André Barbault et l'histoire du communisme

Jacques Halbronn, docteur ès Lettres

 

 

A la mémoire de Jacques Reverchon

 

 

 

Jacques Halbronn est en outre Docteur en Études Orientales sous la direction de Georges Vajda. Sa thèse est parue en 1985 sous le titre « Le monde juif et l'astrologie ». Il a tenté une expérience d'émigration en Israël au lendemain de la Guerre des Six Jours. Par ailleurs, il s'est spécialisé ces dernières années dans l'œuvre de Théodore Herzl et dans la genèse des Protocoles des Sages de Sion, qui constituent une partie de sa thèse d'État « Le texte prophétique en France ». Cette thèse est diffusée dans les bibliothèques universitaires, sur tout le territoire national, sur microfiche, sous la référence ANRT 34216.

Le communisme a joué un rôle important dans la recherche en astrologie mondiale d'André Barbault ; on peut même dire que c'est par cet angle là que l'on pénètre le mieux ses méthodes de travail, le traitement sémantique des textes qu'il produit, pour le pire et pour le meilleur. On peut d'ailleurs raisonnablement supposer que c'est sur ce sujet que Barbault aura connu ses plus grandes joies et ses plus grandes déconvenues...

On suivra donc Barbault, sur près de cinquante ans, depuis 1945, avec l'Astrologie Agricole, qui comporte un appendice sur les cycles et où il aborde le cycle Saturne-Neptune

jusqu'aux approches immédiates de l'An 2000. Il est rare, pour l'historien du texte prophétique que nous sommes, de pouvoir suivre un astrologue ou un prophète sur une aussi longue durée, commentant ainsi lui-même ses propres textes, reflétant inévitablement les enjeux idéologiques de son temps, en tout cas de sa génération.

1.      Une mort providentielle : 1953

Devant rédiger un article pour la fin de l'année 1952, dans le quotidien, l'Yonne Républicaine, le journal qu'A. B. lisait déjà avant guerre, celui-ci fait remarquer que la conjonction Saturne-Neptune va – formule qu'on appréciera plus loin – se reproduire. Or c'était, note A. B., cette même configuration qui s'était formée en 1917, année de la Révolution d'Octobre. Pourquoi, dès lors, ne pas annoncer un événement important pour la Russie, en 1953 ? Trois mois plus tard -puisque l'article considéré paraît pour le premier de l'an, Staline mourrait. C'est ce que l'on peut appeler une prévision à court terme avec des outils à long terme. Cela dut être pour Barbault, qui venait de franchir le cap de la trentaine, une grande satisfaction encore que nous n'avons pu vérifier s'il s'en était vanté dans les mois qui suivirent dans une revue.

 Cependant, la lecture des journaux de l'époque permettait de se rendre compte que les choses bougeaient et pourraient aboutir à quelque changement en Russie, même sans la mort de Staline qui n'est même pas un assassinat et qui en soi échappe peu ou prou à l'astrologie. Car qu'est ce que cet astrologue "moderne" qui croit que la mort "naturelle" est inscrite dans les astres ? Il aurait été en réalité plus convaincant si Staline avait été déchu.

Toujours est-il que, dès lors, Barbault fera figurer la date de 1953 au même titre que celle de 1917 comme étant "la" date importante depuis la Révolution d'Octobre.

En réalité, la conjonction s'était d'abord déjà formée en 1952 et l'année suivante, elle se reforme du fait des rétrogradations. D'ailleurs quand AB publie en 1945 son Astrologie agricole, il avance la date de 1952 et non de 1953. Autrement dit, le pronostic pour 1953 sent déjà le réchauffé. Il concernait initialement l'année précédente. A aucun moment A. B. ne s'en est expliqué ! On peut d'ailleurs se demander pourquoi il n'a pas donné l'année 1952...Tout se passe comme si A. B. s'était aperçu, au vu des événements qui se préparaient alors à Moscou, qu'il serait judicieux de se brancher finalement sur la "queue" de cette conjonction. Peut-être – qui sait ? – A. B. n'avait-il pas eu l'opportunité de publier son travail plus tôt ?

Au demeurant, il faudra encore quelque temps, notamment le XXe congrès du Parti Communiste d'Union Soviétique (PCUS)de 1956 pour que l'on puisse vraiment parler d'un nouveau cycle. Quant au moment où ce cycle, historiquement sinon célestement, va s'achever, cela est largement sujet à débat. Mais reconnaissons que sur le moment et sans recul cette mort de Staline a pu frapper les lecteurs et plus encore l'astrologue A. B. qui en fait une affaire personnelle. De là à faire de cette mort l'événement principal entre 1917 et 1989, il n'y avait qu'un pas ! En effet, par la suite, on peut être surpris que cette date reste en évidence dans les travaux de Barbault non pas comme une fin de cycle, mais comme "la" fin du cycle engagé en 1917 – la maladie et la mort de Lénine ont eu un effet également marquant, qui aboutit précisément à l'avènement de Staline – d'autant que son système exige une certaine précision, en raison des subdivisions mises en oeuvre, sur la base des aspects. 1953 n'est pas 1956. L'histoire de l'Union Soviétique comporte d'autres échéances d'importance au moins égale. 1953 ne revêt cette importance que parce qu'elle fonde le cycle Saturne-Neptune ! et parce que A. B. s'est impliqué dans son processus.

En réalité, on a du mal à comprendre ce que peut vouloir signifier un pronostic de la fin décembre 1952 concernant un événement se produisant tous les 36 ans ! S'il s'agit d'une périodicité aussi longue, il va de soi qu'elle se sera probablement manifestée déjà en 1952 de la même façon que A. B. attribue les événements de 1848 à cette même conjonction survenue deux ans plus tôt ! Que signifie dès lors un pronostic aussi tardif alors que l'astrologue est censé déjà vivre en cette nouvelle période : qu'a-t-il à annoncer qu'il ne connaisse déjà ?

On le conçoit : s'il avait rappelé que cette date lui tenait particulièrement à cœur, on lui en aurait fait le reproche. En revanche, en présentant cette date "à froid" comme une évidence historique rétrospective, cela passait mieux. Après 1989, A. B. baisse la garde et reconnaît son investissement personnel de façon à constituer un "doublé". A. B. aura donc annoncé et pas seulement expliqué après coup et 1953 et 1989. En réalité, ce pronostic de décembre 1952 corrige celui de 1945.

2.      La prophétie du plan septennal

En 1963, A. B. publie un petit livre, chez Albin Michel, qui annonce la prochaine suprématie de l'URSS ou plus exactement la confirmation d'un processus en cours, symbolisé par l'industrie spatiale soviétique. C'est "la Crise mondiale de 1965.Prévisions astrologiques" avec comme date de référence 1964.

C'est justement et cela n'est nullement un hasard-ce qu'affirme un Nikita Khrouchtchev dans son Rapport au XXIe congrès extraordinaire du Parti Communiste d'Union Soviétique (PCUS) et notamment dans un texte intitulé "Les chiffres de contrôle du développement de l'économie nationale de l'URSS pour 1959-1965". Texte prospectif dont A. B. fait son beurre.

Comment Barbault a-t-il pu croire que les dates avancées par Khrouctchev pouvaient être pertinentes sur le plan astrologique ? Car il ne saurait bien entendu s'agir d'une coïncidence, Barbault a bien calqué sa prophétie sur celle du plan septennal, qui ne fut décrété qu'en 1959. Un texte traduit en français paraissait dans la Collection "Etudes Soviétiques" : le Septennat soviétique (1959-1965)" et ce n'était point là un ouvrage rétrospectif.

Reverchon, dans son étude critique, Valeur des jugements et pronostics astrologiques, fascicule bilingue qui porte aussi un titre anglais, Value of the astrological judgements and forecasts (Département 91, Yerres) souligne, en 1971, ce rapprochement sans préciser que A. B. a purement et simplement emprunté à Mr K. Un assez mauvais calcul, au demeurant car soit le pronostic s’avérait juste et on aurait pu reprocher à A. B. d'avoir fondé sa prévision sur une autre prévision bien assurée, soit - comme ce fut le cas - le pronostic était démenti par les faits et l'astrologie n'en sortait pas grandie. En réalité, rien d'étonnant : pourquoi l'astrologue ne ferait-il pas alliance avec le politique ou l'économique pour étayer son propos prévisionnel, quitte à commettre un délit d'initié  ? Qu'est ce que ne seraient pas prêts à faire certains pour prouver qu'ils ont bien servi l'astrologie  ?

La décennie Soixante débute dans l'euphorie[1] dans le camp communiste et Barbault est emporté par cet enthousiasme aux relents prophétiques. Il reprend mot pour mot, date pour date, l'argumentation soviétique et communiste, pensant ainsi crédibiliser, avant et surtout après coup, son pronostic concernant le trigone Saturne-Neptune.

Il lui faudra assez vite déchanter et il passera sous silence ce grand rendez-vous de 1965 qui aurait du correspondre à un dépassement économique des USA par l'URSS, selon les termes mêmes de Khrouchtchev. On sait qu'il n'en fut rien et que ce sont les américains et non les russes qui débarquèrent les premiers en 1969 sur la Lune, malgré la prédiction de Barbault. Ce spectacle à la télévision a du sonner un temps le glas de ses vaticinations. Encore en 1967, dans Les Astres et l'Histoire (p. 309), il tient le pari de la victoire communiste. Pour cette étape d'antithèse – de 1965 à 1972 – « Mais ni le trigone Saturne-Neptune, ni l'opposition Saturne-Neptune ne parviendront à inverser les rapports de force entre les deux super puissances ».

En 1989, dans l'Astrologue, Barbault cite divers textes concernant sa prédiction. Or, curieusement, il omet de mentionner le texte suivant : pp. 308-30, (paru dans Les Astres et l'Histoire) :

« À la thèse, nous savons que les deux partants Américains et Russes posés, le premier avec une supériorité et une avance, le second une infériorité et un retard, dans la finalité d'une domination mondiale. A la synthèse nous avons vu se présenter la perspective de l'enfantement d'une société nouvelle, issue de cette double évolution mais où, en tant que tendance, le second partant aurait l'avantage sur le premier. »

Il lui en préfère un autre, figurant dans le même ouvrage :

« Ces deux partants sont en fin de course, l'un l'autre, pour la dernière destination de 1988-1989, à l'échéance de laquelle le monde tend à se renouveler pour enfanter une nouvelle société. »

Cette dernière formule est reprise après 1989  :

« Or, ces deux partants arrivent ici en fin de course au même point et au même moment, comme pour se fondre en un unique courant. Cette destination commune et unique de 1989, c'est l'échéance à laquelle le monde tend à se renouveler pour enfanter une nouvelle société. » (L'avenir du monde, p. 145)

Le choix par A. B. des textes qui attestent de sa prédiction n'est nullement innocent. Dans un cas, il s'agit bien de la victoire annoncée de l'Union Soviétique sur les USA en termes économiques et il est typique que A. B. ne cite aucun passage de sa Crise mondiale de 1965 :

« Tout donne finalement à penser qu'à l'arrivée de l'opposition de 1971-72, l'URSS vivra (...) un temps de dépassement en ayant "doublé" les USA. » (p. 98)

Dans l'autre cas, il est vaguement question d'une nouvelle société à l'échelle mondiale... Ce qui ne mange pas de pain. A. B. en évacuant ses propres formules malheureuses sur la prochaine victoire du communisme trahit ainsi son malaise.

Décidément, l'opposition Saturne-Neptune ne donne pas grand chose. Entre 1953 et 1989, on obtient 1971 et c'est alors que Reverchon, dans un texte bilingue, fait un constat d'échec... Certes, 1989 rachètera... 1971. Mais, il ne s'agit pas de jouer au casino, surtout si l'on se sert d'un même cycle : un succès ne saurait dans ce cas compenser un échec ! L'astrologie n'est pas le tir à l'arc !

En tout état de cause, dans quel état d'esprit se trouvait A. B. au lendemain de cette opposition Saturne-Neptune si décevante tant pour les communistes suivant la ligne de Khrouchtchev que pour les astrologues suivant la ligne de Barbault ?

Pudiquement, dans ses Entretiens (Pierre Horay) avec Michèle Reboul, A. B. note en 1978 :

« Une large confirmation de corrélations successives ayant été obtenue, nous nous sentons autorisés (sic) à pronostiquer une étape capitale pour le communisme et l'Union Soviétique à la nouvelle conjonction Saturne Neptune de 1989 et une crise préalable sous le carré de ces astres qui se produira en 1980. » (p. 86)

A cette date, il n'est pas disposé à reconnaître son échec. Il en sera différemment en 1989 dans l'Astrologue :

« Par contre, autant reconnaître que j'ai trébuché sur l'opposition de 1971-1972 (180°) estimée pouvoir correspondre à un dépassement de la puissance économique américaine (!) » (p. 4) Mais comment se fait-il qu'A.B. ne propose pas une autre lecture de cette opposition ? Il ne suffit pas de déclarer que l'on a trébuché, il eut convenu de corriger le tir ! Sinon, c'est réduire l'astrologie à une série de coups prévisionnels.

 

 

André Barbault est obsédé par l'idée que l'URSS et les USA fassent au moins jeu égal. Faute pour l'URSS de dépasser l'Amérique, il annonce encore en 1987 (L'Astrologue n°80) la confrontation entre les deux "empires" et ce précisément pour les années 1988-92, années de la conjonction Saturne Neptune mais aussi de celle de Saturne et d'Uranus et d'Uranus-Neptune mais là encore le déclin de l'URSS empêchera que cela se produise et d'ailleurs en 89, les Etats Unis ne joueront qu'un rôle assez secondaire. Et inversement quant à 1991, les russes ne seront eux-mêmes que des spectateurs forcés à la neutralité dans la Guerre du Golfe.

3.      L'ère Gorbatchev

Fin 1987, alors que Gorbatchev est déjà au pouvoir, A. B. publie un article dans sa revue. Il y est question pour 1989 des relations russo-américaines puisque en cette année là deux cycles se rejoignent. Or, le paradoxe, c'est que c'est précisément à partir de 1990 et de la Guerre du Golfe que l'on considère qu'il n'y a plus désormais qu'une seule super puissance ! Barbault lui aussi a complètement perdu son pari ! Dans son "Histoire d'une Prévision" (L'Astrologue, 4e trimestre 1989), A. B. ne sait pas encore que quelques mois plus tard, la marginalisation de l'URSS va se confirmer de façon éclatante sur la scène mondiale.

Certes, il se passe des choses importantes dans le bloc communiste autour de 1989 mais exactement en sens inverse de ce que Barbault avait annoncé. Pour donner l'impression qu'il a réussi, il est obligé de réduire son propre discours à un propos insignifiant : on passe d'un dépassement des USA par l'URSS à. une date importante dans l'histoire de l'URSS puis pour la paix du monde ! ! ! Mais alors, la question reste posée : est-ce que dans son ensemble le cycle Saturne-Neptune est ou non valable ? Car ce pronostic pour 1989 n'a de sens, du point de vue astrologique, que s'il s'inscrit dans une série passé et à venir satisfaisante.

Il y aurait donc réussite dans les dates et échec dans le pronostic de ce à quoi ces dates correspondraient. Mais si l'événement annoncé n'a pas eu lieu, quel sens pourrait avoir de dater un non événement ou un contre-événement ? Imaginons l'effet qu'un tel pronostic pourrait avoir à l'échelle individuelle.

Il n'y a même pas eu de guerre, avec un vainqueur et un vaincu, c'est le bloc communiste qui est tombé tout seule, de ses propres contradictions. Encore faudrait-il situer cela au sein d'un cycle des décolonisations et des indépendances. Au fond, A. B. aurait eu la chance que la date annoncée coincide avec un autre cycle qu'il n'a jamais étudié !

Bien plus, peut-on sérieusement, rétrospectivement, faire un lien entre 1989 et 1953 ? Est-ce que la mort de Staline mit fin alors à la domination de l'URSS sur l'Europe de l'Est ? Dès 1956, la répression soviétique en Hongrie démontrait le contraire et il faudra attendre précisément jusqu'en 1989 pour que les choses changent !

Prédiction ou prévision ? En ce qui concerne la date avancée de 1989 s'agit-il d'une prévision articulée sur un système cohérent ou bien d'une date obtenue par hasard voire par on ne sait quelle intuition ne relevant pas stricto sensu de l'astrologie ? On pense au Varennes de Nostradamus.

Dix ans après 1989, force est de constater que cette date n'a pas constitué le début d'un nouveau cycle pour la Russie. Il n'y a pas eu après la déstalinisation qui aurait débuté à la mort de Staline en 1953, un nouveau régime militaire, par exemple. 1989 n'a pas été marqué par une entente entre l'URSS et les USA pour le gouvernement du monde. Depuis l'époque de Gorbatchev, dans les années Quatre Vingt, la Russie n'a pas, avec Eltsine et Poutine, changé de régime quinze ans plus tard ! Le pouvoir n'est pas passé aux mains des généraux du type Lebed.

Il semble bien que les événements des années 88 - 89 appartiennent à un autre cycle que celui d'Uranus Neptune. Ceux-ci relèveraient, bien plus tôt, on l'a dit, de la décolonisation, ce qui n'est nullement propre aux dates de ce cycle, comme on l'a montré Ce processus frappe alternativement tel ou tel empire. Et d'ailleurs, la meilleure preuve que les événements ne sont pas propres à la Russie est qu'ils ont lieu ailleurs comme ce fut le cas en 1988 en Israël avec l'Intifada.(voir notre article in Ayanamsa 2000) Car le problème de cette affirmation d'un cycle réservé à un seul pays est que cela est falsifiable, cela exige que l'onde de choc s'arrête aux frontières.

4.      L'avenir du cycle Saturne-Neptune

En bonne logique, A. B. aurait du tout tabler sur ce cycle, le seul qui ait vraiment fait ses preuves et même consacrer un livre entier à ce seul cycle. Or, il n'en est rien. Bien au contraire, lorsque A. B. parle du début du XXIe siècle, il n'accorde au cycle Saturne-Neptune qu'une place bien modeste parmi d'autres cycles pourtant moins bien validés. Attitude somme toute surprenante comme si n'aurait pas suffi à sa gloire la mise en évidence de la réalité d'une influence planétaire sur l'Histoire des hommes. Mais peut-être pense-t-il que c'est tout ou rien et que si tel cycle "marche", il doit en être de même de tous les autres...

L'astrologue a besoin en outre d'un certain recul : en 1989, sous l'excitation de la réussite, A. B., dans le N° 89 de l'Astrologue (p. 19) n'hésite pas à baliser les vingt ans à venir sur la base du cycle Saturne-Neptune. Mais il ne semble pas qu'il ait eu le sentiment d'avoir réussi ses pronostics car il ne s'en fera pas l'écho dix ans plus tard, en 1998, dans ses « Prévisions astrologiques pour le nouveau millénaire » (p. 192) :

« Ce cycle (Saturne-Neptune) qui avait incarné l'idéal communiste d'une population laborieuse revient donc à la charge sous un jour nouveau de type coopératif ; là où le marxisme d'Etat a tragiquement échoué... »

Mais déjà en 1993, dans l'Avenir du Monde (Editions du Félin), le discours s'était édulcoré :

« La conjonction Saturne-Neptune est surtout (sic) expressive d'une promotion des couches inférieures de la population mondiale etc. »(p. 202)

On tombe dans l'insignifiance ! Exit la Russie, bonjour la générosité sociale : on est passé du communisme au socialisme bon teint ! Or la Russie existe toujours, on le sait avec le recul que n'avait pas encore A. B. qui réagit trop souvent à chaud, parfois plus en journaliste qu'en historien.

Parallèlement, A. B., à partir de Les Astres et l'Histoire, traite de l'indice de concentration planétaire et annonce une très grave conflagration pour la première moitié des Années 1980. Sur la quatrième de couverture de l'Astrologie Mondiale, en 1979, il est indiqué :

« Que nous réservent les années 1980 ? Une étape capitale pour le communisme et l'Union Soviétique à la nouvelle conjonction Saturne-Neptune de 1989. De 1981 à 1984, cinq conjonctions se renouvelleront entre les cinq planètes lentes qui, en 1982-1983, seront rassemblées en une zone d'exceptionnelle concentration  : celle-ci qui se reproduit tous les cinq siècles (…) annonce une phase particulièrement importante de l'histoire du monde. »

Or, que penser dès lors de la prévision pour 1989 qui fait suite à ces années annoncées comme catastrophiques et qui le seront beaucoup moins que Barbault a voulu le laisser entendre ? Est-ce que ces années de concentration planétaire n'étaient pas a priori susceptibles de marquer l'URSS plus encore que cette année 1989 ? C'est un peu comme ce prophète qui annonce la fin du monde et qui traite de l'avenir au delà de cette date comme si de rien n'était ! Barbault a-t-il annoncé que la troisième guerre mondiale du début des années 80 épargnerait l'URSS ? C'était hautement improbable. Si les choses s'étaient passé comme prévu par A. B. nul doute que l'URSS eut aussi traversé des heures graves. On voit donc là cohabiter plusieurs échéances liées à des systèmes prévisionnels distincts chez le même auteur. Mais, jusqu'à quel point, l'échec d'une prévision, chez celui-ci, peut-il compenser l'apparente réussite d'une autre ?

5.      Une révolution oubliée : 1905

Comment un historien du communisme réagit-il quand il voit l'historique proposé par Barbault concernant son étude du cycle Saturne-Neptune puisque c'est ce cycle que Barbault assigne au communisme et qui serait la clef de son devenir ?

Nous avons eu l'occasion d'étudier la question des deux révolutions à propos des Protocoles des Sages de Sion, dans notre thèse d'Etat, le Texte prophétique en France, (cf. article sur ce texte antisémite, en anglais, in Jewish studies, 2000). C'est en réalité autour de la Révolution de 1905 (F.X. Coquin. La révolution russe manquée, Paris, Ed. Complexe, 1985 et Colloque "1905. La première révolution russe", Paris, 1986) qui aboutit notamment à la création d'une Douma que l'on considéra d'abord que ce texte antisémite revêtait un caractère prophétique. Par la suite, l'on se reporta sur celle d'Octobre 1917 qui en était la répétition à une autre échelle.

Donnons d'abord la parole à A. B. narrant les grandes étapes du communisme, et faisons abstraction des correspondances astronomiques qu'il place en vis à vis. A. B. décrète qu'un nouveau cycle pour la Russie commence en 1917. Mais il prend ses désirs pour des réalités, tout simplement en raison de la conjonction Saturne-Neptune, l'Histoire n'a qu'à suivre :

"1882.... 1917....1952 " et il poursuit : "Donc 1917, c'est la conjonction et avec elle la prise de pouvoir"

En 1973, dans le Pronostic expérimental en astrologie (Payot), A. B. pariait encore sur les étapes successives – et pas seulement la conjonction et l'opposition – du cycle Saturne Neptune. Il ne s'y essaiera plus avant 1989.

Ce qui frappe le lecteur, c'est qu'à propos de ce cycle (pp. 149-150), A. B. ne dit rien pour 1971-1972 alors que l'ouvrage parait en 1973 et pour les années à venir, il se contente d'énumérer les aspects mais ne donne aucun pronostic. Bizarre ! On sent quand même une gêne dont il s'expliquera... en 1989 sur la déception de l'opposition pour 1971. En 1973, A . B. ne veut pas encore faire le bilan et constater l'échec alors il préfère ne rien inscrire. Quant à sa prévision du dépassement des USA par l'URSS, il ne reste plus qu'une modeste note : sextil (1959) : « période d'essor économique sans précédent et de supériorité technique et scientifique ». Mais cette période, combien de temps dure-t-elle ? Est-ce une "longue" ou une "courte" période ? A. B. navigue entre les phases de 36 ans et celles de 2/3 ans. C'est selon. Cela permet de limiter les dégâts des extrapolations : oui en 1959, il y avait un essor extraordinaire et c'est d'ailleurs pour cela qu'AB a fantasmé sur 1971. Il traite de l'économique comme du politique alors que l'économique est à long terme ! Mélange des genres ! Exit en fait l'économique qui est trop casse cou, bonjour le politique avec ses revirements constants, ce qui limite les dégâts. Quand on se trompe de tendance, c'est toujours par anticipation en politique alors qu'en économie, cela risque d'être rédhibitoire de façon définitive.

Tout se passe comme si, à lire Barbault, la Révolution de 1905 n'avait pas existé, comme si elle n'avait pas été une répétition générale. Comment A. B. peut-il faire abstraction dans son descriptif de cette date ? Comment, en fait, peut-il délimiter son étude à 1917 ? Comment une Michèle Reboul, en 1978, dans ses Entretiens, ne lui fait-elle pas remarquer une telle lacune ? Cette éclipse de la révolution de 1905 n'a jamais été signalée, à notre connaissance ni par Barbault, ni par ses lecteurs, ce qui en dit long sur l'esprit critique de ce public.

Comment ignorer que les deux révolutions sont couplées et que l'une prépare en quelque sorte la seconde ? Un Trotsky[2], notamment, a participé aux deux révolutions et la première fut, selon l'expression même de Lénine, une répétition générale de la seconde. L'affaire du Potemkine, reprise par Eisenstein, dans un film, est de 1905.

Plus grave, si 1917 est l'aboutissement de 1905, il n'y a pas à chercher d'aboutissement pour 1917 ! La boucle est bouclée et un nouveau cycle commence dont les enjeux seraient à définir. La mort de Lénine aurait assez bien convenu pour déterminer une nouvelle phase, qui pourrait être appelée stalinienne. Or, Yves Lenoble, dans son ouvrage sur les cycles (Ed. de l'ARRC), commentant Barbault, veut faire démarrer cette période stalinienne à 1917, ce qui permettrait de donner du sens à l'échéance de 1953.

Refuser la dualité 1905-1917, c'est ne pas comprendre que l'astrologie a pour vocation de situer une activité au sein d'un cycle, avec en effet une phase préparatoire, une phase de maturation et une phase de conclusion et de renouvellement.

Si l'astrologie a un discours à tenir sur l'Histoire, c'est bien celui de la répétition. (cf. P. L. Assoun, La répétition historique chez Marx, PUF, Reed 1999). D'autant que Barbault va retenir des événements infiniment moins importants pour correspondre aux aspects successifs qui rythment le cycle Saturne-Neptune. En dépit des publications successives que A. B. va consacrer à l'astrologie mondiale, il ne parviendra- ou ne tentera - jamais d' insérer 1905 dans son tableau ! Ce qui montre le carcan du système utilisé (cf. notre article in La lettre des Astrologues, 2000)

Or, entre 1881 et 1917, s'il fut une date importante, c'est bien celle de 1905. Malheureusement, elle ne correspond pas à l'opposition intermédiaire qui a lieu en 1897....Notons d'ailleurs 1881- 36 ans avant 1917 qu' A. B. aurait pu, au demeurant, citer l'assassinat du tsar Alexandre II. Il ne l'a pas fait.

6.      L'expansion soviétique en Europe

La Russie n'a nullement disparu en 1989 ! Et c'est l'URSS qui a éclaté et non la Russie qui en est de très loin la partie centrale et la plus massive, d'autant que les anciennes républiques de l'URSS en restent largement dépendantes., échappant pour l'heure à l'attraction de l'Union Européenne. Si les Etats d'Europe de l'Est ont retrouvé une indépendance perdue au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la Russie reste ce qu'elle est et son destin ne s'est pas arrêté. A ce propos, si 1989 a vu certains pays s'émanciper du joug soviétique, on aurait pu s'attendre à ce que le même cycle ait fixé le moment de leur asservissement et ce ne fut pas 1953 mais plutôt les années 1946-1948, en raison de l'occupation soviétique liée à la fin de la Seconde guerre mondiale. La domination soviétique en Europe de l'Est n'a pas commencé ni encore moins cessé en 1953 – les événements de Hongrie en 1956 et de Tchécoslovaquie en 1968 en témoignent – et par conséquent 1989 ne saurait faire pendant à cette date. Il faudrait la dater du reflux de l'armée allemande après Stalingrad, en 1942.

On aura probablement grossi l'importance pour l'avenir de 1989. Cela n'est pas plus important, en tout cas, que la perte par la France de ses colonies ! Or, voilà que Barbault décide que le communisme s'est effondré et qu'il n'y a donc plus de se servir du cycle Saturne Neptune à son endroit !

Logiquement, les astres se doivent de fixer le début et la fin d'un processus. A vrai dire, il nous semble que ces deux dates de 1917 et de 1953 sont des dates intermédiaires ou en tout pas des dates de commencement de cycle : 1917 vient à la suite de 1905 qui devrait donc être "conjonctionnel" et 1953 est bien moins pertinent par rapport à 1989 que les années 1940 (1942-1948) point de départ de la domination soviétique qui s'achève précisément en 1988-1989.

 Avec un recul de dix ans, on est amené à relativiser l'importance de cette perte des pays satellites pour la Russie, et la révolution de 1917 - tout comme celle de 1905 - concernait la seule Russie. 1989 n'a pas sonné le glas de la Russie, n'a pas non plus placé la Russie sur le même plan que les Etats Unis, n'a pas davantage rapproché l'une de l'autre. Aucun des scénarios envisagés par Barbault ne s'est réalisé.

On ne peut mélanger Russie et bloc communiste et surtout il ne faut pas lier les événements du lendemain de la Seconde Guerre Mondiale avec ceux du début du XXe siècle. A vrai dire si l'on revient sur le pronostic de l'Yonne Républicaine, du Ier janvier 1953, que faut-il comprendre de la formule : "Du fait que le parti communiste russe est né sous la conjonction de 1881 et qu'il a pris le pouvoir à celle de 1917, on doit penser que l'année 1953 sera capitale pour l'URSS"

A la rigueur, on pourrait considérer l'expansion du communisme soviétique au delà des frontières de la Russie comme un étape essentielle mais... Elle n'eut pas lieu en 1953. Comment A. B. ne s'est-il pas rendu compte qu'il ne prenait pas en compte ce qui s'était passé sous ses yeux au cours des dernières années ? La réponse est simple : il ne voulait voir l'Histoire qu'au travers les lunettes d'une certaine astrologie.

Etrangement A. B. semble ne pas accorder toute son importance à l'expansionisme soviétique dès 1939 à moins qu'il ne souhaite pas signaler cette affaire délicate du rapprochement entre Hitler et Staline qui perturba les communistes français : pas un mot de l'invasion conjuguée de la Pologne, du fait du pacte germano-soviétique ni d'ailleurs des "révolutions" communistes en Europe de l'Est, à la fin des années 1940, qui sont l'expression d'une véritable conquête. (voir La crise mondiale, pp. 92-93). Or, c'est bien cela qui justement sera remis en jeu en 1989 ! On nous parle de la fin de quelque chose dont on n'a pas bien situé l'origine.

Certes, A. B. s'est également consacré à une typologie événementielle, avec l'indice de concentration. Mais est-ce que la dialectique guerre/paix est vraiment pertinente ? Ne vaut-il pas mieux classer les conflits en plusieurs catégories ? Cette polarisation sur la "paix" relève presque d'une vision mythique de l'Histoire et on rappellera que la propagande russe a très fortement investi le mot "paix", ses adversaires apparaissant toujours comme ceux qui menacent la paix du monde. Toujours la rhétorique communiste !

Il importe que le chercheur en astrologie mondiale commence par analyser le terrain avant de chercher une corrélation planétaire : tout se passe comme si A. B. avait défini d'une part une philosophie cyclique de l'Histoire, faite d'étapes successives et de l'autre un modèle planétaire, sans être parvenu à ajuster ces deux niveaux.

Barbault utilise une grille qui fait alterner les moments de crise et les moments de progression et ce un an sur deux environ, par le jeu des aspects. N'est-ce pas là un rythme trop rapide et qui reste à la surface des choses ?

Conclusion

Il semble bien que Barbault, dans les années Cinquante, de même qu'il a souhaité relier l'astrologie à la psychanalyse freudienne, a été tenté de se servir du marxisme pour refonder l'astrologie mondiale.

Il est assez remarquable de voir Barbault commenter son propre texte sur Saturne-Neptune et s'accorder un satisfecit. Apparemment, c'est "le" pronostic de sa carrière. Pour aucun autre, A. B. n'aura fait une telle rétrospective. Il lui aura fallu attendre l'âge de 70 ans ou presque pour enfin toucher dans le mille ! Il revient de loin, depuis la déconvenue de 1971 et plus généralement, par delà l'erreur de date, la croyance utopique du dépassement historique des USA par l'URSS vouée à ne jamais se réaliser ! Il y a ceux qui se trompent dans la date d'une guerre mais au moins la guerre existe mais A. B. lui annonce un non-événement ! Qu'est ce qui est pire : annoncer un événement qui n'aura pas lieu – comme Barbault pour la Troisième Guerre Mondiale – ou ne pas annoncer un événement qui aura lieu. Barbault s'est beaucoup moqué de ces astrologues d'avant guerre – pas la sienne, mais la vraie – qui ont manqué le conflit. Mais la question reste ouverte : cette guerre était-elle inévitable et définitivement écrite dans le ciel ? Comment peut-on reprocher quelque chose qui aurait pu être évité ? De même, d'ailleurs, que rien ne prouve que la première Guerre Mondiale était inévitable. C'est là une vision somme toute assez naïve de l'Histoire. C'est justement le syndrome de la recherche rétrospective qui conduit à rechercher une justification de ce qui s'est finalement passé Il importe que le chercheur connaisse de très près tous les tenants et aboutissants et pas seulement ce qui s'est produit au bout du compte.

Mais d'un autre côté, est-ce une si bonne chose de faire des prévisions en astrologie mondiale plutôt que de rendre compte de la succession des événements ? Il est à craindre que l'astrologue ne s'implique trop personnellement et cherche ensuite à n'importe quel prix à interpréter ce qui se produit dans le sens de sa prévision. Par ailleurs, encore faudrait-il user, pour qualifier les rendez-vous annoncés, d'un langage un peu moins simpliste que le terme "important" ; on préfèrerait une typologie un peu plus élaborée. Quant à l'attribution de tel cycle à tel pays, cela nous laisse perplexe : nous ne croyons pas à un tel compartimentage. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, un cycle concerne automatiquement deux camps adverses, il est nécessairement ambivalent, favorisant alternativement les camps en présence.

Dès 1976, dans Clefs pour l'astrologie, parues chez Seghers (pp.158-160), nous avions avancé la date de 1988 comme devant correspondre à une période de décolonisation, à la mise à mal des empires. A. B. ne mentionne pas notre travail bien qu'il en ait fait la critique dans l'Astrologue. Il ne s'en fait pas davantage l'écho à propos de la réédition de 1993, lorsque, nous commentons les événements récents (pp. 134-138). A lire A. B., on a l'impression qu'il est le seul à écrire sur ce sujet ou que son approche est la seule digne d'être commentée. Hors de l'astrologie selon A. B., point de salut !.

Donc, en 1976, dans Clefs, nous montrions que le passage de Saturne au début du Cancer et du Capricorne correspondait toujours à une phase de 7 ans environ de démembrement des empires, de par le monde. Or, en 1988, Saturne entrait en Capricorne ! Nous ne désignions certes pas l'URSS pour 1988 mais notre système "prévoyait" le type d'événements auxquels l'URSS fut confrontée.

On nous fera remarquer que peut-être l'astrologie ne peut pas aller au delà d'un certain seuil de précision et que le bilan barbaultien reste somme toute globalement positif... C'est oublier ou ne pas vouloir comprendre qu'en deçà d'un certain seuil, les résultats obtenus ne sont tout simplement pas significatifs et relèvent du hasard qui fait se rencontrer les mots et les choses...

Il était important de montrer de quelle façon l'astrologue était marqué par les idéologies régnantes.

 

J. H. Le 3 juillet 2001 



[1] – Ph. Robrieux, Maurice Thorez, vie secrète et vie publique, Paris, Fayard, 1975, pp. 520-521.

[2] – P. Broué, Trotsky, Paris, Fayard, 1988, pp. 97 et seq.

Retour vers l'entête de rubriquePlan du site – Vers le haut de page En savoir plus sur l'auteur
Envoyez vos commentaires et vos questions au régisseur du site. Copyright © — 1997 Lierre & Coudrier éditeur