L'Homme et ses images intérieures

 Dialogue entre la Conscience et l'Inconscient

Illel Kieser

Cohérence du rituel

Loin d'être aléatoire, un rituel s'organise selon une loi dont la cohérence peut échapper provisoirement à la raison. Tel fut le cas pour cette enfant qui traduisait un malaise et le rétablissement d’une harmonie perturbée sous une forme gênante et impénétrable. Mais certains rituels ne choquent pas car leur modalité se glisse dans l’ensemble des coutumes indigènes dont il épouse les formes. La conscience est beaucoup plus perturbée par les actes dont la loi de cohérence se développe en dehors des canons d'une société.

Dualité

D’emblée il convient de préciser que la dualité Conscient – Inconscient est largement inappropriée. Elle établit une discontinuité, un seuil, une barrière, etc., toutes choses qui laissent à penser qu’il existe un ici et un en deçà. La réalité globale de l’être humain est bien plus complexe et ne saurait se réduire au passage d’un état à un autre, voire, en fait à des états limites : il n’existe pas, à ma connaissance d’état de totale inconscience, pas plus qu’il n’existe d’état de totale conscience. Ces mondes extrêmes appartiennent au dieux et, en tant que tels il représentent l’anéantissement de l’état d’être humain. Nous reviendrons plus loin sur ces affirmations pour leur donner un contenu psychologique. Néanmoins, nous garderons ces notions dans un premier temps et cela permettra de jeter un pont entre ces archaïsmes et une vision bien plus fondée sur le nuancement des états de l’âme humaine de l’Inconscient à la conscience.

Le rituel comme action de préservation

Un rituel circonscrit généralement une réalité psychique objective en décrivant un espace centré, doté d’un point d'entrée et d’un point de sortie, d’un haut et d’un bas. Plus tard, une cardinalisation plus complexe peut survenir, est, ouest, nord, sud, etc. A l’intérieur de cet espace nouvellement créé, la réalité peut prendre sa place selon un ordre acceptable pour le sujet. Le cerclage a pour fonction de réduire la charge d’angoisse provoquée par l’émergence de faits psychiques inopinés.

Un rituel n'est pas une coutume (voir ce mot dans le dictionnaire). Si cette dernière renvoie à des comportements standards fixés selon un code... coutumier, le rituel révèle la présence d'une réalité qui n'est pas encore codée, ni même validée par le fait coutumier. La coutume organise des actes familiers, le rituel circonscrit l'inopiné, l’étrange. Or face à l'impromptu, mus par des besoins très irrationnels, les humains ont de tous temps conçu des actes spécifiques, fortement organisés selon des règles parfois rigides. On a attribué ce processus scrupules au sentiment religieux mais rien n’est plus difficile à définir. Rien, dans un premier temps, ne nous permet de dire qu’il se trouve un « sentiment religieux » qui soit à l’origine de tels actes. Cependant, du point de vue psychologique, on peut dire que le rituel tente d'amener au champ de la coutume une réalité nouvelle et reconnu comme nécessaire, mais qui n'appartient pas encore à l'espace domestique, profane, qui lui est même étrangère. La construction d’un rituel obéit à une nécessité intrinsèque dont la portée n’a pas été décrite par la psychologie.

Si le premier exemple évoque l’objet transitionnel de Mélanie Klein, ce dernier tient aussi lieu de fétiche, une abstraction représentative d’un réseau de forces sur lequel on ne sait pratiquement rien. La projection de la libido sur le fétiche détourne celle-ci d’un premier objet, assurant la disparition des comportements gênants sans altérer les forces en présence.

Dans le deuxième exemple, la libido n’est pas projetée, le sujet tente d’en limiter le champ d’action.

Des deux anecdotes se dégagent des points communs qui distingue l’approche anthropothérapique[1] de la vision psychologique contemporaine. Le symptôme est ici considéré comme un élément autonome doué, qui plus est, d’un pouvoir réparateur. Il n’est nullement besoin de chercher un sens à ce signe ou symptôme et il est de loin préférable de ne pas fonctionner en terme de symptôme donc de pathologie. La découverte de sa finalité peut cependant permettre à la conscience de s’enrichir d’éléments porteurs et inventifs. En percevant ces données la conscience acquiert de nouveaux outils, comprenant mieux les voies profondes de la psyché, il peut en résulter une amplification du pouvoir réparateur.

Quand Freud, à la fin du XIXe siècle, saisit les vertus réparatrices de la catharsis, il fut mis en présence d’une entité – qu’il appela plus tard Inconscient –  dont il ne comprenait pas encore les mécanismes. Sa recherche ultérieure lui permit peu à peu de décrire un système de plus en plus complet dont la description qu’il en fit évolua en plusieurs topiques.

La question se pose sur la manière dont il est possible d’avoir accès aux contenus méconnus de la psyché.

En médecine classique, pour guérir, le médecin utilise ses connaissances afin d’enrayer le processus morbide. On est en présence d’une topique dans laquelle l’élément perturbateur ou destructeur doit être annihilé afin de laisser apparaître à nouveau les sources vives de la santé, conçue ici comme un terrain vierge d’agents négatifs. Sauf dans quelques rares cas, les vaccinations notamment, il ne viendrait pas à l’idée du médecin de se servir du facteur perturbateur pour renforcer les forces vives de l’entité humaine[2]. La médecine homéopathique s’appuie sur un tel processus, certaines méthodes de désensibilisation aussi, notamment les traitements anti-allergiques.

Malgré ces exceptions, la voie n’a pas été complètement explorée. La « réharmonisation »[3] globale de l’être passant par une sorte de dialogue avec le symptôme lequel est, par définition, réversible. Les textes anciens l’attestent, mais l’interprétation qui en est donnée varie selon les auteurs, l’expérience contemporaine également.

Si la psychologie moderne s’est appliquée à connaître pour les exploiter à son seul profit les rouages de l’âme, jamais n’a été posée la question d’une réciprocité des échanges entre la Conscience et l’entité nommée Inconscient. Mais, sans repère connu la réversibilité peut demeurer vide de sens. Il existe cependant une réponse interprétable dans la description faite des nombreux rituels et cérémonies qu’utilisent encore des cultures dites archaïques.[1] Mais avant de reprendre textuellement ces archaïsmes il importe de faire plusieurs remarques.

Il existe un folklore profus édifié autour de ce qui touche de près ou de loin à ces cérémonies; sa qualité dépend, à notre sens, de la lecture qui est faite encore de l’Inquisition et de la description fantasmagorique des sorcières. Notre raison est souvent altérée par ces présupposés. La magie est associé à des opérations d’ordre immatériel et insensées. On dit d’un événement qu’il est « magique » quand il semble s’accomplir comme par l’effet d’un miracle. Par contamination de l’opinion, l’action d’un sorcier ou d’un guérisseur apparaîtra « magique », c’est-à-dire sans cause ni raison. A mois que l’on attribue cela à une quelconque puissance religieuse, ce qui est une manière de dire la même chose. De ce point de vue les discours scientifiques et religieux s’associent dans une même forme de récupération. Sur le fond, que l’acte magique résulte d’un processus repérable et transmissible est une donnée étrangère à nos mentalités. Encore une fois, que la guérison psychologique survienne par la Parole, comme le prétend la psychanalyse, relève du même processus magique mais la psychanalyse a acquis des lettres de noblesse grâce à ses fondateurs, tous êtres raisonnables.[2]

La réversibilité de la communication entre les forces cachées d’une personne et sa Conscience suppose qu’il puisse être inventé des formes de langage accessibles de part et d’autre à une compréhension commune. De ce point de vue l’Inconscient ne serait plus une chose morte, constituée de sédiments historiques mais bel et bien un être vivant, ou un ensemble d’êtres vivants, doués du pouvoir de communiquer. Or, parlant d’être vivant, je dois ajouter que cela ne ressemble pas du tout à ce que nous nommons communément ainsi.

Il y a dans l’art un modèle possible de réversibilité. Le metteur en scène organise un espace scénographique au sein duquel plusieurs personnages évoluent dans un registre propre. À travers une succession de tableaux, cela raconte une histoire au spectateur venu là savourer ce spectacle, en percevoir le sens et la beauté. Le spectateur, à son tour peut amplifier ce qu’il a vu, en transmettre le contenu, ou même créer une dramaturgie semblable.


[1] - Je connais bien la culture Kabyle, je me suis également intéressé à la celle des indiens des Andes. Mais la médecine traditionnelle chinoise recèle nombre d’indications très utiles pour la compréhension des rituels traditionnels. Tout ceci doit nous conduire à reprendre la notion d’archaïsme des cultures. On nomme le plus souvent ainsi ce qui nous paraît lié à des cosmogonies que notre histoire valident comme antérieures au stade actuel de la civilisation. Le critère évolutionniste fait le reste. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun ethnologue de considérer comme potentiellement actuel les éléments de ces cultures.

[2] - Il n’en demeure pas moins que la psychanalyse fonctionne selon des modalités plus proches de celles des sectes que d’une discipline scientifique. Fonctionnement intimistes, recrutement très sélectif et tribal, organisation par cartel ou par écoles, absence de congrès international permettant la libre circulation des nouvelles données, absence de publications qui prendraient le relais des congrès annuels, etc. Tout cela porte à croire que cette discipline étrange, qui se nourrit des critiques qui lui sont adressées, ne pourra pas se renouveler ni s’enrichir de découvertes nouvelles et porteuses d’avenir. La psychanalyse, née avec le siècle, fut emportée avec lui. Cela pose cependant un problème grave car les Sciences humaines sont actuellement fortement morcelées et verrouillées par l’impact ancien de la psychanalyse. Si bien qu’il n’existe aucune possibilité pour un chercheur en psychothérapie de faire connaître ses travaux, sinon la voie si ancienne de la bona fama. Au moment où l’on glose tant sur la vitesse des communications voilà une discipline qui avance avec des allures de Cromagnon.



[1] – Voir ce mot dans les articles de Hélène Massé, sur ce site, notamment « Danse et espace de l’image ».

[2] – À cette exception près que l’on crée des vaccins ou des antidotes contre certaines maladies à partir des agents pathogènes d’autres maladies.

[3] –Nous retrouverons plus tard cette notion en l’explicitant.

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