Science, conscience et inconscience

Jacques Halbronn

 

 

 

L’Humanité, selon nous, s’organise autour de trois modes, science, conscience, inconscience, ce qui signifie pour nous qu’elle se doit d’être ternaire en ce qui concerne ses composantes, ce que l’on pourrait appeler ses castes.

Chacun de ces modes a sa raison d’être et on ne saurait en parler en termes de supériorités ou d’infériorités sinon éventuellement de manques et encore de manques nécessaires si l’on admet que ces modes ne peuvent coexister au sein d’un seul et même ensemble. Mais il est vrai que chacun tend à revendiquer ce qu’on ne lui attribue pas au lieu d’approfondir ce qui est lui est propre.

La science est au centre de ce triptyque, elle est encadrée, en quelque sorte, par deux processus de désincarnations que sont la conscience et l’inconscience que nous commencerons à définir avant d’aborder ce que nous entendons ici par science, à moins de préciser que la science n’est ni de l’ordre de la conscience, ni de l’inconscience.

L’inconscience est pour nous liée à la notion d’automatisme. Ce qui se passe à notre insu, ce qui fonctionne sans notre volonté est inconscient ou plutôt tend à le devenir. L’inconscience est moins une perte de science que de conscience.

L’inconscient est , pour nous, lié à l’idée de Surmoi, dans la mesure où les manifestations surmoïques sont marquées par une certaine automatisation, par une certaine rigidité.

La conscience, pour sa part, est ce qui est au commencement des choses alors que l’inconscient serait plutôt un aboutissement. Tôt ou tard, nos comportements deviennent inconscients. La conscience, c’est aussi d’essayer de renouer avec le commencement des choses avant que celles-ci précisément ne deviennent inconscientes.

Ceux qui ont à incarner, à personnifier, ces fonctions de conscience et d’inconscience se placent, en quelque sorte, en marge, font oeuvre de résistance (cf. notre étude sur les “résistances”, sur le site Ramkat.free.fr)

Il importe avant tout de bien comprendre qu’il est heureux que ces deux fonctions soient déléguées et souhaitable qu’elles ne cohabitent pas au sein d’une même entité. Il est préférable qu’elles se placent dans un rapport dialectique les unes avec les autres.

Comment, dès lors, définir, le pôle central, celui de la Science, qui n’est ni conscience ni inconscient ? La science serait un état qui ne serait ni celui du commencement des choses, de l’avant-vie, ni de leur fin, lorsque ces choses sont automatisées et dans le prolongement de la vie, dans une sorte d’après-vie qu’on peut appeler mort. Ainsi, conscience et inconscient ne seraient pas tout à fait ou encore la vie mais un prémisse ou un souvenir de vie, involutif ou évolutif.

Mais quel est donc ce milieu entre conscience et inconscient que nous désignons par science et dont l’existence, en un certain équilibre, serait conditionnée par ces deux instances que sont la conscience et l’inconscient, qui sont toutes deux des rappels à un certain projet ou à un certain ordre ?

A moins que la Science ne soit la résultante d’ un mélange, d’un dosage, de conscience et d’inconscient... On pourrait parler de l’expression d’une certaine liberté, tant face au projet, ce qui a été prévu, programmé, que face à un engrenage irréversible et contraignant.

Une liberté qui ne s’en appuierait pas moins sur certains automatismes afin de ne pas s’épuiser dans une perpétuelle improvisation mais aussi qui entretiendrait une certaine dynamique créatrice échappant à la sclérose.

Selon nous, ces trois instances correspondent à trois ensembles de signifiants  : les femmes pour l’inconscient, les hommes pour la science et les juifs pour la conscience qui se situeraient dans une sorte de neutralité (cf. nos études sur la consciencialité juive, sur le site Ramkat.free.fr). On notera que nombre de langues ont trois genres, comme c’est le cas pour l’allemand (der, masculin, die, féminin, das, neutre).

Conscience et inconscient sont des forces antagonistes, obéissant à des logiques opposées : on ne peut à la fois être dans l’esquisse et dans le parachèvement et en fait on ne peut rester indéfiniment ni dans l’un, ni dans l’autre. En revanche, l’état de science est plus viable, plus vivable au quotidien, c’est un savoir vivre.

Cet état dit de science est une tentative médiane/médiatrice, entre l’avant-vie, lorsque tout est encore possible et l’après-vie, lorsque plus rien ne l’est. La science explore une marge de manœuvre entre le trop de vie et le trop de mort, entre le chaud et le froid, au fond elle se situe dans une sorte de tiédeur, entre l’hyperconscience qui souligne l’arbitraire des choses et l’inconscient figé pour l’éternité et qui n’est plus que répétition et enregistrement. La science implique au fond d’assumer, de gérer, un certain absurde au sens existentialiste d’un Albert Camus.

Epistémologiquement, ces trois positionnements se complètent : la conscience dévoile la genèse des choses, tend vers leur point origine, elle est fondamentalement diachronique, l’inconscient se situe dans le synchronique, dans le systématique et la science – on pourrait parler du scientique – cherche à desserrer l’étau constitué par ces deux instances quelque peu paralysantes par leur exigence radicale et inquisitrice de table rase (tabula rasa) ou de table toute arrangée (on notera le nom d’un traité juif important du XVIe siècle, dû à Joseph Caro, intitulé Shoulhan Aroukh, la table mise, préparée où tout est prévu de ce qui se fait et ne se fait pas, il s’agit là, on s’en doute d’un judaïsme nullement conscientiel !), face au dilemme d’ une tête trop bien faite, et d’une tête trop bien remplie.

Le champ scientique, comme nous le désignerons désormais, ne se veut ni servile ni asservissant. Il ne veut pas – ni esclave, ni maître – être servile en se conformant à des processus mécaniques et il ne se veut pas asservissant en se situant au niveau du créateur/Créateur, du big bang. On notera que des mots comme genèse, comme création, sont associés au judaïsme.

Le champ scientique ne se veut ni dans l’incertitude de la consciencialité ni dans les certitudes de l’inconsciencialité. On dira qu’il assume le devenir des choses, comme une cote mal taillée, il est plus du côté du hasard que de la nécessité, du côté du mimétisme et du syncrétique, il serait dans une praxis du fait accompli, dont on peut se demander si elle ne serait pas luciférienne.

Le scientique aurait donc à voir avec la voie diabolique, satanique, et l’on conçoit mieux le combat avec le conscientiel qui a abouti, il y a soixante ans, à la Shoa, à l’extermination de six millions de juifs. Le scandale n’est pas dû au fait que l’on ait tué des “innocents”, des enfants car le juif est signifiant avant d’être signifié, il n’a pas d’âge, mais d’avoir voulu annihiler, déraciner, une instance primordiale de l’Humanité, faisant ainsi disparaître le camp du Créateur.

Cela dit, l’Etat d’Israël, en tant que tel, n’échappe nullement à ce luciférisme, à cette offrande inespérée du contingent qui le conduisit, notamment, au lendemain de la Guerre des Six Jours, à conserver des territoires qu’il n’avait pas prévu d’obtenir et qui lui furent attribués par les hasards de la guerre, se laissant ainsi dicter son destin par un aléa ô combien tentateur et scientique. On pourrait d’ailleurs remonter plus en amont et se demander si la Déclaration Balfour de 1917, émanant des Anglais, et relevant d’une forme de manipulation (cf. R. Sharif, Non-jewish Zionism. Its roots in Western History, Londres, 1983 ; Bibl. Alliance Israélite Universelle, cote A 2465) n’appartient pas à ce même registre du diabolique. On ne sera pas surpris, au demeurant, de voir les juifs du conscientiel, de l’ontologique devant se défendre face aux tentations scientiques, phénoménologiques.

Quid de l’inconscientiel ? Nous l’avons associé, dans divers écrits (sur le site ramkat.free.fr, rubrique xenica), à la mort non pas physique mais spirituelle et en ce sens, il s’oppose tant au conscientiel qu’au scientique, de par son caractère figeant, perpétuant ce qui est à l’infini, en une sorte de purgatoire fort peu exaltant et sinon aléatoire du moins dérisoire. Ce mode du dérisoire est celui où l’objet importe moins que le sujet et où tout ce qui se dit et se fait est transfiguré et sublimé, ce qui est bien une forme de désincarnation qui confère aux activités humaines un caractère purement ludique.

On sera certes tenté de rapprocher nos trois plans des représentations freudiennes  : au fond, nous nous situons au niveau de l’Humanité et non à celui de l’individu. L’approche jungienne serait plus en phase avec la nôtre en ce qui concerne l’Inconscient Collectif tout comme pour ce qui est de la dialectique du masculin et du féminin, à condition de ne pas la réduire à une simple structuration de la psyché. Il reste que notre démarche s’inscrit probablement dans un certain prolongement de la psychanalyse.

Il est clair, en ce qui nous concerne, que les trois plans sont à respecter et à faire cohabiter au sein de l’Humanité, on n’imagine pas que l’on puisse se passer de l’un ou de l’autre. Le monde du conscientiel – qui ramène le présent au passé – n’a pas été aboli par le monde du scientique qui constitue une strate supplémentaire, surajoutée ; quant au monde de l’inconscientiel, qui projette et prolonge le présent vers le futur – ce qui est le cas du champ technologique – il offre certainement un caractère stabilisant voire sécurisant.

On nous reprochera probablement, a priori, le rôle exorbitant que nous conférons au monde juif face au monde de l’humanité ordinaire et au monde technologique, dont la femme ferait partie et serait l’archétype. Pourtant, la Shoa, par son caractère “inhumain” semble avoir démontré ce que le signifiant juif avait d’exceptionnel et de différent. Il ne s’agit là nullement, selon nous, d’un phénomène aberrant, d’une sorte de modernité hallucinée, d’un artefact de l’Histoire, mais bel et bien de la manifestation d’un clivage fondamental et qui s’enracine dans les structures les plus anciennes de l’Humanité telle que nous la connaissons.

On comprendra que toute tentative pour situer les juifs parmi les nations (goyim) nous paraîtra suspecte et en ce sens, pour la France en particulier, tout communautarisme plaçant la minorité juive sur le même pied que la communauté musulmane serait l’expression caractérisée d’une praxis politique de fort mauvais aloi. C’est dire que la question juive n’est résolue ni en France ni en Israël et qu’il importe de la considérer et de la présenter avec de nouvelles grilles.

JH – 07. 05.03

Plan du site – Vers le haut de page En savoir plus sur l'auteur
Envoyez vos commentaires et vos questions au régisseur du site. Copyright © — 1997 Lierre & Coudrier éditeur