoses de l'irreprésentable

 

 

Pascal Houba

 

 

 

Chapitre 1 – La conception jungienne du symbole

Gilbert Durand commence son livre-fondateur, « Les structures anthropologique de l’imaginaire », par la constatation suivante :

« La pensée occidentale et spécialement la philosophie française a pour constante tradition de dévaluer ontologiquement l’image et psychologiquement la fonction d’imagination « maîtresse d’erreur et de fausseté ». »[1]

Par la suite, il montre que même les théories modernes qui tentent de réévaluer l’importance de l’imaginaire (Bergson[2], Husserl[3] et Sartre[4] ) finissent par la subordonner implicitement aux facultés « supérieures » de l’esprit (respectivement mémoire, intentionnalité et connaissance). Il cerne l’origine de cette attitude dans l’occultation de la dimension symbolique de l’image :

« C’est finalement parce qu’elles ont manqué la définition de l’image comme symbole que les théories précitées ont laissé s’évaporer l’efficacité de l’imaginaire. »[5]

On peut dire que Carl Gustav Jung est certainement la figure marquante qui a agi comme un pionnier dans ce domaine et que, bien que les résultats de ses travaux aient souvent été mal compris, il a ouvert la voie à un renouvellement des conceptions de l’imagination. En effet, la pensée de Jung dépassait très souvent les capacités des outils conceptuels dont il disposait à son époque de par sa formation de médecin et sa collaboration avec Freud. C’est pourquoi, après sa rupture avec ce dernier, il a dû de plus en plus faire appel à des formulations ésotériques, empruntées en particulier aux gnostiques ou aux alchimistes, et d’emblée disqualifiées par les partisans de la science positiviste de l’époque.

Pour donner accès à l’œuvre de Jung, nous devons montrer qu’elle s’inscrit dans une démarche cohérente. Ainsi, plutôt que d’adopter l’attitude simplificatrice qui consiste à la qualifier d’irrationnelle, nous devons mettre en évidence que, tout comme le discours mythique, elle possède sa rationalité propre.

D’abord, il faut comprendre que la conception jungienne de l’imagination s’inscrit, jusqu’à un certain point, dans le prolongement d’une tradition.

De manière générale, depuis Aristote, tout le monde s’accorde pour dire que l’imagination joue un rôle d’intermédiaire entre la perception et l’intellection :

« l’imagination lie dans le même acte une donnée concrète et une signification, alors que la réceptivité ne nous livre qu’un contenu sensible, et la spontanéité intellectuelle qu’une forme abstraite. […] Le problème est dès lors de savoir si l’imagination doit être comprise comme un entre-deux, qui doit ses propriétés aux deux facultés qui l’enserrent […], ou si au contraire elle dispose d’une nature propre qui conditionne même, en partie au moins, la perception et la pensée abstraite.. »[6]

Face à ce choix, Jung défend l’interprétation qui « confère à l’activité imaginative une fonction originaire de spatio-temporalisation qui lui permet même de préfigurer le contenu perceptif et de sous-tendre tout acte de penser »[7]  :

« Dans cette perspective, on peut donc mieux comprendre la complexité de l’imagination si on la libère de la dualité classique de la perception et de l’entendement, en y voyant le lieu mental à partir duquel s’élaborent toutes nos représentations. Le sujet se meut toujours à l’intérieur d’une iconosphère, constitutive de son vécu, qui se compose d’images-symboles, dont le contenu sensible est intimement lié à un sens expressif et subjectif, qui excède la signification inhérente à la verbalisation conceptuelle. L’imagination est moins, en certains cas, une deuxième présentation de ce qui est donné dans le percept ou le concept, qu’une préfiguration ou une arché-présentation d’une réalité dans un espace mental originaire, qui ne saurait être ramenée ni à la donation existentielle de la chose à travers l’impression sensorielle extensive, ni au contenu idéel univoque et épuré de sa représentation abstraite. C’est pourquoi une rêverie ou l’anticipation d’un événement, un poème ou un tableau peuvent être tenus pour plus « vrais » que ne le sont les réalités qui leur servent de remplissement concret ou les idéalités auxquelles ils renvoient. »[8]

1.  La distinction épistémologique sémiotique – symbolique

Le concept de symbole tel qu’il est conçu par Jung n’a rien de commun avec la notion de simple signe, ni avec les acceptions de ce mot chez la plupart des autres auteurs. Pour lui, la signification symbolique et le sens sémiotique sont des choses absolument différentes. Pour comprendre cette distinction entre le symbole et le signe, nous pouvons nous baser sur la nomenclature de Gilbert Durand :

« L’on peut donc, en théorie du moins, distinguer deux sortes de signes : les signes arbitraires purement indicatifs qui renvoient à une réalité signifiée sinon présente du moins toujours présentable, et les signes allégoriques qui renvoient à une réalité signifiée difficilement présentable. Ces derniers signes sont obligés de figurer concrètement une partie de la réalité qu’ils signifient.

Et nous aboutissons enfin à l’imagination symbolique proprement dite lorsque le signifié n’est plus du tout présentable et que le signe ne peut se référer qu’à un sens non à une chose sensible. »[9]

Selon Jung, l’expression symbolique exprime le mieux possible un état de fait complexe et qui n’est pas encore clairement saisi par la conscience alors que le signe désigne toujours quelque chose de connu. Il dépend donc, en premier lieu, de l’attitude de la conscience qui observe que quelque chose soit ou non un symbole. Jung donne l’exemple de la croix :

« Ainsi l’interprétation de la croix comme symbole d’amour divin est séméiotique, car l’expression « amour divin » exprime le fait en question plus exactement qu’une croix qui peut avoir diverses autres significations. Symbolique, au contraire, est la conception qui, dépassant toute interprétation concevable, considère la croix comme l’expression de certain fait encore inconnu et incompréhensible, mystique ou transcendant, donc psychologique en premier lieu, qu’il est absolument impossible de représenter plus exactement que par la croix. Tant qu’un symbole est vivant, il est la meilleure expression possible d’un fait ; il n’est vivant que tant qu’il est gros de la signification. Que cette signification se fasse jour, autrement dit : que l’on découvre l’expression qui formulera le mieux la chose cherchée, attendue ou pressentie, alors le symbole est mort : il n’a plus qu’une valeur historique. »[10]

Il est aussi des produits dont la valeur symbolique ne dépend pas seulement de l’attitude du conscient qui observe, mais se révèle de lui-même par l’effet symbolique exercé sur le spectateur :

« Puisque la re-présentation symbolique ne peut jamais se confirmer par la présentation pure et simple de ce qu’elle signifie, le symbole en dernier ressort ne vaut que par lui-même. Ne pouvant figurer l’infigurable transcendance, l’image symbolique est transfiguration d’une représentation concrète par un sens à jamais abstrait. Le symbole est donc une représentation qui fait apparaître un sens secret, il est l’épiphanie d’un mystère. »11]

Pour éviter toute ambiguïté, étant donné l’importance de la notion de symbolique dans notre travail, nous allons l’inscrire dans une perspective plus large en suivant un article de Jean-Jacques Wunenburger[12], un des rares travaux sur la question qui ne s’inscrive pas dans une démarche réductrice. En effet, comme nous l’avons déjà signalé, « la symbolicité donne lieu, dans la pratique, à des définitions quasiment incompatibles du fait de l’extension variable de son objet, ce qui suscite nombre de malentendus voire d’incompréhensions ».

Dans un premier temps, il convient de circonscrire les deux acceptations les plus courantes de la notion de « symbolique » (qui se réduisent au sémiotique) :

« Le symbolique peut ainsi désigner soit, au sens large, l’ensemble des signes langagiers, soit, à l’opposé, en un sens très restreint, une variété codée de représentations figurées.

Dans la première perspective, de type logico-linguistique, le symbolique désigne tout processus par lequel une intelligence parvient à se distancier de la présence même des choses et à leur substituer une re-présentation « in absentia », qu’elle soit encore concrète, sous forme d’images, semi-abstraite sous forme de mots-imagés, abstraite quand la chose n’est pensée que par concept nominal. Le symbolique devient ainsi la marque principale du processus d’hominisation, soit sur le plan phylogénétique, par l’accès de l’humanité au langage articulé, par opposition à l’animal, soit sur le plan ontogénétique, lorsque l’enfant passe du plan sensori-moteur à celui de l’imitation linguistique ou ludique des objets[13]. […]

Dans la seconde approche, plus métaphysique et religieuse, le symbolique ne désigne plus qu’une catégorie restreinte d’images, qui se distinguent des signes en général, et des concepts en particulier, par une occultation systématique de leurs significations organisées en chaîne. Un symbole désigne ainsi un signe, visuel ou verbal, auquel sont attachées des significations secondes et masquées, qui exigent la connaissance préalable d’un code pour être identifiées et déchiffrées. La symbolique correspond, dans ce cas, à un langage crypté, dont l’énigme ou le mystère apparent peut être levé par qui est initié aux significations secrètes. »[14]

Contrairement à l’approche jungienne, on peut voir que ces « deux traditions de définitions du symbolique […] convergent en éliminant le sujet percevant et interprétant, en privant la subjectivité de toute la responsabilité dans le processus de détermination du sens »[15]. Dès lors, il est nécessaire de faire intervenir une troisième définition du symbolique qui n’occulte pas sa dimension pragmatique, en repartant « de l’expérience du surgissement du sens pour une conscience »[16]  :

« une forme physique ou langagière apparaît comme symbolique dans la mesure où elle suggère à la conscience, un feuilletage, une hiérarchie, de significations emboîtées, qui sont orientées vers une hauteur ou une profondeur, et qui conduisent vers des contenus de pensée élargis par rapport à leurs déterminations particulières et contingentes de départ. »[17]

Le critère pour distinguer le symbolique du sémiotique ne repose donc pas seulement sur la polysémie potentielle du symbole mais plutôt sur l’attitude du sujet face à cette polysémie :

« on pourrait dire que l’opération sémiotique se caractérise, avant tout, par un choix actualisant une des multiples valeurs du signe, potentialisant ainsi les autres valeurs, alors que la visée symbolique repose, au contraire, sur une co-présence simultanée des significations concurrentes, sur une sorte d’équilibre dynamique entre l’actualisation et la potentialisation. Autrement dit, les différents sens d’un mot se tiennent, pour le locuteur, en attente sur une ligne continue, avant que l’un d’entre eux ne soit sélectionné pour déterminer la valeur contextuelle, qui rend possible l’expression ou la communication, alors que les différentes valeurs symboliques d’une image sont toutes concomitantes et peuvent être comparées à autant d’orbites concentriques de gravitation de pensées. Par conséquent, un traitement sémiotique tend à réduire, sans d’ailleurs y parvenir généralement, la pluralité à l’unité, par une logique de la disjonction, alors qu’un traitement symbolique invite à accepter, à maîtriser, voire à développer, la plurivocité des sens adjacents par une logique de l’addition, de la récapitulation, voire de la conjonction des opposés, des différents niveaux de signification. »[18]

Pour Jung, l’attitude symbolique « résulte d’une certaine conception de la vie qui attribue un sens à tout événement grand ou petit, et donne à ce sens plus de valeur qu’au fait lui-même »[19]. Dès lors, il n’est pas étonnant que cette attitude s’accompagne souvent d’une attitude propre au sacré :

« Le recours à la pensée symbolique se greffe, en effet, dans la plupart des traditions culturelles, sur la sensibilité sacrale, dans la mesure où celle-ci équivaut à la disposition psychique qui conduit à doubler le monde visible d’un invisible qui le borde. »[20]

En résumé, on peut donner comme critère pour l’identification du symbole la présence conjointe de trois dimensions fondamentales : la dimension épiphanique, la dimension pragmatique et la dimension anagogique. Le symbole peut être exploré en suivant ces différentes dimensions, soit selon une démarche réductive qui le ramène dans le domaine particulier du sémiotique, soit selon une démarche constructive qui en déploie la pleine compréhension.

2.  La disjonction méthodologique réductive – constructive

Jung emploie une méthode d’interprétation qu’il appelle « constructive » par opposition à la méthode « réductive » freudienne.[21]

Suivant la méthode réductive, l’analyse dévoile progressivement le « contenu latent »[22] du rêve par les associations de l’analysé et les interprétations de l’analyste. Selon Freud, le contenu latent est antérieur au contenu manifeste, le travail du rêve transformant l’un en l’autre et, en ce sens, n’étant « jamais créateur »[23] . L’opération inverse, l’interprétation analytique, est donc conçue comme la révélation d’un sens caché :

« Une fois déchiffré, le rêve n’apparaît plus comme un récit en images mais comme une organisation de pensées, un discours, exprimant un ou plusieurs désirs »[24] .

Jung s’oppose à cette conception freudienne qui voit dans le rêve l’accomplissement de désirs. Selon lui, « le rêve est une auto-représentation spontanée et symbolique de la situation actuelle de l’inconscient »[25] . Par conséquent, la méthode constructive considère la production inconsciente comme « une expression symbolique qui anticipe en image un fragment du développement psychologique »[26] . Son point de départ est le symbole. C’est à partir de lui que l’analyste peut (re)construire le sens. Mais l’activité de l’analyste ne se borne pas à produire du sens. Il doit également créer des images, c’est-à-dire permettre à l’analysé, dont la capacité symbolique est altérée, de (re)trouver l’accès au symbole par la technique de l’élaboration :

« Cette élaboration se fait par enchaînement associatif de matériaux qui enrichissent et approfondissent l’expression symbolique de telle sorte qu’elle atteint la clarté qui en permet la compréhension consciente. Enrichie et approfondie de la sorte, l’expression symbolique se trouve placée au sein de connexions plus générales qui en permettent l’assimilation. »[27]

Le point de vue de la méthode réductive est causaliste. Le rôle de l’analyste est d’expliquer l’origine du trouble psychologique de l’analysé. Ainsi, l’épistémologie sous-jacente à la démarche freudienne est encore tributaire de ses origines positivistes :

« Après Freud, la psyché, en tant qu’objet d’étude, a gagné une largeur de champ épistémologique jamais atteinte jusqu’ici. Mais le déterminisme autonome, articulé sur les fameuses topiques - et nommément la première - est encore calqué sur le modèle banal des successions causales de la physique classique. D’où l’aspect unidimensionnel de la fameuse chaîne de déterminations qu’est la libido. »[28]

Par contre, le point de vue de la méthode constructive est finaliste. Elle cherche à établir le sens du produit inconscient pour l’attitude future du sujet :

« Il est certain qu’il ne faut pas se contenter de considérer les produits de l’inconscient comme quelque chose d’accompli, qui a été fait, qui est devenu, comme des élaborations en quelque sorte terminales, car ce serait leur dénier toute signification en rapport avec l’évolution de l’existence. […] Conformément à cette conception, la méthode constructive ne s’occupe pas des sources proprement dites, ni des éléments originels des produits de l’inconscient ; elle cherche une traduction claire et compréhensible en général de la création symbolique. »[29]

Selon cette distinction, la méthode réductive est bien sémiotique alors que la méthode constructive est symbolique :

« Jung reproche à Freud de ne pratiquer qu’une lecture sémiotique des phénomènes psychiques, c’est-à-dire de les interpréter systématiquement par rapport à d’autres qui sont déjà connus ou qui peuvent être retrouvés par mémorisation, association, ou reconstruction. C’est le cas, par exemple, de l’interprétation qui s’appuie sur une étiologie sexuelle. Si féconde soit-elle, cette lecture est réductrice dans la mesure où elle élimine la dimension propre du symbole.

Jung adresse d’ailleurs la même critique à une interprétation dite symbolique et que beaucoup croient "jungienne". »[30]

Il faut ajouter que Freud ne dénie pas aux éléments oniriques leur caractère polysémique qu’il lie au principe psychologique plus général de la surdétermination. Cependant, comme nous l’avons vu, cela ne constitue pas un critère suffisant du symbolique.

3.  La conjonction herméneutique plan objet – plan sujet

Selon Jung, le propre du symbole est d’engager dans une même totalité psychique indivisible le producteur du symbole, le symbole lui-même et le récepteur du symbole. Dès lors, l’interprétation est irréductible à un schéma du type émetteur–message–récepteur basé sur une relation sujet-objet déjà constituée car l’émergence du symbole est antérieure à cette séparation. En effet, certains symboles ont une composante inconsciente trop importante, c’est-à-dire que la conscience du sujet ne peut pas suffisamment en intégrer le contenu. Ils ne peuvent alors pas atteindre le statut d’objet pour cette conscience. Suivant le degré d’objectivité atteinte par le symbole (mais ce jugement dépend en fait de la subjectivité du producteur et du récepteur), il faut faire appel à deux types distincts d’interprétation. C’est dans ce sens que Jung distingue le plan objet du plan sujet.

Par exemple, dans le cas du rêve, l’interprétation sur le plan objet rapporte les personnages ou les situations oniriques à leur correspondants dans la réalité extérieure. Par contre, l’interprétation sur le plan sujet prend en compte leur valeur subjective. Toute déformation par rapport à la réalité extérieure est alors considérée comme une manifestation propre à la psyché du sujet, qui porte donc la trace d’un complexe de fonctions subjectives. En général, chaque élément du rêve peut être considéré selon ces deux modalités. L’accent que le psychothérapeute tend à mettre sur l’une ou l’autre de ces modalités dépend de chaque cas d’espèce. Cette double possibilité d’interprétation d’un contenu onirique trouve son fondement dans la logique ambivalente du rêve qui tend à exprimer le sujet et l’objet par la même image :

« Ainsi est-il fort logique (d’une logique prélogique tant qu’on voudra, et qui se joue du principe d’identité) qu’un même personnage de rêve représente, d’une part une personne de la vie réelle à qui le rêveur a à faire, d’autre part une manière d’être du rêveur lui-même, une tendance, une attitude qui s’est activée en lui au contact de cette personne : ainsi l’ennemi et l’agressivité, l’être aimé et l’amour […]. »[31]

Cela confirme l’importance de l’interprétation sur le plan du sujet pour le « retrait des projections »[32] . En effet, cette méthode permet d’accéder aux comportements qui restent inconscients pour le sujet, à l’état de veille. D’autre part, les productions oniriques très éloignées de la réalité, par exemple les monstres ou les personnages mythiques, sont généralement le reflet de composantes « archaïques » de la psyché du rêveur. Ces composantes manifestent la présence d’un complexe antagoniste au moi du rêveur. C’est le rapport conflictuel entre ces deux instances psychiques qui est responsable de la production du symbole. L’absence de résolution de ce conflit entraîne l’incapacité de la conscience à le symboliser, c’est-à-dire à mettre en présence les termes internes et externes du conflit, tout en les différenciant[34].

Chapitre 2 –  La formation du symbole

I. Les métamorphoses de la libido

1.  Inceste physique et inceste symbolique.

La rupture de Jung avec Freud a été entérinée par la publication, en 1912, de  Métamorphoses et symboles de la libido[35]. Dans cet ouvrage, Jung modifie la conception freudienne, c’est-à-dire exclusivement sexuelle, de la libido[36] de manière radicale. Pour lui, la libido devient « une valeur énergétique qui peut se communiquer à un domaine quelconque, puissance, haine, faim, sexualité, religion, etc., sans être une tendance spécifique »[37]. C’est dans cette capacité de métamorphose que Jung voit la caractéristique majeure de la libido, qui ne comporte donc pas une essence propre, sexuelle ou autre.

Déjà pour Freud, la caractéristique de la libido est d’être mobile, c’est-à-dire qu’elle tend à investir différents objets au cours de l’évolution de l’enfant jusqu’à la stabilisation de sa sexualité. De là provient la notion de « stades libidinaux », avec la distinction des stades oral, anal, phallique, puis génital. Cette organisation en « stades » ne correspond pas à une observation directe de l’enfant :

« L’ordonnancement temporel de ces stades suppose l’hypothèse d’une antériorité de chacun par rapport au suivant, mais cette hypothèse est inférée à partir des analyses d’adultes : la hiérarchisation et la succession supposée des stades s’y révèlent au travers des effets de régression liés au processus de la cure analytique et au transfert sur la personne de l’analyste d’émois sexuels d’origine infantile. »[38]

Ce développement de l’organisation de la libido va de pair avec la conception régressive que Freud se fait de la névrose, et de tout comportement pathologique en général, dont il rapporte l’origine à un événement traumatique dans l’enfance du patient :

« Les différentes névroses trouvent leurs conditions temporelles dans les scènes sexuelles […]. Les époques de refoulement sont indifférentes pour le choix de la névrose, les époques de l’événement sont décisives. »[39]

On retrouve dans cette citation la tendance à négliger l’importance de la situation présente du patient, au profit de l’événement passé auquel celle-ci renvoie via le mécanisme de refoulement. Pour Jung, la régression n’est pas envisagée dans son rapport au passé historique du patient mais elle correspond à l’évocation d’une nouvelle dimension psychique et symbolique qui implique une conception élargie de la temporalité dont le passé du patient n’est qu’un aspect :

« Ce sont des possibilités d’une vie et d’un progrès spirituels ou symboliques qui constituent le but dernier, mais inconscient, de la régression. »[40]

Cette régression change l’équilibre entre le conscient et l’inconscient de telle manière que la relation d’objet repasse par les stades d’organisation de la libido caractéristiques de l’enfance tels qu’ils sont décrit par Freud et ses successeurs. Dans une première phase, la régression consiste donc en une exploration progressive de l’inconscient individuel (freudien). Les conflits sont donc ramenés dans le cadre de la cellule familiale. La régression peut alors être vécue par le patient comme un désir incestueux, c’est-à-dire finalement comme un désir de retour dans le ventre maternel :

« le mythe solaire, en particulier, montre combien peu le désir « incestueux » repose sur la cohabitation, mais sur l’idée spéciale de redevenir enfant, de retourner sous la protection maternelle, de revenir dans la mère, pour être à nouveau réenfanté par elle. Or sur la voie qui conduit à ce but, il y a l’inceste, c’est-à-dire la nécessité de retourner, par quelque voie que ce soit, dans le sein maternel. »[41]

Jung précise néanmoins la nature partiellement subjective de cette dramatisation des conflits :

« L’interprétation au moyen des parents n’est cependant qu’une « façon de parler ». En réalité, ce drame se déroule dans une psyché individuelle dans laquelle il ne s’agit pas des parents eux-mêmes, mais de leurs « imagines », c’est-à-dire de ces représentations nées de la rencontre des caractéristiques des parents avec les dispositions individuelles de l’enfant. »[42]

Dans une deuxième phase, la régression amène à une indifférenciation du sujet et de l’objet, ce qui permet une restructuration du rapport entre le conscient et l’inconscient. Il est alors de plus en plus adéquat d’appliquer la méthode d’interprétation sur le plan sujet sans laquelle on aboutit à une impasse :

« Ici, il est vrai, la raison doit faire halte. Comment, en effet, pourrait-on remonter plus loin que l’utérus maternel ? Le concrétisme se heurte ici à un mur ; bien plus, la condamnation morale s’abat sur la tendance régressive et cherche, par tous les artifices de dépréciation, à entraver le retour sacrilège à la mère : l’orientation purement biologique de la psychologie freudienne apporte ici, sans le vouloir, son aide. Ce qui dépasse le cadre de la conscience personnelle reste facilement inconscient et apparaît ensuite en projection, autrement dit : l’âme mi-animale, si violemment combattue, avec son désir de régression est attribuée à la mère, tandis que c’est au père que l’on attribue la défense contre elle. »[43]

C’est ici que se marque le plus clairement la divergence entre Freud et Jung. Pour Freud, le désir incestueux envers le parent de sexe opposé et la rivalité envers le parent du même sexe doivent se transformer[44] en identification aux parents par la résolution du complexe d’Œdipe. Par contre, Jung remet en cause ce complexe en tant qu’organisateur universel de la vie psychique. En effet, il donne une nouvelle interprétation de l’inceste :

« Le développement de la conscience conduit inévitablement non seulement à la distinction d’avec la mère, mais à la distinction d’avec les parents et la famille en général et ainsi à une séparation relative de l’inconscient et du monde de l’instinct. Or l’aspiration à ce monde perdu continue de subsister et d’attirer toujours, quand de difficiles travaux sont nécessaires pour s’adapter, parce qu’elle permet de se dérober ou de reculer, de régresser vers les temps lointains de l’enfance ; et c’est ainsi que se produit la symbolique incestueuse. Si cette tentation était univoque, une volonté énergique pourrait sans grands efforts s’en libérer. Or elle ne l’est pas, parce qu’une nouvelle adaptation et une nouvelle orientation d’importance vitale ne peuvent avoir quelque chance de succès que si elles se produisent sous une forme qui correspond aux instincts. Cette correspondance manque-t-elle, il n’apparaît rien de solide, mais bien un produit artificiel issu d’une volonté contractée qui, à la longue, se trouve être incapable de subsister. L’homme ne peut se tourner par simple raison vers n’importe quoi, mais uniquement vers ce qui est déjà en lui une possibilité. Quand la nécessité d’une telle modification se fait sentir, la voie d’adaptation employée jusqu’alors et qui s’effrite peu à peu est inconsciemment compensée par l’archétype d’une autre forme d’adaptation. Si alors la conscience réussit à interpréter l’archétype constellé d’une manière conforme à la fois au sens et au moment, alors apparaît une métamorphose capable de subsister. »[45]

Cette nouvelle perspective sur l’inceste implique une autre conception de l’analyse :

 « La thérapie […] doit favoriser la régression et ce jusqu’à ce que celle-ci ait atteint l’être « prénatal », car il faut tenir compte ici de ce que la « mère » est en réalité une « imago », une simple image psychique possédant des contenus inconscients nombreux et divers très importants. La « mère », première incarnation de l’archétype-anima, personnifie même l’inconscient tout entier. Ce n’est donc qu’en apparence que la régression ramène à la mère; cette dernière n’est en réalité que la grande porte qui s’ouvre sur l’inconscient, sur le "royaume des mères". »[46]

Les symboles mis à jour par l’analyse du patient passent ainsi des contenus de l’inconscient individuel (freudien) aux contenus de l’inconscient collectif, organisés autour des archétypes[47]  :

« En effet, quand on ne la trouble pas, la régression ne s’arrête nullement à la mère; elle la dépasse, pour atteindre, pourrait-on dire, un « éternel féminin » prénatal, le monde originel des possibilités archétypiques dans lequel, « entouré des images de toutes créatures », l’enfant divin attend en sommeillant de devenir conscient. Ce fils est le germe de la totalité, désigné par les symboles qui lui sont particuliers. »[48]

Durant la régression, grâce à l’action structurante des archétypes, une transformation des imagines parentales peut s’opérer suivant laquelle la symbolisation du conflit va passer progressivement du couple physique des parents au couple psychique conscient-inconscient. La différentiation progressive de ces deux couples, sous la forme d’une quaternité[49] des parents « mortels » et des parents « divins », permet l’établissement d’une relation dynamique entre le conscient et l’inconscient que ces derniers symbolisent, sans subir l’influence régressive, normative et paralysante des premiers. Cette transformation est possible grâce à l’organisation commune de ces couples autour de pôles masculin et féminin[50].

Le but de l’analyse jungienne est donc de faire passer le conflit psychique du niveau « physique », impliquant les imagines parentales, au niveau « symbolique », impliquant des symboles polarisés selon les principes masculin et féminin[51]. Ainsi, plutôt que consommé physiquement, l’inceste doit être assumé psychiquement, réalisant ainsi la métamorphose de la libido[52] par l’action du symbole :

 « les symboles […] ont pour effet d’empêcher la libido en régression de s’arrêter au corps physique de la mère »[53]

De cette manière, ils permettent d’amener à la résolution du conflit par le passage à la dimension spirituelle en laquelle la renaissance du sujet sous la forme symbolique de l’enfant divin peut s’accomplir :

« Les symboles fonctionnent comme des transformateurs en ce sens qu’ils font passer la libido d’une forme « inférieure » à une forme "supérieure". »[54]

En résumé, le rôle des symboles est de mettre en relation le conscient et l’inconscient, et de permettre leur restructuration mutuelle par laquelle l’action organisatrice des archétypes peut être mise à profit pour ressourcer l’imagination du sujet :

« L’aboutissement du tabou de l’inceste et des tentations de transposition, c’est l’exercice de l’imagination qui, peu à peu, en créant des possibilités, trace des voies le long desquelles la libido peut s’activer. Elle se trouve ainsi transférée insensiblement en des formes spirituelles. »[55]

De cette manière, Jung donne une description cohérente des mécanismes qui sous-tendent les phénomènes qui ne sont pas liés directement à la pulsion sexuelle, telles les activités artistique et intellectuelle. Alors que, pour expliquer celles-ci, Freud devait faire appel à la notion assez vague de sublimation[56] , dont la limite principale est de ne s’appliquer qu’aux seules activités valorisées par la société, c’est-à-dire qui présupposent l’activité normative du surmoi. Nous allons voir que cette notion est avantageusement remplacée dans la théorie jungienne par celle de sacrifice. Celle-ci est en elle-même fondatrice des valeurs individuelles ou collectives, et sa répétition en permet donc la subversion.

2.  Le sacrifice selon Jung : l’expérience du Soi

Le renoncement à l’inceste « physique » au profit de l’inceste « symbolique » est vécu par le patient comme un sacrifice :

« La libido enlevée à la mère et qui ne suit qu’à contre-cœur devient menaçante comme un serpent, symbole de l’angoisse de mort, car il faut que meure la relation avec la mère et de cela on meurt presque soi-même. En effet, la violence de la séparation est fonction de la puissance qui attache le fils à sa mère, et, plus était fort le lien brisé, plus sa mère lui apparaît dangereuse sous la forme de son inconscient. »[57]

Pierre Solié, dans son ouvrage sur le sacrifice, montre que celui-ci repose sur trois piliers[58]  : la fusion-confusion ou fonction maternelle, la séparation ou fonction paternelle, et la conjonction qui ré-unit les deux fonctions en une fonction symbolique (que Jung appelle fonction transcendante[59]). Ceci nous permet de préciser le processus que nous avons décrit dans la section précédente. Le désir de l’inceste est un désir de fusion (avec la mère ou avec une autre personne qui en tient lieu). L’interdit de l’inceste (proféré par le père ou une institution qui en tient lieu), pour autant qu’il rende possible l’inceste « symbolique », amène la séparation du charnel et du spirituel. Cette séparation qui permet à la libido, détournée du corps désiré, d’être employée créativement par l’esprit, va amener à la formation d’un symbole réunissant les aspects opposés du conflit.

Selon cette description, la structure du sacrifice semble comparable à celle du complexe d’Œdipe[60]  :

« Le complexe d’Œdipe n’est pas réductible à une situation réelle, à l’influence effectivement exercée sur l’enfant par le couple parental. Il tire son efficacité de ce qu’il fait intervenir une instance interdictrice (prohibition de l’inceste) qui barre l’accès à la satisfaction naturellement cherchée et lie inséparablement le désir et la loi (point sur lequel J. Lacan a mis l’accent). »[61]

De même, au niveau du collectif, elle montre que le sacrifice et l’interdiction de l’inceste sont tous les deux au cœur de la fondation d’une « culture » :

« Une telle conception structurale de l’Œdipe rejoint la thèse de l’auteur des Structures élémentaires de la parenté, qui fait de l’interdiction de l’inceste la loi universelle et minimale pour qu’une « culture » se différencie de la "nature". »[62]

Néanmoins, au-delà de la structure ternaire, le sacrifice se différencie du complexe d’Œdipe dans les mécanismes qu’il met en œuvre. La fusion-confusion n’est pas seulement la réalisation d’un désir de régression mais une « participation mystique », c’est-à-dire une fusion du sujet et de l’objet, une rupture des frontières entre le moi et l’objet que Freud appelle identification primaire et Jung, identité :

« L’action sacrificielle consiste d’abord en l’offrande d’une chose qui m’appartient. Tout ce qui m’appartient porte comme une empreinte le fait d’être mien, c’est-à-dire une identité subtile avec mon moi. […] Cette appartenance à ma personnalité de tout ce qui est marqué de l’empreinte d’être mien a été désignée d’une façon très adéquate par Lévy-Bruhl du nom de « participation mystique ». Il s’agit d’une identité irrationnelle, inconsciente, provenant de ce que toute chose qui est en contact avec nous n’est pas seulement elle-même, mais aussi en même temps un symbole. La symbolisation résulte du fait que d’abord chaque homme a des contenus inconscients et qu’ensuite chaque chose a aussi son côté inconnu. […] Mais là où deux éléments inconnus se réunissent, ils ne se laissent plus distinguer. L’inconnu dans l’homme et l’inconnu dans la chose coïncident. De là naît une identité psychique qui peut à l’occasion revêtir des formes grotesques. […] Nos contenus inconscients sont en effet toujours projetés tant qu’ils demeurent inconscients, et cette projection s’opère dans tout ce qui est « mien », choses aussi bien que bêtes et hommes. Et en tant que « mes » objets sont porteurs de projections, ils sont davantage et ils exercent une fonction plus importante que ce qu’ils sont en eux-mêmes et pour eux-mêmes. Ils ont une signification aux strates multiples et sont par suite symboliques, états de choses dont nous ne sommes, il est vrai, que rarement ou jamais conscients. »[63]

La projection[64] repose sur l’identité entre le sujet et l’objet mais s’en distingue lorsque l’identité devient perceptible et, par conséquent, accessible à la critique du sujet lui-même ou d’autrui. Ce mécanisme est également à l’œuvre dans le phénomène du transfert qui permet l’action thérapeutique[65]  :

« La pratique de l’analyse a montré que les contenus inconscients apparaissent toujours d’abord comme projetés sur des personnes et des conduites objectives. Beaucoup de ces projections sont, grâce à la reconnaissance de leur appartenance au sujet, définitivement intégrées à l’individu ; mais il en est d’autres qui ne se laissent pas intégrer et qui, se détachant de leurs objets premiers, se transfèrent alors sur le médecin traitant. Parmi ces contenus, la relation au parent du sexe opposé joue un rôle tout particulier, donc la relation fils-mère, fille-père, et aussi, en outre, la relation frère-sœur. En règle générale, ce complexe ne peut être complètement intégré, le médecin étant presque toujours mis par le patient à la place du père, du frère, voire de la mère (ce dernier cas est naturellement beaucoup plus rare). Comme, selon l’expérience, cette projection s’établit sans rien perdre de son intensité initiale (laquelle est considérée par Freud comme étiologique), il se noue un lien qui correspond à tous égards à la relation infantile initiale et qui tend à répéter avec le médecin toutes les expériences de l’enfance ; en d’autres termes, la relation d’adaptation qui a subi un trouble névrotique est désormais transférée sur le médecin. »[66]

Ce phénomène n’est pourtant pas limité à la relation médecin-patient, mais fait également partie de la vie normale :

« On est en droit de douter que le transfert soit toujours créé artificiellement, ce phénomène se produisant aussi en dehors de tout traitement médical, et cela très fréquemment, comme une chose pour ainsi dire naturelle. Il n’y a pratiquement jamais de lien relativement intime entre deux êtres sans que les phénomènes de transfert y jouent un rôle, soit favorable, soit négatif. »[67]

De même, la nécessité du sacrifice ne s’impose pas seulement pour le traitement des névroses dans le cadre psychanalytique, car il s’agit d’un phénomène tout à fait normal dont chacun peut faire l’expérience plus ou moins douloureuse lors de périodes de crise. En fait, cette situation se présente chaque fois qu’une rupture dans la continuité de la vie quotidienne nous impose une réadaptation. Dans le cas « normal », où le moi est suffisamment fort, sous le masque de l’imago maternelle, le psychisme doit faire face aux résistances narcissiques du sujet :

« Le narcissisme, qui a servi à constituer le sujet, apparaît de plus en plus comme un cocon tissé de multiples renvois en miroir et on s’aperçoit que ce cocon tient lieu de mère. La structure narcissique a remplacé la relation avec la mère et joue le même rôle. Elle porte, nourrit et enferme le moi, jusqu’à la sclérose. Le sujet a renoncé au domaine de l’enfance pour s’engager dans le monde, mais celui-ci lui sert de miroir au point que la personnalité adulte est prisonnière d’une extraversion, qui l’aliène de plus en plus. La prise de conscience de cette situation s’accompagne de la découverte d’une autre manière de vivre, où le moi dépasse, dans une certaine mesure, la considération de lui-même pour s’ouvrir aux multiples dynamismes de l’inconscient. Le renoncement oblige la libido à quitter du déjà connu pour s’investir dans un autre ordre. C’est, sur le plan personnel, l’analyse d’un sacrifice. On le retrouve chaque fois que le psychisme passe d’une période à une autre, d’un monde à un autre. Ce qu’on sacrifie est une mère qu’il faut quitter. »[68]

La séparation n’est donc pas seulement une interdiction de l’inceste mais aussi un « retrait de projection ». C’est donc cette composante séparatrice qui constitue le sacrifice proprement dit, c’est-à-dire la mise à mort d’une partie du sujet qui était projetée et donc « participait » à l’objet.

Enfin, la conjonction ne correspond pas à la formation du surmoi, « héritier de l’Œdipe », qui représente les valeurs établies (imposées par le collectif, c’est-à-dire la société, à travers l’intériorisation de l’instance familiale), mais la préfiguration d’une nouvelle personnalité fondatrice de nouvelles valeurs[69] (individuelles mais potentiellement transmissibles au collectif) :

« Par le sacrifice, l’homme prouve qu’il se possède, car se sacrifier ne signifie pas se laisser prendre, mais c’est une cession consciente et voulue prouvant que l’on peut disposer de soi-même, c’est-à-dire de son moi. Le moi devient ainsi l’objet de l’action morale, car « je » décide alors à partir d’une instance qui est placée au-dessus de mon égoïsme. Je décide en quelque sorte contre mon « moi » et sacrifie ma revendication. La possibilité d’un anéantissement de soi est un fait empirique […]. Psychologiquement, il veut dire que le moi est une grandeur relative, qui peut à tout moment être assumée par des instances quelconques placées au-dessus d’elle. Ces instances ne sont pas eo ipso identifiées à une conscience collective morale comme le voulait Freud avec son surmoi, mais bien plutôt à des conditions psychiques qui existent a priori dans l’homme et n’ont pas été acquises empiriquement. L’homme n’a derrière lui ni l’opinion publique ni le code général des mœurs, mais cette personnalité dont il est encore inconscient. »[70]

On ne peut donc pas parler d’un modèle déjà constitué auxquels le moi peut s’identifier, mais plutôt d’un germe inconscient et structurant de la personnalité à venir et qui doit encore mûrir et se fortifier sous l’action de l’environnement. Jung appelle cette potentialité inépuisable à l’origine de la transformation, le Soi :

« En tant que la personnalité est encore potentielle, elle peut être désignée comme transcendante et, en tant qu’elle est inconsciente, elle ne peut être distinguée de tout ce que ses projections contiennent, c’est-à-dire qu’elle est identique à une partie considérable de son entourage, ce qui correspond à la participation mystique décrite plus haut. […] Le terme de « Soi » m’a semblé être une désignation adéquate de cet arrière-plan inconscient dont l’exposant dans la conscience est toujours le moi. Le moi se trouve à l’égard du Soi dans un rapport de patient à agent ou d’objet à sujet, car les décisions qui émanent du Soi englobent le moi et, par suite, le dominent. De même que l’inconscient, le Soi est la donnée existant a priori dont naît le moi. Ce n’est pas moi qui me crée moi-même : j’adviens plutôt à moi-même. »[71]

Le Soi n’est pas à proprement parler une instance psychique ni un complexe. Il fonctionne de la même manière que les archétypes, c’est-à-dire comme un centre organisateur, bien qu’il ne possède pas les attributs caractéristiques et différenciés de ces derniers mais les englobe plutôt en une seule unité. En somme, il ne se manifeste qu’à travers l’« expérience intérieure »[72] de la conjonction des opposés :

« l’introspection qui pénètre dans les arrières-plans psychiques se heurte bien vite à l’inconscient, inconscient qui, par contraste avec la conscience, ne fait plus que pressentir des contenus déterminés et surprend par une abondance confuse de rapports, de parallélismes, de contaminations et d’identités. Bien que, pour des nécessités de connaissance, on soit contraint de supposer une quantité indéterminée d’archétypes différenciés les uns des autres, on se trouve sans cesse amené à se demander dans quelle mesure ils peuvent être clairement distingués. Ils se recoupent à tel point et possèdent de telles capacités de combinaisons que toute tentative pour les isoler comme des idées séparées apparaît sans espoir. De plus, l’inconscient, en un contraste aigu avec les contenus de la conscience, tend à se personnifier d’une façon unitaire comme s’il n’avait qu’une seule forme ou une seule voix déterminée. Grâce à cette propriété, l’inconscient permet, procure une expérience d’unité à laquelle conviennent toutes les propriétés visées par toutes les assertions gnostiques et alchimiques, et bien d’autres encore. »[73]

Le Soi fournit la base de la relation qu’établit le moi avec ce qui le dépasse, ce qu’il ne peut pas intégrer. Ainsi, toute expérience du Soi subvertit forcément la logique de l’identité[74]  :

 « Le Soi est, par définition, l’idée d’une entité plus vaste que la personnalité consciente. Par suite, cette dernière n’est pas en mesure de porter un jugement qui embrasse le Soi, ce qui veut dire que tout jugement et toute proposition à son sujet sont incomplets et doivent donc être complétés (sans être supprimés) par une négation relative. »[75]

C’est pourquoi le Soi ne se manifeste que sous la forme de symboles, produits de la fonction transcendante :

« L’aller et retour des arguments et des affects représente la fonction transcendante des opposés. La confrontation des positions crée une tension énergétique source de vie, un troisième terme qui n’est pas un produit mort-né de la logique du « tertium non datur » mais une reprise du mouvement issue du suspens entre les opposés, une naissance vivante qui conduit à un nouveau pallier, à une nouvelle situation. La fonction transcendante apparaît donc comme une propriété des contraires rapprochés. Aussi longtemps qu’ils sont tenus éloignés - naturellement afin d’éviter le conflit -, ils ne fonctionnent pas et demeurent inertes. »[76]

Dès lors, on comprend que la réalisation du sacrifice nécessite un subtil dosage de ses composantes fusionnelles et séparatrices pour amener à la conjonction, ce qui n’est pas sans danger pour le sujet :

« La relation vivante avec l’inconscient, qui emprunte ici l’émotion et l’image d’un retour à la Mère, va de pair avec la constitution du sujet. La conjonction n’annule pas la séparation, elle la suppose. Retrouver les forces créatrices inconscientes n’est possible qu’au prix des sacrifices dont nous avons parlé, sinon la personnalité serait gonflée d’inflation et finalement engloutie dans la régression. »[77]

Pascal Houba


Les ouvrages cités en référence dans les notes sont dans la bibliographie.

[1] –  Durand 1969: 15.

[2] –  Bergson 1945.

[3] –  Husserl 1950.

[4] –  Sartre 1940 et 1950.

[5] –  Durand 1969: 25.

[6] –  Wunenburger 1991: 26-27.

[7] –  Wunenburger 1991: 28.

[8] –  Wunenburger 1991: 30-31.

[9] –  Durand 1964: 10-12.

[10] –  Jung 1950: 469 (mes italiques).

[11] –  Durand 1964: 12-13.

[12] –  Jean-Jacques Wunenburger, « Les ambiguïtés de la pensée sensible : Contribution à une approche de l’imagination symbolique », in Cahiers Internationaux du Symbolisme, n°xx, 1994: 25-39. Nous conseillons également de consulter les deux ouvrages du même auteur parus dans la collection « Que sais-je ? » : L’imagination et Le sacré.

[13] –  cf. Piaget 1970.

[14] –  Wunenburger 1994: 26-27.

[15] –  Wunenburger 1994: 27.

[16] –  Wunenburger 1994: 28.

[17] –  Wunenburger 1994: 28.

[18] –  Wunenburger 1994: 29.

[19] –  Jung 1950: 471.

[20] –  Wunenburger 1994: 30.

[21] –  Pour cette section, nous tenterons de prendre en compte l’avertissement de Charles Baudouin : « L’on sera tenté de mettre en parallèle Freud et Jung ; et tout parallèle de cette sorte risquera de pratiquer de fausses fenêtres pour la symétrie et d’introduire des oppositions factices. Mais si l’on garde ce risque présent à l’esprit et si l’on se refuse cette facilité, il reste commode et légitime de situer Jung par rapport à Freud - généralement plus connu - et de montrer comment la méthode de l’un prolonge, élargit, retouche la méthode de l’autre, présente par rapport à elle une originalité certaine, mais bien plus délicate que celle d’une opposition. Elle prétend d’ailleurs moins s’y substituer qu’apporter, en en reconnaissant le bien-fondé dans certaines limites, d’autres armes à l’arsenal thérapeutique. » (Baudouin 1963: 72.).

[22] –  Le contenu latent est l’ensemble de significations auquel aboutit l’analyse d’une production de l’inconscient, singulièrement du rêve. En corrélation, Freud introduit l’expression de contenu manifeste qui désigne le rêve avant qu’il soit soumis à l’investigation analytique, tel qu’il apparaît au rêveur qui en fait le récit (Laplanche et Pontalis 1967: 100).

[23] –  Freud 1901: 112.

[24] –  Laplanche et Pontalis 1967: 100.

[25] –  Jung 1943: 254.

[26] –  Jung 1950: 421.

[27] –  Jung 1950: 423.

[28] –  Gilbert Durand, « Jung, la psyché et la cité » in Cazenave 1984: 452.

[29] –  Jung 1950: 421-422.

[30] –  Humbert 1983: 45.

[31] –  Baudouin 1963: 77 (mes italiques).

[32] –  On dit qu’un sujet projette lorsque il attribue à l’objet ses propres mouvements inconscients. Le terme de « projection » pourrait faire croire qu’il s’agit d’un mécanisme où un attribut du sujet est déplacé par erreur sur l’objet. Cette vision des choses n’est pas correcte car elle présuppose la différenciation du sujet et de l’objet. Jung précise : « Les projections que nous rencontrons fréquemment au cours de l’analyse thérapeutique ne sont que les résidus d’une identité primitive du sujet et de l’objet. » (Jung 1950: 231).

[34] –  « la formation de symboles […]  dépend, pour son effet thérapeutique, de la capacité d’unir deux objets de manière telle que leur ressemblance soit rendue manifeste, tout en respectant leur différence […] » (W. R. Bion, « Différenciation de la part psychotique et de la part non psychotique de la personnalité », in Nouvelle Revue de Psychanalyse, n°10, Automne 1974: 68).

[35] –  Métamorphoses de l’âme et ses symboles (Jung 1953) est un remaniement important de cet ouvrage.

[36] –  Freud a introduit le concept de libido dans son ouvrage Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), où il la définit comme l’énergie sexuelle. Elle est « la manifestation dynamique dans la vie psychique de la pulsion sexuelle » (Freud 1922, cité in Laplanche et Pontalis 1967: 225).

[37] –  Jung 1953: 244. On notera le lien entre cette conception de la libido et la notion de force chez Nietzsche, enracinée dans la Volonté de Puissance : « C’est la même force qui se dépense dans la création artistique et dans l’acte sexuel; il n’y a qu’une seule sorte de force. » (Nietzsche 1956: § 815).

[38] –  Perron et Perron-Borelli 1994: 58.

[39] –  Freud 1956: 145-146, cité in Laplanche et Pontalis 1967: 455.

[40] –  Jung 1953: 548.

[41] –  Jung 1953: 376.

[42] –  Jung 1953: 542.

[43] –  Jung 1953: 545-546.

[44] –  Le caractère problématique de cette transformation n’est jamais assez mis en évidence par Freud. D’autre part, Lacan voit dans ce renversement paradoxal de situation la manifestation d’un processus dialectique fondamental, à la base de l’identification, sans pouvoir néanmoins expliquer ce mécanisme (Cf. Borch-Jacobsen 1990: 49-60).

[45] –  Jung 1953: 393-394.

[46] –  Jung 1953: 546.

[47] –  Pour éviter les malentendus sur cette notion complexe (les plus courants étant d’hypostasier les archétypes et de voir en eux une résurgence de la théorie platonicienne des Idées), il vaut mieux considérer les archétypes, suivant le conseil de Charles Baudouin (1963: 186), comme des constantes de l’imagination qui formeraient les catégories de la pensée symbolique : « L’archétype n’est pas une représentation, mais son rôle est d’organiser – anordnen – selon ses schémas propres, le matériel représentatif fourni par l’expérience extérieure. » (Jung 1954: 602, cité in Baudouin 1963: 185).

[48] –  Jung 1953: 546.

[49] –  Plusieurs ouvrages de Jung mettent en évidence cette quaternité dont il retrace, en particulier, les origines alchimiques (Psychologie de l’alchimie, 1952; Psychologie du transfert, 1971; Mysterium Conjunctionis, 1971; Aïon, 1976). Cette figure quadripartite exerce toujours son pouvoir d’attraction comme le montre les travaux de Heidegger (Essais et conférence, 1954).

[50] –  Ce n’est pas toujours le père qui est lié au pôle masculin et la mère au pôle féminin. Tout dépend de la valeur psychologique qui leur est attribuée subjectivement. De même, chez Freud, le complexe d’Œdipe possède deux formes, « positive » ou « négative », qui se retrouvent à des degrés divers dans la forme dite « complète ».

[51] –  On voit donc que la critique de Levi-Strauss (« Selon Jung, des significations précises seraient liées à certains thèmes mythologiques, qu’il appelle des archétypes », 1958: 238) n’est pas fondée. En effet, le but de l’analyse est justement que le sujet parvienne à différentier les imagines parentales (les signifiés « père/mère ») des archétypes correspondants (les signifiants « masculin/féminin »). La différence entre la conception jungienne du symbole et la conception structuraliste du signe linguistique est subtile. En effet, le symbole jungien s’inscrit dans un processus de genèse du sens par lequel la motivation première (consciente, objective) se transforme progressivement en arbitraire jusqu’à retrouver une nouvelle « motivation » (inconsciente, subjective) par le passage du plan objet au plan sujet. L’arbitraire du symbole n’est donc jamais complet puisque qu’il est toujours motivé selon l’axe diachronique (c’est une unité de l’ordre de la parole plutôt que de l’ordre de la langue). C’est pourquoi l’interprétation du symbole dépend toujours de son contexte particulier d’énonciation. Les thèmes mythologiques n’acquièrent leur « signification précise » que parce qu’ils s’incrivent dans un ensemble de narrations (collectives) dont il est possible d’étudier les récurrences et de les rapprocher d’éléments similaires dans les récits (individuels) marquant l’évolution psychologique. Les archétypes n’ont donc pas de significations indépendantes du contexte mais ils prennent un sens dans le processus d’individuation.

[52] –  L’interprétation sur le plan sujet montre qu’« il ne s’agit donc pas de la vraie mère, mais de la libido du fils dont l’objet fut jadis la mère » (Jung 1953: 374).

[53] –  Jung 1953: 548.

[54] –  Jung 1953: 386.

[55] –  Jung 1953: 376.

[56] –  Comme le font remarquer Laplanche et Pontalis, « l’absence d’une théorie cohérente de la sublimation reste une des lacunes de la pensée psychanalytique » (1967: 467).

[57] –  Jung 1953: 515.

[58] –  Solié 1988: 44, 79-80.

[59] –  Cette fonction permet la confrontation des tendances conscientes et inconscientes et leur résolution. Il ne faut donc pas prendre le terme « transcendant » dans sa signification philosophique mais comme une métaphore de sa signification mathématique, à savoir « dépendant de nombres réels et imaginaires » (Cf. l’article « La fonction transcendante » (1916) in Jung 1990: 147-178, et la définition « Symbole » in Jung 1950: 468-476).

[60] –  Ce n’est pas pour rien que Freud, dans Totem et tabou (1913), fait remonter l’origine de ce complexe au meurtre du père de la horde primitive.

[61] –  Laplanche et Pontalis 1967: 83.

[62] –  Laplanche et Pontalis 1967: 83.

[63] –  Jung 1954: 305-306.

[64] –  Cf. note 32, page 7.

[65] –  La différence dans la conception du transfert entre Freud et Jung est de nouveau marquée par la volonté de distance et d’objectivité du premier face à l’implication (maîtrisée) de la subjectivité du second : « Sans doute la technique de Freud s’efforce de garder autant que possible une distance par rapport à ce phénomène, ce qui, d’un point de vue humain, est parfaitement compréhensible, mais peut nuire considérablement à l’effet thérapeutique. Il est inévitable que le médecin en subisse une certaine influence et qu’il en résulte un trouble, un dommage pour sa santé nerveuse. Il « prend sur lui », très exactement, la souffrance du patient et la partage avec lui. Il est donc par principe en danger, et il doit l’être. » (Jung 1971: 24). Bien que ce soit toujours un sujet de désaccord entre les analystes de différentes tendances, la prise en compte du « contre-transfert » est de plus en plus courante même chez les freudiens (Cf Godfrind 1993).

[66] –  Jung 1971: 22-23.

[67] –  Jung 1971: 23, note 14.

[68] –  Humbert 1992: 143-144.

[69] –  On n’est pas loin de Nietzsche et de son surhomme qui veut la transmutation de toutes les valeurs.

[70] –  Jung 1954: 308-309.

[71] –  Jung 1954: 310.

[72] –  Nous empruntons cette expression à Georges Bataille qui, d’autre part, résume très bien l’état d’esprit nécessaire à cette expérience dans l’avant-propos à L’érotisme : « Je me place en un tel point de vue que j’aperçois ces possibilités opposées se coordonnant. Je ne tente pas de les réduire les unes aux autres, mais je m’efforce de saisir, au-delà de chaque possibilité négatrice de l’autre, une ultime possibilité de convergence. […] –  J’ai tout sacrifié à la recherche d’un point de vue d’où ressorte l’unité de l’esprit humain. » (Bataille 1957: 11, mes italiques).

[73] –  Jung 1954: 348-349.

[74] –  On retrouve les mêmes caractéristiques liées à la problématique de l’individuation chez Simondon : « Ce vivant qui est à la fois plus et moins que l’unité comporte une problématique intérieure et peut entrer comme élément dans une problématique plus vaste que son propre être. La participation, pour l’individu, est le fait d’être élément dans une individuation plus vaste par l’intermédiaire de la charge de réalité préindividuelle que l’individu contient, c’est-à-dire grâce aux potentiels qu’il recèle. » (Simondon 1989: 18-19).

[75] –  Jung 1954: 315, note 158.

[76] –  Jung 1990: 176.

[77] –  Humbert 1983: 133.

[78] –  Deleuze 1962: 203.

[79] –  Bataille 1976: V, 119.

[80] –  Jung 1971: 26.

[81] –  Jung 1954: 318.

[82] –  Simondon 1989: 65.

[83] –  Au sens de la materia prima des alchimistes.

[84] –  Brooke 1991: 59.

[85] –  Il faut de nouveau être attentif à l’utilisation de cette notion par Jung. La psyché n’est pas une entité psychologique contenue en chacun de nous mais plutôt une totalité « psychique » qui nous contient tous : « The psyche as the means of observation and the world as observed cannot be that clearly distinguished, for they form a structural unity which precedes differentiation into this or that entity » (Brooke 1991: 76).

[86] –  Jung 1940: 173, cité in Brooke 1991: 81.

[87] « "Objectif" et "subjectif" sont reconnus comme deux ordres construits hâtivement à l’intérieur d’une expérience totale dont il faudrait, en toute clarté, restituer le contexte. » (Merleau-Ponty 1964: 38);

« Notre but n’est pas d’opposer aux faits que coordonne la science objective un groupe de faits, – qu’on les appelle « psychisme » ou « faits subjectifs » ou « faits intérieurs » – qui « lui échappent », mais de montrer que l’être-objet, et aussi bien l’être-sujet, conçu par opposition à lui et relativement à lui, ne font pas alternative, que le monde perçu est en deçà ou au-delà de l’antinomie, que l’échec de la psychologie « objective » est à comprendre, – conjointement avec l’échec de la physique « objectiviste »–-, non pas comme une victoire de l’« intérieur » sur l’« extérieur », et du « mental » sur le « matériel », mais comme un appel à la révision de notre ontologie, au réexamen des notions de « sujet » et d’« objet ». » (Merleau-Ponty 1964: 41).

[88] –  Merleau-Ponty 1964: 257.

Bibliographie

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Bachelard, Gaston (1940), La Philosophie du non, PUF.

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