Généalogie de l'Astrologie et filiation perverse

Illel Kieser 'l Baz, psychologue clinicien

 

Une astrologie qui pratique la fuite en avant et qui se désintéresse de ses origines, qui préfère les derniers astéroides découverts aux étoiles fixes connues de tout temps, est une astrologie qui n'a pour credo qu'un mimétisme à l'égard de l'astronomie contemporaine. Avec Jung, on est appelé à prendre en compte l'héritage collectif dont nous sommes, à travers l'astrologie notamment, tributaires. Refuser l'astrologie revient en fait à un refus, à un déni de la filiation. Ce qui est étrange, c'est que les astrologues eux-mêmes sont en porte à faux avec l'astrologie originelle et que par conséquent, trahissant leurs missions, ils ne peuvent aider nos contemporains à renouer avec leurs racines. Il est remarquable que ce malaise des astrologues face à une astrologie primordiale se manifeste également, de façon symptomatique, dans une sorte d'indifférence face à leur Histoire la plus récente, celle des dernières décennies, comme si des jeunes Français aujourd'hui ignoraient tout de ce qui s'est joué au XXe siècle pour la France et vivaient dans une sorte d'intemporalité. Les astrologues se plaignent de ne pas être reconnus, mais encore faudrait-il qu'ils se reconnaissent entre eux et reconnaissent leur propre généalogie, tant au niveau des textes que des hommes. En fait, le principal dysfonctionnement tiendrait à l'incapacité de la Cité scientifique astrologique de repérer en son sein ses éléments les plus performants et les orientations les plus porteuses, chacun finalement restant sur ses positions et aucune décantation ne parvenant à s'opérer.
JH

 

 

Dans son article « Le Milieu astrologique en France au XXe siècle » (sur ce site, même rubrique), Jacques Halbronn relève, à juste titre, que le mouvement astrologique français ne parvient pas à établir vraiment sa propre généalogie de manière équitable et rigoureuse. Se fondant sur une récente conférence de Robert Lenoble, Jacques Halbronn (voir son article) note, pour s’en étonner, que certains événements ou courants ont été oubliés…

Cela ne m’étonne pas du tout et il existe plusieurs raisons à cela.

Fréquentant les milieux astrologiques depuis 1973 j’ai, en effet, remarqué, durant la période des congrès – année 70-80, que les groupements astrologiques se comportaient de façon très autarcique et sans véritable souci d’échanges méthodologiques ou de débats épistémologiques avec d’autres groupes. Les congrès permettaient des échanges entre personnes, pas entre mouvements ou entre écoles. Chacun étant, le plus souvent dirigé par une ou deux personnalités charismatiques. (Consulter à ce sujet les différents annuaires et études que Jacques Halbronn a édités)

L’espoir de sortir de l’obscurantisme

Ce marquage personnel des courants astrologiques a largement contribué à l’échec des différents mouvements fédérateurs initiés, par exemple, par Danièle Rousseau ou par Denise Daprey. Ces essais fédérateurs furent-ils, comme le souligne J. Halbronn, le signe de l’émergence éphémère d’un leadership féminin ? C’est possible, compte tenu de la période – dans la lignée d’une prise de conscience globale du rôle de la femme dans la société, en général.

Cette période fut fertile en tentatives pour sortir l’astrologie de son ghetto mais c’est le courant anglo-saxon, plus précisément américain, qui en fut l’initiateur. C’est parce que les américains étaient moins sensibles aux clivages qui existaient dans les sciences humaines que le vocabulaire « astrologique » s’enrichit des apports théoriques de C. G. Jung.

Jung a longuement abordé l’astrologie dans ses travaux mais aucun chercheur français – hormis Luigi Aurigemma – n’avait osé transgressé les tabous qui figeaient la recherche dans les sciences humaines – plus précisément en psychologie. Ces tabous sont toujours vivants et il est souvent de mauvais aloi de se présenter comme psychologue tout en affirmant un intérêt quelconque pour l’astrologie. Le débat qui agita les milieux « scientifiques » à propos de la thèse d’Elizabeth Tessier témoigne de cet ostracisme qui frappe l’astrologie. (Cf. le site du CURA et, plus globalement sur Internet, tous les sites qui ont consacré de nombreuses pages à ce sujet.)

Les tentatives de synthèse entre Psychologie et Astrologie furent le fait des astrologues eux-mêmes et non des psychologues, précisément durant les années 80, souvent en reprenant les travaux de Karen Hamaker-Zondag ou de Liz Greene. Ainsi naquit l’astropsychologie (cf. de Karen Hamaker-Zondag, Astropsychology, The Aquarius Press, GB 1980) Il n’y eut jamais de psychoastrologie, voire d’étude psychologique des cycles et des rythmes humains. De ce point de vue, la psychologie a raté une voie d’évolution…

Les historiens ont bien moins de tabous et l’astrologie est un objet d’étude au même titre qu’un autre. Si Jacques Halbronn est reconnu par l’Université c’est bien plus comme historien de l’astrologie que comme théoricien de cette discipline, laquelle, d’ailleurs, n’existe pas au sein de l’université. (Voir cependant les travaux de Yves Lecerf et des chercheurs qu’il a formés)

En injectant du « psychologique » dans l’astrologie, le mouvement astrologique mondial s’est considérablement enrichi mais, dans le même temps, il a épousé les travers de la psychologie analytique et plus généralement de la psychanalyse.

La psychanalyse n’est jamais sortie de sa crise juvénile et n’a jamais dépassé les anathèmes lancés par son fondateur, S. Freud. La psychologie clinique, largement inspirée de la psychanalyse, demeure donc, un demi siècle après son apparition, une science éternellement jeune qui ne pourra évoluer qu’en ouvrant son champ sémantique à d’autres disciplines – histoire, ethnologie, anthropologie des sociétés, mathématique, etc. – et en abandonnant ses visées dogmatiques – pansexualisme, primauté de la conscience, universalité du complexe d’Œdipe.

Choisissant une « nouvelle fondation », changeant de lignée, l’Astrologie hérita également d’un environnement stérile pour la recherche. Devenue la bâtarde de la psychanalyse, elle s’embourba du même coup dans un terrible problème de filiation : la négation de son antique héritage.

Héritage et filiation

Du côté de la psychanalyse, il suffisait à Freud de prétendre qu’il allait hisser la psychologie hors du « trou noir de l’obscurantisme », pour fonder une pseudo science. L’illusion de la psychanalyse comme science dure encore. Que lui importait la négation des travaux antérieurs, ou ceux de Janet, le « petit français », que valaient les immenses sommes de travaux et de recherches accumulées au cours des siècles sur les comportements humains puisqu’on déclarait que tout cela reposait sur une sexualité mal vécue ou un Œdipe mal résolu ? La théorie psychanalytique se fondait sur le meurtre du père, sur la négation de toute antériorité, sur la rupture épistémologique. Et cela la sert encore puisqu’elle peut ainsi se nourrir de toute critique qui lui est adressée.

La psychanalyse – celle de Freud – fut un bel objet du XXe siècle car L’Homme moderne – et Occidental – s’est placé en rupture de tout ce qui l’avait précédé. Il s’est voulu en rupture totale de l’Histoire, se déclarant au sommet de la chaîne humaine et rejetant dans les limbes de la barbarie tout ce qui gênait sa volonté universaliste. Il fut, du même coup, l’auteur de toutes les démesures.

C’est, à mon avis, pour cette raison que C. G. Jung est très mal connu car il fut un des premiers psychologues à inscrire ses travaux à la fois dans l’Histoire et dans la globalité de l’espèce humaine.

L’astrologie ne pouvait opérer la même rupture que celle de la psychanalyse car son objet même se situe dans la recherche d’une filiation pour le sujet et l’inscription de celui-ci dans une globalité qui dépasse son champ de conscience. Il lui fallut opérer d’une autre manière que celle dont Freud avait usé.

Un vocabulaire rafraîchi

Le rafraîchissement que l’Astrologie crut opérer pour se sortir du ghetto de l’obscurantisme se situe à trois niveaux.

Au plan astronomique il fallut opérer un ajustement sur le placement des maisons et des planètes dans le Zodiaque. Il y eut donc des courants de pensée astrologiques qui adoptèrent des calculs plus « scientifiques ».

Au plan psychologique, on tenta, dans un premier temps de procéder par comparaison entre les vocabulaires de la psychologie et ceux de l’Astrologie puis on tenta une assimilation du premier au second. André Barbault proposa ainsi une première synthèse entre la psychanalyse et l’Astrologie.

Mais ce furent les américains et les anglais qui réussirent le mieux ce tour de force en choisissant plutôt les travaux de C. G. Jung comme support de ce qui devint l’astropsychologie ou l’astrologie humaniste.

On notera que la « prédiction » devient un exercice de plus en plus délicat que certains astrologues évitent désormais en réduisant leur astrologie à une sorte de psychologie dynamique.

On peut enfin citer les travaux de Jacques Halbronn qui préfère quant à lui se servir d’étoiles fixes pour repérer et qualifier des rythmes et des cycles, puisque le placement des planètes sur le thème astral n’a aucun sens en terme d’astronomie. Il reprend également une partie du vocabulaire de Jung, animus/anima, par exemple.

 

Globalement, ces rafraîchissement permirent aux courants astrologiques de demeurer de façon plus ou moins lointaine dans la filiation traditionnelle des Chaldéens – par les outils : planètes, maisons – tout en adoptant les valeurs de leur siècle et plus précisément les mœurs de la psychologie clinique – une jeune « science » qui se soucie assez peu d’épistémologie et du regard critique sur elle-même.

Puisque nous en sommes à cette période de jeunesse, ambitieuse et arrogante, il ne peut être question d’être équitable, de reconnaître à l’autre le mérite de ses recherches ou de ses découvertes. Il ne peut être envisagé d’incorporer à son propre vocabulaire les avancées d’un autre.

Comme le pratiquent les psychanalystes, on ne se reconnaît qu’entre semblables, les autres sont ignorés. Les oublis que Jacques Halbronn relèvent s’inscrivent dans cette logique.

Prévision ?

L’objet de la science est de savoir pour mieux prévoir… dit-on. Concernant le milieu astrologique francophone, est-il permis d’en prévoir l’évolution ? Celle-ci est indissociable du devenir des sciences humaines, de la psychologie clinique en particulier. Actuellement la psychologie subit le courant scientifique des neurosciences, on assiste à un impressionnant retour du comportementalisme et la clinique psychologique se médicalise de manière outrancière. À un siècle près, nous nous retrouvons au temps de la médecine conquérante, jetant son flambeau éclatant sur tous les archaïsmes. La mort de la psychanalyse, effective depuis les années 70 est désormais largement consacrée.

Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? Face au retour du nouveau rationalisme, nous pouvons prévoir un égal retour des fétichismes, ces derniers compensant la pression du premier. Il y aura donc du travail pour les féticheurs et autres marchands d’horoscopes. L’Astrologie court donc le risque d’une accentuation de ce que Jacques Halbronn nomme une « pathologie de l’éspitémé », une schyse, en quelque sorte. D’un côté, et avec retard par rapport à la psychologie, une partie des astrologues sera tentée d’aller encore plus loin dans le recours à la rigueur scientifique et au contrôle du discours. Je pense que ce mouvement est largement amorcé aujourd’hui et il ne peut en découler qu’une nouvelle astrologie qui serait consacrée à l’étude des rythmes et des cycles humains. Il est tout à fait possible que ce courant rejoigne sur ce point, dans un futur proche, les avancées de la biologie, de l’éthologie et de l’Histoire.

D’un autre côté, d’autres astrologues seront tentés de revenir à la pratique divinatoire, sans doute par un supposé « retour là la tradition » ce qui n’est pas sans rappeler un mouvement identique qui s’empare des religions partout dans le monde, par réaction, dit-on, à la déshumanisation du monde. Que cela anticipe sur un renouveau de la spiritualité est probable mais il nous faudra d’abord traverser la vague des intégrismes…

IBK, 01/04/2003

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