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Les ambitions d’une caisse populaire dans un village du Burkina Faso

L’exemple du groupement féminin d’Aoréma



3 000 FCFA

Grille de versement dans la caisse du groupement

Matériel
Versement 1année Versement 2 année Versement 3 année etc, Tot

Brouette 6500 6500 6500

Arrosoirs 9000 9000

Pioche 2000 2000

Pelle 1125 1125

Rateau 1125 1125

Moule 1500 1500

Total 21250 21250 6500 etc,

A verser

Par an


Article V : Ce matériel doit être bien entretenu, non utilisé à d’autres fins et, ne pourra être la propriété effective des pépiniéristes qu’après paiement des sommes dues.

Article VI : Après constat effectif de non paiement conformément aux délais impartis ou, de mauvaise utilisation et d’entretien, le matériel peut être immédiatement retiré et rétrocédé au groupement.

Article VII : Pendant que le matériel est propriété du groupement, il est formellement interdit aux membres du groupement de vouloir utiliser le matériel sous n’importe quel prétexte. Dans ce cas, le pépiniériste pourra se plaindre devant qui de droit.

Article VIII : Tout pépiniériste qui apposera sa signature sur ce présent contrat, est contraint de respecter toutes les clauses y afférentes..


Ouahigouya’_°_____________________________________________


Le pépiniériste Le président du groupement

Ouédraogo Kassoum Maïga Habibou

Le coordonnateur du PAE/Y

Ouédraogo Boureima


Cette structure fonctionna très bien, malgré les contraintes des remboursements imposées aux clients du projet « Agro-Ecologie » et la précarité de leurs situations financières, tant que la gestion était confiée à des expatriés allemands. Mais, au terme de leur mission, toute cette œuvre a été transférée entre les mains de gestionnaires locaux. Malheureusement, la direction de la structure fut confiée à un fonctionnaire nommé par le Ministère de l’Agriculture. Ne connaissant rien aux problèmes spécifiques de l’ »agro-écologie », il conduisit celle-ci à sa ruine. La belle expérience censée apporter une modernisation de l’équipement mécanique ainsi qu’un soulagement aux souffrances quotidiennes des agriculteurs, prit fin.

En ce sens, malgré l’échec de l’O.N.G allemande, il semble que son système de fonctionnement a inspiré, entre autres, les groupements féminins d’Aoréma.


3 - Le mode de fonctionnement de la coopérative

Les principes et la philosophie du Réseau des Caisses populaires du Burkina Faso, d’après Monsieur Kassoum Ouédraogo et Madame Salma Boussa qui sont les deux figures de l’encadrement, sont les suivants : « l’argent du pays appartient à tout le monde. Faisons-en tous un bon usage pour que chacun puisse en tirer un certain profit suivant ses besoins, ses moyens ». Cette remarque s’explique par l’organisation des groupements. En effet, chaque groupe de femmes comprend trois représentantes élues en raison de certaines qualités comme le dynamisme, le charisme, la capacité à conduire un groupe et à défendre ses intérêts, l’honnêteté morale. Celle qui fait office de leader est chargée de la signature des prêts du réseau des Caisses Populaires à Youba, village qui fait office de centre commercial et administratif. Mais la réception de l’argent se fait en présence de trois femmes à la fois pour éviter l’usage des fonds à titre personnel et toute tentative de détournement. Dans cette représentativité, chacune à un rôle précis : l’une est élue présidente du groupe, l’autre trésorière (ou secrétaire, suivant le cas) et la troisième, trésorière adjointe. Toutes les femmes des groupements ont un carnet du réseau des Caisses Populaires qu’elles acquièrent à un prix très modique. Leur photo y figure afin d’éviter les mauvais usages, ainsi que leur signature. Les femmes illettrées s’acquittent de cet acte obligatoire par l’empreinte de leur index. Si le dépôt d’argent peut se faire par n’importe qui, en revanche, le retrait s’effectue en groupe. Par prudence, la garde de l’argent se fait chez les femmes elles-mêmes. Cette précaution évite les tentations de vol ; d’autant plus que le président de ces groupements, M. Kassoum Ouédraogo, auquel on confiait auparavant la garde de cet argent, a été victime de vol chez lui. L’association d’Aoréma est une organisation de huit groupements différents dont le nombre varie de quinze à cent cinquante personnes. Chaque groupe se donne un surnom de devise :

  1. Nabonswondé 1 = « Nous prions Dieu » (23 membres)

  2. Nabonswondé 2 = « Nous prions Dieu » (9 membres)

  3. Neeb Noona 1 = « les gens sont bons » (26 membres)

  4. Neeb Noona 2 = « les gens sont bons » (16 membres)

  5. Nonq Neeré = « Nous aimons les bonnes choses » (14 membres)

  6. Baas Neeré = « Nous aspirons à une heureuse fin » (14 membres)

  7. Naba Asuogo = « nous serons heureux d’une bonne fin » (16 membres)

  8. Relwende = « Nous suivons Dieu » (8 membres)


Les groupes se constituent par quartier. Comme il y a huit quartiers à Aoréma, on comprend qu’il y ait huit groupements différents.

La modalité et la durée du prêt sont variables suivant les besoins et les projets des clients de l’association. En outre, quel que soit le montant du prêt, il y a quatre mois d’essai qui sont imposés et dont les conditions de remboursement doivent être strictement respectées. Si au terme de ces mois, l’essai est probant, c’est-à-dire, s’il n’y a aucune perte d’argent, le Réseau des Caisses Populaires peut renouveler le contrat pour six mois suivant les mêmes conditions.

Par exemple, pour un prête de 50.000CFA (1CFA = 50 cts FFr), on exige 300Fr CFA de bénéfice au minimum pour une semaine et au maximum entre 500 et 1000 Fr CFA, voir plus selon la nature de l’activité commerciale. Le versement du bénéfice à la caisse de la coopérative pour le compte du Réseau des Caisses Populaires s’effectue tous les vendredis matin chez le Président des groupements et en présence de l’employée de la caisse chargée de l’encadrement de ces groupements féminins. Il est fait obligation aux membres de l’association de réaliser des bénéfices qui varient suivant la nature de l’activité exercée. Voici un exemple de contrat établi entre le Réseau des Caisses Populaires et une cliente.


RÉSEAU DES CAISSES POPULAIRES DU BURKINA

01 ILP. 5382 OUAGADOUGOU O1

PROGRAMME -CRÉDIT, ÉPARGNE AVEC ÉDUCATION


ACCORD DE PRÊT


SECTION 1 : Dans le village deAoréma le 17-1-003

zone de Aoréma province de Yatenga

un accord de prêt est conclu entre la caisse villageoise de Aoréma Nongméero et

la caisse populaire de Aoréma

Ce prêt d’un montant de 375000 est remboursable en 17 semaines

au taux constant de soit un intérêt de 10% soit un intérêt de 375000 Francs CFA.

La date d’échéance étant fixée le : 17-05-003

SECTION 2 : La caisse villageoise consent répartir le montant du prêt entre ses membres en fonction des besoins exprimés conformément à son règlement intérieur et aux règlements du programme/CEE.

SECTION 3 : La caisse villageoise, à travers ses membres, accepte l’encadrement de l’animatrice et s’engage à respecter l’enseignement et les règlements du programme/CEE.

SECTION 4 : La caisse populaire consent octroyer, aux conditions en vigueur, un nouveau prêt d’un montant supérieur selon les besoins de chaque membre à la caisse villageoise si le remboursement intégral en capital et intérêt du prêt qui fait l’objet de la présente entente est correctement fait et dans les délais.

SECTION 5 : En foi de quoi, les parties suivantes ont signé ou apposé leur empreints digitale de l’index gauche :


a) Pour la caisse villageoise, le comité de gestion

Présidente  : Nom Ouédraogo Lizéta Signature :


Secrétaire/comptable  : Nom Ouédraogo Azeta Signature :


Trésorière : Nom Ouédraogo Rakiéta Signature :


b) Pour la caisse populaire :

Sankariba Aïssa Signature :


(Nom Représentant)


c) Pour le programme/CEE signature :

Boulsa Salmata


(Représentant)


Les activités commerciales à Aoréma sont les suivantes :

    • vente de pétrole au détail ( pour alimenter les lampes à pétrole et pour allumer les foyers domestiques) ;

    • Commerce d’articles en gros avec une domination masculine incontestable ;

    • Vente au détail de sucre, huile, mil, riz, arachide etc. ;

    • Création de boutiques ;

    • Vente de savon traditionnel fabriqué par les commerçantes elles-mêmes ;

    • Commerce de noix de kola en provenance des pays côtiers comme la Côte d’Ivoire, le Ghana etc. ;

    • Vente de galettes, de boules d’ « acassa » ;.

    • Vendeuses itinérantes sur les marchés locaux en utilisant soit les transports en commun (taxi-brousse) pour l’achat ou la vente de sacs de mil, d’arachides, d’haricots, de petits pois etc. , soit à pied, à vélo ou à mobylette quand les articles sont moins encombrants.


J’ai posé la question aux deux personnes chargées de l’encadrement afin de savoir pourquoi un groupement de femmes. J’ai eu la réponse suivante : « Les femmes font preuve de tranquillité à l’inverse des hommes qui manquent de sérieux. L’échec du centre nutritionnel d’Aoréma et surtout le centre d’« agro-Ecologie » initié par une O.N.G allemande, sous l’égide de la C.E.E, dirigés essentiellement par des hommes, est une preuve manifeste du manque de sérieux des hommes. En effet, les hommes ont tendance à faire un usage personnel de l’argent qu’ils ont emprunté. Cette conduite, certes, a ses raisons : ils sont soumis à des exigences quotidiennes, à des sollicitations de tous genres comme les devoirs familiaux qui dépassent infiniment leur pouvoir d’achat. Dès lors, ils sont tentés d’utiliser l’argent prêté à d’autres fins que celles pour lesquelles il avait été demandé. Toutefois, chaque homme peut toujours, de son propre chef, aller faire un emprunt à la banque ou à la Caisse Populaire sans devoir passer par la structure de l’organisation des femmes.

Mais l’une des raisons majeures qui expliquent l’absence de groupements masculins tient à leur tempérament fort. Les hommes sont généralement orgueilleux et sujets aux disputes. Ils font montre de difficultés à s’entendre, à s’accorder sur une modalité de fonctionnement. Chacun aspire à se mettre en avant en écrasant l’autre, à commander, diriger, conduire les faits suivant son intérêt personnel et non celui du public ou de l’intérêt général, celui du village, par exemple ». Pour l’association des femmes d’Aoréma, il y a tout de même un encadrement.


4 - L’encadrement

Les leaders du village figurent, de fait, parmi les représentants de l’association d’après Madame Boulsa Salmata. Parmi eux il y a Kassoum Ouédraogo, désigné comme membre permanent et Président des groupements féminins de son village ; d’où le fait que tout se passe dans sa propre cour : partage des prêts et des bénéfices etc. Il est secondé par deux autres co-représentants qui changent assez souvent parce qu’ils sont moins intéressés par l’activité bénévole. S’il n’y a pas d’argent à gagner, de rentabilité ou de bénéfice sous quelque nature que ce soit, il n’y a pas non plus d’intérêt pour le bénévolat, reconnaît la même interlocutrice. Ils ont le sentiment de perdre leur temps.

Dans le cahier de chaque groupe, le Président note l’assiduité et la ponctualité de chaque membre par la mention « bon », « mal », « X » ou « 0 ». En effet, selon le Président, certaines femmes, après avoir reçu l’argent, manifestent moins d’enthousiasme à venir participer aux réunions hebdomadaires ou à celles de la quinzaine. Suivant le nombre de « X » ou de « 0 », on peut sanctionner la négligente en diminuant de moitié, à l’avenir, le montant de la somme qu’elle aimerait emprunter au réseau des Caisses Populaires par l’intermédiaire des groupements féminins. Les frais de tenue de compte s’élèvent à 1200 CFA par mois.

Madame Salmata Boulsa, employée du Réseau des Caisses Populaires à Ouahigouya, représente celui-ci comme animatrice de leur programme en milieu rural. A cette fin, elle se rend à Aoréma toutes les semaines pour encaisser l’argent (bénéfices réalisés), établir et vérifier les comptes des différents groupes. Elle remet la somme du jour collectée aux trois femmes responsables de chaque groupe pour effectuer le versement sur le compte commun de l’association à la Caisse Populaire de Youba.


5 - Les difficultés rencontrées dans le fonctionnement de l’association

Madame Salmata Boulsa analyse de la manière suivante les écueils rencontrés sur le terrain. D’abord, la sensibilisation des femmes à l’intérêt et à la nécessité de l’association est très lente. Même quand elle se fait, on s’aperçoit que certaines femmes comprennent mal le sens de l’information et font tout le contraire de ce qui est exigé, conseillé. Il arrive que d’autres oublient les dates de remboursement ou de l’épargne. Dès lors, il est nécessaire qu’il y ait une information continue à l’intérieur de chaque groupe pour éviter nombre d’inconvénients ; la finalité étant de les conduire toutes à plus d’entraide. On prend soin d’éviter que les femmes d’un groupe soient mises au courant de la défaillance de l’un de ses membres afin d’éviter toute forme d’humiliation, d’ironie, de mépris. On remarque aussi l’attitude de certains maris qui s’opposent à la participation de leurs épouses aux réunions d’information sur le programme du Réseau des Caisses Populaires, voire à leurs activités de crainte que leur commerce ne les conduise à acquérir plus de liberté dans un contexte social et culturel dominé par l’Islam. Dès lors, suivant leur intérêt et leur accord, ces maris récalcitrants peuvent autoriser leur femme à sortir et à rentrer dans un sous-groupe de 4 à 5 femmes environ. Parfois, il faut l’intervention des leaders du village, comme le chef ou une personnalité influente comme Kassoum Ouédraogo, pour parvenir à atténuer leur résistance. Même là encore, de nombreuses réunions publiques avec de tels maris et leurs femmes sont nécessaires pour présenter, expliquer le bien-fondé de l’initiative du Réseau des Caisses Populaires à Aoréma et, finalement, les persuader.

Ensuite, il y a des mésententes assez fréquentes à l’intérieur des sous-groupe (les femmes d’une même concession ou cour). C’est souvent le fait des co-épouses qui se jalousent et sont promptes à se réjouir du malheur et des faux pas des unes et des autres. Toutefois, elle reconnaît que globalement les activités des groupements marchent plutôt bien à Aoréma, lesquels sont souvent cités en exemple dans le Yatenga.


6 - Finalité des groupements féminins d’Aoréma

Monsieur Kassoum Ouédraogo, tout autant que Madame Salmata Boulsa, affirment que les intérêts de la Caisse Populaire générés par l’activité des groupements des femmes à Aoréma servent à financer certains travaux collectifs comme les dépenses de la commune. Ainsi, quel que soit le montant d’un prêt, chacun doit verser 100 Fr CFA par mois sur la caisse commune : somme qui sert à dépanner ou à entretenir les pompes d’eau villageoises, le moulin à grain, la construction de maternité. En ce sens, l’activité des femmes contribue au développement du village. Elles achètent aussi des céréales (mil, sorgho etc.) pendant les récoltes, période où leur prix est très faible, pour les revendre avec une plus-value importante pendant la saison des pluies. D’un point de vue psychologique, elles éprouvent de la fierté à pouvoir gagner de l’argent personnel par la réalisation d’un certain bénéfice dans leur activité propre.


En outre, pendant la saison des travaux champêtres (saison des pluies), le travail des champs isole beaucoup les femmes. Les réunions bi-hebdomadaires du Réseau des Caisses Populaires leur permettent de maintenir, voire de créer des liens, contacts, amitiés, échanges de nouvelles, d’informations. Elles véhiculent l’information aux absentes par nécessité (enfant malade). C’est également pour elles l’occasion de s’instruire mutuellement de leurs échecs ou de leur succès dans leurs entreprises spécifiques.

Les activités des femmes permettent un relatif confort dans les familles. En effet, si l’homme a en charge de remplir ses greniers de mil et d’en distribuer de façon équitable en cas de besoin, la femme doit s’arranger pour trouver les condiments de la sauce. Elles prennent en charge également la santé de leurs enfants (achat de médicaments). Grâce aux fruits de leur activité mercantile, elles soulagent donc les familles au niveau de leurs dépenses quotidiennes, d’autant plus qu’une bonne partie des habitants du Burkina Faso vit dans une extrême pauvreté.


En définitive, on peut affirmer que les membres des groupements féminins d’Aoréma participent activement à la vie économique et au développement du village. Mieux, elles aspirent ainsi à une certaine autonomie et indépendance par rapport à leur mari dans cette région dominée par l’Islam où la mentalité voudrait domestiquer la femme. Elles visent ainsi à un enrichissement personnel. Enfin, si cette structure connaît un certain succès, malgré les difficultés réelles, c’est parce qu’elle se fonde sur le dynamisme, le savoir-faire, l’intelligence, le sens du bien public, de l’intérêt général de la femme. En ce sens, la femme, chez les peuples africains, apparaît comme l’avenir des pays africains par sa compétence et sa qualité de la gestion des affaires publiques.

1 - 1 Euro =556 F.CFA

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février 2006 par Pierre Bamony


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