Témoignages

Mots-clefs : Pédocriminalité, inceste, viol, traumatisme, prédateur, manipulateur, pervers, Résilience, traumatisme, maltraitance, B.Cyrulnik

 

 

 

 

Inexistence

 

Ne pas laisser de traces, ne pas faire de bruit, me fondre dans la nuit, ne pas respirer, ne pas bouger, ne pas exister….

Inexistence.

Inexister est tout un art impossible. Quoi ? Faire d’un être une statue est impossible. Même les statues vivent. Tout est vie.

Le crime.

Le crime c’est lui. Le lui doucereux qui vient à pas feutrés prendre un peu d’innocence pour s’en délecter. L’ogre mange les petits enfants, ce n’est pas un conte. Il n’y a qu’à le voir pour le comprendre.

Et d’ailleurs…l’ogre est un démon.

Il vient dans la nuit ou les coins d’ombre. Quand rien ne bouge, quand tout est feutré et tendre, quand je me pense en sécurité.

Il vient.

Il approche, je l’entends, je sens son odeur fade. Ca pue le sexe à plein nez. Je n’ose pas bouger. Si j’inexiste…il partira peut être… sûrement… faut pas rêver.

Je ne rêve plus moi ! Papa me baise : il n’est plus mon héros.

Il prend son temps mais je sens déjà son souffle crasse sur mon dos. Il ahane comme un animal. La peur monte en moi…tant qu’il n’est pas parvenu au but il reste un espoir si mince soit-il pour qu’il s’en aille, pour qu’il tourne les talons. Je n’ai jamais autant appelé un dieu quelconque qu’en ces instants là…

Mon Dieu faites qu’il y ait un bruit !

Le moindre bruit et il tournera les talons. Les démons sont des bêtes peureuses et crasseuses, leur sueur ne les lavent pas de leur crime et de leur félonie, le bruit leur fait peur. Il faut croire qu’il n’y a ni dieu ni père pour moi…pas de bruit non plus…

Allongé. Il prend son temps. Plus la peine de se presser le citron ! Je suis tendue à craquer dans cette attente-horreur. Il va me toucher. Je ne sais pas où encore. Mais il va me toucher c’est sûr. Un, deux, trois…le temps de soulever le drap et voilà sa main sur mes fesses. Je suis allongée sur le côté, je dors toujours ainsi parce que c’est plus difficile pour lui de me toucher. Il est obligé de se battre avec le drap le plus doucement possible pour faire semblant de ne pas me réveiller pendant que je fais semblant de dormir.

Frotter avec la main contre la fesse tendre, la soulever doucement et puis ça y est, voilà ! Le doigt est entré et le pénis contre ma cuisse.

Inexistence.

Il grogne.

Inexistence.

Ce n’est pas suffisant. Ma poitrine naissante il veut aussi. Il n’a pas assez de mains. Il se frotte partout. Utilise sa bouche. Je voudrais devenir le drap du lit mais je ne peux pas. Je ne bouge pas, je ne respire pas, je garde les yeux fermés. Juste un frisson parce que j’ai froid. Juste une fois je voudrais qu’il finisse vite, qu’il y aie un bruit quelconque, qu’il ait peur. Que ce soit lui qui ait froid.

Qu’il crève !

Comme j’ai crevé de peur chaque fois qu’il approchait, me touchait. Comme j’ai crevé d’exister puis d’inexister. Comme j’ai crevé d’en crever. Comme j’ai crevé de ne pas crier. Comme j’ai crevé de trouille parce que ça pouvait être pire encore. La peur qui me prend par les pieds, s’insinue dans mes jambes et monte tout doucement, prenant son temps pour les paralyser. Le travail fait elle prend mon ventre, s’en empare et le pénètre profondément, elle reste là, se délecte longuement de mes tripes qui gargouillent ricanant le cri que je n’ai jamais su pousser. Lorsque l’étau de tripailles est fait de lave dure elle vise à transformer en glace tout le haut de mon corps, rends mes doigts gourds et je sens le froid qui abrutit tous mes gestes. Bientôt je ne peux plus bouger les avant-bras, puis les bras, mes épaules sont lettre morte et la peur meurtrière arrive jusqu’à ma gorge qu’elle étreint, enserre, étouffe. Que meure ce cri qui pourrait me sauver ! Seuls mes yeux, derrière mes paupières closes, restent animés, ils voient.

On a beau fermer les yeux….

Pendant ce temps là morceau après morceau l’ogre affamé se rassasie de mon corps, il a exploré les uns après les autres tous les orifices, il a tiré, suçoté tout ce qui de près ou de loin fait de moi une petite fille. Et son pénis qui roule, qui flagelle et me dégoûte. Tout en lui me dégoûte. Sa façon basse de me parler, de se frotter contre moi, de me poursuivre partout, ses yeux, ses mains, son odeur, sa manie de faire des boulettes avec sa mie de pain et son regard vide. Par dessus tout je hais l’avoir à deux centimètres de mon nez, à souffler avec des gouttes de salive qui tombent sur moi et sa langue qu’il passe sur ses lèvres dans un mouvement très rapide.

Ce mouvement me rappelle les serpents.

Son pénis me rappelle les serpents.

Et ce qui serpente en moi maintenant c’est ce dégoût qui vient me réveiller de la paralysie imprimée par la peur. C’est ce dégoût insupportable qui vient accentuer le froid de glace et qui va mordre la douleur d’un rejet que je ne peux plus exprimer. Tendue à craquer. Serrée. Va t-il sortir ce cri ? Je me concentre sous mes paupières fermées. Si seulement je pouvais crier avec mes yeux. Si seulement j’avais le pouvoir d’enlever ces doigts qui farfouillent dans mon ventre, de le jeter loin de moi. Il est si lourd. Je n’arrive pas à respirer. J’ai peur d’ouvrir la bouche, il me souffle des mots grossiers et il frotte ses lèvres molles contre les miennes.

Mes yeux sont fous.

Mes yeux fermés pleurent. Des larmes coulent dans les coins. Sans bruit. Il se démène pour faire entrer son pénis.

Un bruit enfin ! Trois coups frappés contre un mur. Sa femme l’appelle. L’ogre s’en va.

La vie reprend son cours…

La porte est fermée. Je suis toujours tendue à craquer, il me faudra un long moment encore pour parvenir à bouger. C’est d’abord un tremblement saccadé qui me secoue le corps. La tension persiste, je suis aux aguets, j’ai peur que la porte s’ouvre de nouveau, j’entends un lit qui grince, des pantoufles que l’on jette et des questions jetées au hasard par une voix ensommeillée…qu’est ce que tu fais debout à cette heure ? Tu t’es réveillé ? Ça t’arrive souvent, tu as du mal à dormir en ce moment ? …Je devine instinctivement que ces questions là le tiendront à distance pour cette nuit. Je relâche ma vigilance. Dans un moment si la porte ne s’ouvre pas je pourrai me tourner de nouveau et dormir. J’ouvre mes yeux. Je peux peut être risquer un reniflement, j’ai le nez plein. Je voudrais bien pleurer mais si je pleure mon nez va couler plus encore et je devrai sortir de mon lit pour me moucher.

Ne pas faire de bruit.

Ne pas crier. Tenir sans crier encore un peu.

Ne pas faire de bruit.

Sombrer dans l’Inexistence.

Seuls mes yeux restent vivants. Si mes yeux pouvaient crier ! Si mes yeux pouvaient parler.

Ils diraient l’ogre est là, il existe.

Ils diraient des mots d’enfant.

Ayesh, janvier 2005

 

 

 

 

Tentative noir et blanc de description d'un vivant

 

Ce jour se déroule sur fond pâle de drap de lit, je reste immobile, je ne chasse même pas les heures lascives, je suis sur la photographie de ce jour avant même de l'avoir vécu.

Quelle est cette étrange force qui tisse les fils de ma mémoire ?

Un jour est rempli moitié de plein, moitié de vide, instantané, cliché de notre propre impuissance.

Les jours de survivance défilent comme un paysage derrière la vitre d'un train, pressés d'en finir de ce voyage lourd de rêves morts gisants sur les bords de la voie.

Las de la moindre tentative de départ, je refuse un temps certain le décollage de mes pieds.

Je me rapproche de mes livres, jusqu'à sentir l'immobilité de la page. Je glisse enfin sur mon sommeil pour rejoindre le monde des vivants.

Je voudrais apprivoiser ma mort, afin de jouer ma vie.

 

Brouillard sur les eaux plates du jour

Je godille lentement mon corps lourd

A demi noyé, à fleur des vagues

J’avance sans bruit au cœur du silence

Où l'ennui coule en fleuve d'argent

De mes veines ouvertes aux vents.

 

Je cultive encore quelques fragments d'une terre bouleversée

 

Un manège qui tourne sur des flonflons

Moi vieil enfant à califourchon

Toujours sur les mêmes raisons

A user mes fonds de pantalon

 

J'écluse les jours puis les semaines amères, je suis cloué au sol par un marteau invisible

L'activité se ralentit le temps s'accélère j'accouche d'un tourbillon d'ennui qui me centrifuge

Sur les vitres du néant avec mon squelette en dedans

Juste un petit souffle chaud continue à battre sans bruit

Il soulève la poussière des siècles sur les étagères vides

Il décalamine les tuyaux des rêves usés.

Puis je reprends la barre et je siffle les heures.

EN AVANT TOUTE !

 

Obsessions plurielles

Enfants pris par tous les bouts de ma mémoire, saturent mes images de la vie, ressuscitent mes peurs

je reste immobile face à ma préhistoire .

Dans cet espace là, je me fige à retourner le même ciment.

La pensée de la mort à force de trop la regarder de l'intérieur m’envahit comme la mauvaise herbe et les jours s'alourdissent comme de la boue jusqu'à peser des siècles.

Essayons d'écrire sur ces images simplement :

Chaque jour me revient le souvenir de mon père qui abusait de moi. J'avais au début environ 6 ou 7 ans, tout est flou, je me rappelle mes désobéissances, le cachot où m'enfermait ma mère, et surtout les derrières de portes où m'attendait mon père ; le goût de la vie a parfois un goût de sperme et d'incompréhension vertigineuse. Je voudrais prendre un peu de distance mais aujourd'hui il me semble m'y replonger de moi même, malgré moi. Comme si je cherchais une rupture à vivre.

Je me cherche des raisons, des raisons de quoi ?

Je baigne dans une culpabilité fossilisée qui nourrit ma mélancolie.C'est peut-être le vide actuel qui réveille les vieilles blessures.

Comme une prison du souvenir sans avenir.

J'avais peur de mon père, de me faire surprendre, c'est pour ça que j'aimais vivre dehors, le fait même d'écrire est violent, il faut trouver une distance afin de vider les images et les mots de leur toxicité. Ecrire sur l'enfance violemment, tendrement bêtement ect etc., écrire une histoire courte puis les variations

L'horreur de la guerre est lié avec l'autorisation mentale que se donne un individu pour imposer ses violences internes (sous formes psychiques ou physiques) à un enfant.

Quand le droit international autorise le droit de tuer à chaque soldat, tout dans la vie civile par la suite se retrouve en dessous de cette limite. De là, la cicatrisation des blessures de guerre peut prendre des formes perverses autorisées.

L'enfant se retrouve seul face aux blessures mentales du monde; son incompréhension est immense devant la militarisation des sentiments, devant le chaos de la sexualité.

Je suis né d'une blessure de guerre, et ma convalescence durera jusqu'à ma mort.

Il est prié avec force mais en silence de ne pas remuer la merde des adultes avec ses questions au bout des yeux, comme un gigantesque coup de pied au cul.

Je ne suis plus cet enfant, mais c'est lui qui m'a enfanté ; et comme un fils à son père, je lui dit merde.

Mon plus grand dégoût reste et restera le pouvoir et ses casernes de la pensée.

Heureusement pour le monde, il reste les papillons.

Suite en si # et do b

Sur un air de clarinette, s’effacent les traînées de l'histoire, mon cœur est plein de rats qui courent se noyer à la fontaine profonde, et la durée de cette minute me sourit en murmurant l'éternité de cet instant.

Mon enfant m'a glissé trois notes légères dans la tête qui siffleront toujours

Je tourne mes peurs 7 fois dans mon ventre avant de les coucher de force sur la page blanche, sorte de virginité bon marché où tente de s'écrire ma propre mémoire blessée.

Je ne sais quoi faire d'un sentiment incertain mais tenace envers mes vieux comme on dit ;

Mes pensées partent à la pêche tous les matins puis s'emmêlent dans les fils d'une violence cachée.

J'ai envie d'écrire violent pour vivre mes guerres internes et affronter ma peur en combat singulier.

Ce combat avec mon père à l'âge de huit ans m'a laissé le goût de la défaite.

J'ai joué au guerrier par la suite jusqu'à l'âge de 15 ans .Malgré ma solitude et ma rage face au d’égout que m'inspirait les attaques surprises de mon père, je faisais front comme je pouvais.

Je me souviens avoir eu la force de dire non à mon père vers 11 où 12 ans grâce peut-être à la conscience que je prenais de mon corps face à mes premiers émois amoureux. C'était la nièce de Mme Lipninsky une très jolie slave de 13 ans. Irène.

Je grandissais et la violence se tournait avec force du côté de ma mère, dans un élan libérateur.

Ses claques n'étaient plus efficaces et je la traitais de tous les noms ; de putain, de merde, de tout, avec la plus extrême violence.

Je fus coupé net dans cette entreprise somme toute réparatrice par la rupture définitive de ce père adoptif et du reste de la famille.

L'acte du ( ) de son fils dans un premier temps puis de la mère de sa femme ensuite dans le secret des familles reste l'action d'un homme faible et pervers emporté par la peur de sa vie faisant subir sa propre honte à plus faible que lui .

J'ai le sentiment de porter encore une part de cette honte qui remonte sans doute au delà de ce père pour se perdre dans la fosse des générations malades.

Quel peut être le germe de tout ce magma, où les résurgences troubles des familles enterrées marquent au fer rouge le destin de leurs enfants, selon des lois inconnues ?

Quelle monnaie de singe trébuche sur la balance du temps.

 

Il y a dans le vide des jours qui coulent, un fleuve qui cicatrise les blessures, tout en charriant dans le courant les vieux troncs que nous sommes, jusqu'à la mort.

 

Aujourd'hui le 1er Mai 1999, je pense que je me suis trompé :

J'ai trop souvent agi en cherchant des gens pour faire un nouveau projet.

Alors que c'est en voulant faire un projet que l'on trouve les gens.

3 Juin 2000

Peinture ? Culture ?

C’est dans les peintres, leurs écrits, leurs pensées, que j’ai trouvé le plus d’engagement, le plus de sincérité, le plus de force.

L’art m’est plus familier à travers eux ; un chemin, une tentative humaine d’éclairer la route.

J’ai toujours pensé que j’étais inculte, que je ne méritais pas ce milieu.

Je n’aurais jamais eu le courage, la pensée même de me présenter à une école d’art, les beaux arts ou le conservatoire.

Rajouter un maux à un mot, n’est ce pas jouer dans le cercle de l’écriture, à la parade des jours.

Être vivant, c’est désirer : je suis vivant !

Vivre c’est aller à la rencontre de son désir : je ne suis pas vivrant !

 

Il y a un refus terrible et lointain, un non au bonheur, qui se cultive dans mes friches obscures, qui est vieux et qui me fait chier.

Je me sens en plein psychodrame, on pourrait l’appeler le drame du pompiste :

Avoir encore un moteur, mais plus d’essence, plus de sens.

 

Ecrire encore un peu :

Je n’ai plus de thème, comme Pierrot n’a plus de feu ; écrire sur la douleur profonde est bien un puits où l’on se noie.

Rolland, mai 98

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