Toulouse branché

In

ManHauss

 

 

 

 

 

Depuis quelque temps, la fascination de l’opinion publique pour la  jet set va grandissant, son côté inaccessible étant alimenté par un important traitement médiatique. Une immersion récurrente dans un des établissements toulousains en vogue m’a paru le meilleur moyen d’embrasser l’ensemble des composantes de ce milieu. Club branché pour certains, lieu de perdition pour d’autres, je n’y ai pas trouvé de juste milieu.

 

A l’entrée, délit de faciès, et surtout de look : les lunettes colorées, les vêtements et accessoires années 70 ou 2010 sont lourdement recommandés, voire exigés. Il est également de bon ton de connaître les doux prénoms des deux piliers qui encadrent l’accès à l’un des lieux les plus réputés du Saint Samedi Soir. Messieurs X et Y, que j’appellerai ainsi pour ne pas les vexer, charmants avec les habitués, deviennent vite un brin agressifs si le pantalon est trop retroussé ou le pull entre deux époques. C’est ainsi que Monsieur Y déclare à l’un de mes amis, coupable ce soir-là de trop de laisser-aller : « C’est beaucoup te demander que de mettre une chemise correcte ? ». Cette règle d’or – pour tout fêtard nocturne parfaitement assumé – me paraît être l’exemple le plus flagrant de la superficialité ambiante. Autre type d’excuse pour vous refuser l’entrée : « Ce soir c’est réservé aux habitués, et je ne t’ai jamais vu ici ». Je refuse de m’habituer à cette ségrégation.

 

Dès le pas de la porte franchi, c’est au tour de la chaleur et de la fumée de nous agresser. Le style du lieu, long couloir rouge sombre, est « classieux » : hautes banquettes en velours, comptoir illuminé et éclairage tamisé. Malgré tous les efforts du designer, je n’y vois que froideur : ici, pas de trace d’une quelconque convivialité, qui est pourtant la qualité première des sorties toulousaines. La musique, mélange savant de house, de disco et de jazz, est originale et convenablement mixée, mais elle n’en est pas moins tonitruante, ce qui rend toute discussion impossible, à moins de hurler.

Journalistes, étudiants en école de commerce, publicistes, photographes quelle que soit la profession, les regards sont en biais… séduction ou dédain ? On vous détaille des pieds à la tête afin de juger si vous êtes digne de l’établissement. Et quand un quartet d’hommes d’affaires oublie sa distinction en jonglant avec une bouteille de champagne et en tenant péniblement le zinc, je me rappelle encore une fois l’hypocrisie de l’apparence. Ce qui est nécessaire à la reconnaissance des étiquettes dans une société se trouve à son paroxysme, et déforme le comportement humain naturel : travestissement oblige, le mensonge n’en est que renforcé. Même si tout le jeu réside là, l’amusement est moindre quand il est à nos dépends.

 

Lorsque la dose d’alcool prescrite n’est pas suffisamment dépassée pour pouvoir danser, l’illusion d’être à l’aise s’entretient en alignant les cigarettes et les verres, sévèrement vissé à son fauteuil. Ce qui est malsain pour l’esprit l’est aussi pour le corps : à la sortie – le plus tard est le mieux – les oreilles sont bourdonnantes, les poumons enfumés et les yeux embrumés. Le sentiment de ne pas avoir perdu son temps sauve-t-il l’ensemble pour autant ? La majorité de la clientèle, motivée par la renommée de le boîte, est convaincue d’avance que la nuit sera des plus folles ; elle s’assourdit consciemment et cherche surtout une reconnaissance, un regard.

 

Une chose est sûre pour moi, c’est que l’ennui y est au rendez-vous tous les week-end. Et s’il m’arrive de m’y amuser, c’est toujours avec dérision, car le second degré allège ma consternation. Toute l’ambiguïté est là : j’ai le désir de ne rien prendre au sérieux, tout en tentant de coller au tableau le maximum.

Les caricatures ont au moins le mérite de nous poser des garde-fous, et l’important est de se rappeler ses propres valeurs en rentrant chez soi. Le snobisme, qui n’est qu’une admiration pour les milieux branchés, est amusant à petite dose, mais il est dangereux dès qu’il devient contagieux.

 

Manhauss

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