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Parution originale in � Psych�, Revue
Internationale de Psychanalyse et des Sciences de l�Homme �, N� 8, juin
1947. Tous droits r�serv�s
Maryse Choisy
Ce qui
� caract�rise la psychanalyse en tant que science, c'est moins la mati�re
sur laquelle elle travaille que la technique dont elle se sert. On peut, sans
faire violence � sa nature, l'appliquer aussi bien � l'histoire de la
civilisation, � la science des religions et � la mythologie qu'� la th�orie des
n�vroses. Son seul but et sa seule contribution consistent � d�couvrir
l'inconscient dans la vie psychique. �[1] Aujourd'hui nous tenterons
de suivre le fil secret des mythes. Et d'abord
qu'est-ce qu'un mythe ? D'o� vient la chaleur qui s'en d�gage ? Pour r�pondre �
ces questions essentielles il faudrait d'abord examiner les �l�ments du mythe :
les symboles. Quel psychanalyste n'a �t� frapp� par la merveilleuse imbrication
des conflits infantiles dans les grands arch�types de l'histoire humaine ? Les
m�mes symboles qui troublent nos r�ves dorment' quelque part dans la m�moire
cosmique. Ce langage imag� est le seul dont l'inconscient dispose. Qui sait s'il ne remonte
pas au-del� du pith�canthrope ? Les quelques exp�riences faites sur les
dons artistiques des chimpanz�s le donneraient � supposer : � L'un des
singes voulant reproduire la chambre dans laquelle il �tait enferm� a dessin� �
grands traits la note dominante de cette pi�ce, c'est-�-dire la fen�tre. Un
autre voulant figurer son gardien, s'est born� | � tracer un �il vigilant moul�
sur une tige sans importance. �[2] Comment mieux expliquer
que la chambre, c'est d'abord la fen�tre par o� l'on peut sauter, que le
gardien, c'est le regard g�nant qui emp�che de fuir ? Le symbole est une action
virtuelle ou un obstacle � cette action. Il porte en lui tout son sens
biologique et son dynamisme. Des milliers d'ann�es le s�parent du verbalisme actuel. Le symbolisme fait partie
de la vie psychique inconsciente. C'est la � langue fondamentale �.
Ce v�ritable esp�ranto est un legs phylog�nique. � Contrairement aux
repr�sentations des r�ves qui, elles, sont vari�es, les interpr�tations des symboles sont on ne peut plus monotones �[3].
Et les condensations d'un Picasso sont plus proches du sch�ma dynamique
de cet �il sur un b�ton, dessin� par les chimpanz�s, que de la peinture artificielle et rationalis�e. Freud, le premier,
d�chiffra la r�alit� int�rieure derri�re les images du r�ve. C'est l� une de
ses plus int�ressantes d�cou- vertes. Combien pourtant l'ont tax�e de
� litt�rature � ! Combien ont cri� � l'arbitraire pour n'avoir
pas su l'assimiler ! � Des critiques bienveillants nous assurent qu'ils
seraient pr�ts � � accepter nos th�ses
si nous voulions bien renoncer � ce malheureux symbolisme. H�las, il est
� la base de tout. Et il est si peu arbitraire qu'il est affaire de
constatation, je dirais presque de statistique. Le symbole est en effet un
autre nom de l'association que personne ne conteste. Il sous-entend simplement en plus
que des r�actions affectives analogues se r�p�tent � l'�gard des objets associ�s. En d'autres termes, la th�orie du symbole revient �
substituer � l'association des id�es une association des tendances. En outre
elle ne se contente pas comme l'ancienne psychologie � tracer un cadre
th�orique mais elle d�crit d�j� certains de ces groupes associatifs concrets,
particuli�rement fixes. �[4] Le symbole repose donc sur
des associations. Tout se passe comme si les �l�ments li�s dans un de ces
symboles collectifs et qui correspondent en tous points aux �l�ments d'une
association individuelle, avaient besoin pour s'�veiller dans la m�moire
cosmique de revivre dans l'exp�rience de chaque enfant. Le symbole �ternel
renforce l'association particuli�re. L'association particuli�re le confirme. On songe au vieux dicton
herm�tique : � Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. � Et
pourquoi apr�s tout une r�alit� changerait-elle en s'incarnant dans un b�b�,
puisque les causes qui l'ont engendr�e
subsistent encore ? Mais la psychanalyse est
d'abord une science d'observation. Chaque
th�orie doit se sustenter de faits concrets. Pr�cis�ment les exemples
cliniques abondent dans ce domaine. Pfister[5]
cite le cas d'un petit gar�on qui � deux ans r�ve d'un ours. Il en a
terriblement peur. Une analyse montre clairement que cet ours n'est pas autre
chose que l'image du p�re. Le p�re est barbu, poilu. De plus il effraie
l'enfant avec un petit ours de bronze.
L'association para�t simple. Mais voici qui l'est
moins. C'est que pr�cis�ment l'association ours = p�re appartient au fonds
collectif et se retrouve dans divers folklores. Co�ncidence ? Allons donc !
Trop fr�quentes, ces sortes de co�ncidences ! Le hasard a bon dos. Pourquoi
r�ver d'un ours plut�t que d'un martinet ? Lui aussi s'associe avec un p�re
s�v�re. Chez le sujet de Pfister le symbole universel s'est cristallis� �
l'occasion du petit ours de bronze. Baudouin[6]
montre �galement comment chez Victor Hugo, par exemple, les symboles collectifs : aigle = p�re et empe�reur = p�re
viennent renforcer son association particuli�re qui pose l'�quivalence de son propre p�re, g�n�ral de l'Empire, de
l'aigle imp�rial et de Napol�on. A chaque instant
l'imagination enfantine recr�e les mythes ancestraux.
Comment ne pas invoquer ici cette fixation h�r�di�taire de certaines
associations si ch�re d�j� � Darwin ? Freud ne postule pas davantage lorsqu'il
replace le complexe d'�dipe dans son atmosph�re de tot�misme. Mais la th�orie jungienne
sur le mythe se rapproche davantage des
philosophies gestaltistes. La libre activit� de la fantaisie telle qu'elle s'exerce dans les r�ves, les
visions, les m�ditations, produit des formes qui apparaissent comme des
motifs caract�ristiques. C.-G. Jung mentionne les r�gulateurs essentiels : le
multiple chaotique et l'ordre, la dualit�, l'opposition du clair et du sombre,
du haut et du bas, de la droite et de la gauche, l'union des oppositions dans
un troisi�me terme, le quaternaire (carr�, croix), la rotation (cercle, boulet)
et finalement la convergence, l'ordonnance r�gl�e selon un syst�me quaternaire.
Dans la mesure o� l'�volution se laisse fixer sur des mat�riaux objectifs, il
semble bien que la convergence soit le sommet jamais d�pass� jusqu'ici. D'apr�s
l'exp�rience de Jung elle co�ncide pratiquement avec l'effet th�rapeutique le
plus puissant. Il estime que ces symboles
indiquent � la fois des abstrac�tions ext�rieures et les expressions les
plus simples des principes formels (Gestaltungsprinzipien)
op�ratifs. La r�alit� concr�te est infiniment plus vari�e et plus
intuitive. Elle d�passe le pouvoir des repr�sentations. Dans toutes les
mythologies du monde il n'est pas de motif qui n'�merge � l'occasion de ces formes. D'autre part, Charles
Baudouin, par ses travaux pratiques sur
l'inconscient collectif, a confirm� ce qu'on a trop longtemps consid�r�
comme une vue de l'esprit. Ainsi il a propos� � des nombreux sujets en analyse
comme inducteur d'associations l'image bipolaire telle qu'elle est
concr�tis�e dans l'embl�me chinois connu sous le nom de tai-ghi-tou (un
cercle divis� en deux parties �gales, blanche et noire, s�par�es par une ligne
en S. Au c�ur du renflement de la partie blanche figure un point noir et
sym�triquement un point blanc marque le renflement de la partie noire).
Naturellement Baudouin s'est assur� d'abord que ses sujets ignoraient la
signification officielle de ce symbole du tao�sme. Ensuite il leur a demand� de
dire ce qu'ils y voyaient (comme on peut voir certaines figures dans les nuages
ou les taches d'encre de Rohrschach). � partir de l� il les a pri�s de se laisser aller � une association d'id�es libre. Il les
a �cout�s pendant un quart d�heure sans intervenir. Le r�sultat de ses
observations est extr�mement troublant.[7]
A travers toutes ces r�ponses de sujets les plus vari�s courent les m�mes
th�mes, les m�mes r�actions. Mais plus saisissante encore que la co�ncidence de
ces associations spontan�es entre elles est leur co�ncidence avec la
signification que les ma�tres du tao�sme
eux-m�mes ont inscrit et r�sum� dans le tai-ghi-tou. De tels faits montrent que
la fantaisie men�e par ces r�gula�teurs inconscients se retrouve en fin de
compte identique aux c�l�bres monuments de l'activit� spirituelle transmis par
la tradition ou d�couverts par les ethnologues. Jusqu'� un certain point ces
symboles abstraits sont conscients. Qui ne peut compter quatre ? Qui donc
ignore ce qu'est un cercle ? Mais en tant que principes formatifs ils sont
inconscients comme est inconsciente leur signification psychologique. La main
qui conduit le crayon ou le pinceau, le pied qui esquisse le pas de danse, le
cerveau qui pense ne savent pas ce qui les inspire. Selon Jung un a priori inconscient
r�git le devenir de la forme. On a le sentiment d'�tre livr� � un hasard subjectif
sans limites et on ignore que chez le voisin l'inconscient conduit pour les m�mes raisons aux m�mes formes. Sur tout ce
processus semble planer je ne sais quelle obscure pr�monition de la
forme et aussi de son sens. Mais pour Jung forme et sens sont ici identiques. A
mesure que la forme na�t, le sens s'illumine. A vrai dire chaque forme
repr�sente son propre sens. Jung assure que
pour gu�rir ses malades il peut se passer de la signification. Mais la connaissance a des exigences plus s�v�res.
Elle veut des notions valables pour tous et qui ne soient pas donn�es a
priori. Pour cela il faut traduire le symbole �ternel toujours
pr�sent, toujours op�ratif, dans la langue scientifique de l'actualit� momentan�e. A partir de ces
exp�riences et de ces r�flexions, C.-G. Jung a
reconnu qu'il y a certaines conditions collectives inconscientes toujours pr�sentes qui agissent � la fois comme
r�gulateurs et comme stimulants de l�imagination cr�atrice. Elles
suscitent les formes correspondantes et utilisent le mat�riel conscient actuel.
Ces conditions, Jung les nomme arch�types. Dans la mesure o� les arch�types
moteurs s'engr�nent sur la formation des contenus inconscients, ils se
comportent comme des instincts. L'arch�type
jungien est donc une image pulsionnelle, un pattern of behaviour et
en m�me temps une dynamique. La r�alisation de la pulsion ne s'op�re pas
par la descente dans la sph�re instinctive, mais par l'assimilation de l'image
qui la symbolise. Contre cette descente au
contraire la conscience se r�volte. Elle a peur d'�tre aval�e par
l'inconscient de la sph�re pulsionnelle. Cette peur est � la source du mythe du
h�ros. Plus on s'approche du monde des instincts, plus violent s'affirme le
besoin de fuir la nuit pulsionnelle. Mais l'arch�type, forme primitive � incontemplable � en soi que nous ne connaissons qu'� travers les images arch�typiques, est un
but spirituel, miroitant devant la nature humaine. Vers cette mer, tous
les fleuves se fraient une voie en
m�andres. Pour lui le h�ros lutte contre le dragon. L'arch�type a beaucoup de
points communs avec les id�es-forces de Fouill�e. A la lumi�re des
connaissances psychanalytiques, Fouill�e
serre de plus pr�s les v�rit�s de la sociologie que ne le font Durkheim
ou L�vy-Bruhl, davantage rid�s par le temps. Mais l'arch�type rappelle aussi l'eidoz de Platon. Pourtant
Jung lui-m�me se d�fend contre l'interpr�tation m�ta�physique de ses
arch�types : � Certaines id�es se rencontrent en tous lieux et �
toutes les �poques. Elles peuvent m�me appara�tre, en quelque sorte, par
g�n�ration spontan�e, en dehors de toute immigration et de toute tradition...
Ceci n'est pas de la philosophie platonicienne, mais de la psychologie
empirique. �[8] Sur quoi Jung se base-t-il
donc pour affirmer que Platon ne faisait pas, lui aussi, de la
� psychologie empirique � ? Les traditions orphiques et
pythagoriciennes qui sous-tendent la doctrine
des eidoz ne sont pas des vues
intellectuelles comme nos philosophies contemporaines. Ce sont des exp�riences v�cues. L'initiation antique est une prise de conscience
concr�te d'une partie de l'inconscient collectif. Tout le malentendu vient
ici de l'interpr�tation anachronique de faits v�cus par la psych�.
L'explication rationnelle n'explique pas le contenu affectif. Ainsi le xixe si�cle s'est gargaris�
de mythes solaires. Mais que signifie le soleil pour l'inconscient collectif ?
S�rement pas un ph�nom�ne astronomique. Il repr�sente le man cr�ateur de
Dieu le P�re. Le ciel est � l'int�rieur de chacun de nous. Par
la psychanalyse nous nous apercevons que ces astres qui vivent en nous, qui progressent sur notre zodiaque
int�rieur, que ces arch�types ne sont pas seulement des figures d�coratives
communes � tous les hommes, ni m�me les poteaux indicateurs d'une croissance psychique. Qu'un psychiatre comme
Strauss les dise � formes imag�es donn�es � une id�e catathymique �[9]
ou que Baudouin les appelle des � n�uds d'�nergie �[10],
il est certain que les symboles fournissent la vraie clef dynamique de la vie. Ces grandes forces qui dorment dans le fonds commun de l'humanit� sont mises � la
disposition de chacun de nous. Mais alors ? Attention !
Il devient dangereux de jouer avec les symboles. On ne saurait brandir
impun�ment ni la gueule du dragon, ni la lance du h�ros, ni le croissant, ni le
triangle, ni la croix chr�tienne, ni le svastika. J'ai cont� ailleurs que la croix gamm�e � souvastika ou le svastika
aux potences invers�es � avait appartenu � une dynastie des rois Jainas
aupr�s desquels les Borgias n'�taient que de la petite bi�re. Notre �poque sait
le potentiel d'agressivit� qu'elle charrie. Dans le m�me article j'avais not�
que la Russie sovi�tique et ath�e a beau
entasser apr�s coup les explications, les dates, les documents,
� rationaliser � son embl�me, croire que son choix �tait volontaire,
l'�toile � cinq branches lui a �t� impos�e par son inconscient national. Il
n'est pas de symbole qui puisse mieux exprimer le � mat�rialisme
historique � de l'�volution humaine. Dans la mesure o� ils
mettent en �uvre des grands arch�types, le rituel, le blason, le drapeau, le
talisman m�me sont efficaces. Il ne s'agit
pas ici de magie, mais de dynamique. Baudouin souligne � que l'interpr�tation magique
attribuant une force propre (mana) � des paroles ou � des gestes rituels
ne serait erron�e que par son recours � un certain mode de transmission de la force. La force est l�, mais elle
est d'ordre psychologique. Il n'y a certes pas lieu de penser que de la
parole ou du geste magique �mane physiquement une action, mais ils �voquent
dans l'esprit une image charg�e d'�nergie et qui fait son �uvre[11].
Cela est peut-�tre fort humiliant pour le rationalisme superficiel de ces deux
derniers si�cles, mais il nous avait dessin� de l'homme une image si
dangereusement anodine qu'il a peut-�tre m�rit� quelque p�nitence. Aussi bien,
le moment est venu d'un rappel � l'humilit�. �[12] Une autre cons�quence
encore d�coule de la conception dynamique des grands symboles. S'ils poss�dent
une part de fixit� remarquable et une forte charge d'�nergie, ils doivent, une
fois excit�s, d�clencher une explosion dans un sens d�fini. Leur action
appara�t pr�cise et jusqu'� un certain point pr�visible. Baudouin nous a montr�
dans l'analyse de ses sujets les associations r�guli�res des arch�types.
� Tel symbole nous achemine vers tel autre, parce qu'il est la source d'un
courant d'�nergie ainsi orient�. �[13]
Nous somme ici � l'origine �nerg�tique du mythe. Nous pouvons m�me le d�finir
� drame formel d'une port�e restreinte ou universelle, dans lequel les personnages sont des symboles �.[14] Parce qu'ils fournissent
aux symboles un m�dium pour leurs relations r�ciproques, leurs combinaisons,
leurs condensations, les mythes permettent d'orienter leur courant d'�nergie,
de d�livrer et de r�aliser leur virtualit� dynamique. A la science d'extraire
la v�rit� des mythes. La valeur de certains mythes, comme par exemple le mythe
du progr�s, ne joue que pour un temps et un lieu donn�. D'autres au contraire,
demeurent vrais pour tous les temps et pour toutes les races. N�s des
constantes du c�ur humain, ils y trouvent toujours un �cho. M�me alors
pourtant leur histoire est faite d'une succession de verticales ascendantes et
d'horizontales ternes. Seule persiste � travers les �ges leur armature
rationnelle. Aux moments o�
l'inqui�tude fait rel�che, la science para�t s'�carter de ces condensateurs de
dynamisme. Aux moments de mue, les hommes cherchent � t�tons leurs mythes
oubli�s, les savants eux-m�mes orientent leurs travaux vers l'azimut du ciel,
les philosophes essaient de combler le foss� entre les vues des croyants sur
l'univers et les th�ories mat�rialistes. La vie et la mort des
mythes semblent donc suivre non pas le rythme des id�es pures, mais la pr�sence
ou l'absence de certaines circonstances particuli�res qui cr�ent des remous
affectifs et sociaux. Pour �chapper � l'angoisse du doute, au d�sordre, �
l'anarchie, les groupes humains se tournent vers le dynamisme des mythes. Mais
ce dynamisme ne saurait jouer qu'� travers des repr�sentations nouvelles et
dans de nouveaux �tats d'�quilibre de la soci�t�. La vieille image du Roi est
d�vitalis�e comme le sont du reste le r�gime
monarchique ou l'administration tsariste, par exemple. Le mythe originel
repara�t quand le groupe reporte son amour sur Napol�on et non sur Louis XVI, sur Staline et non sur un Romanoff. Apr�s la mort du P�re, il
faut un autre P�re. Mais le mythe du P�re, m�me transf�r� d'un objet � l'autre,
demeure �ternel. Cette formule maladroite, ce clich� politique et sociologique
: p�riodes altern�es de r�volution et de
r�action traduit en fin de
compte les �poques de d�passement du p�re o� le fils se r�volte, en
proie � l'angoisse de la mue, et les p�riodes d'�quilibre stable. Le mythe qui
poss�de le plus de dynamisme vaincra. Quand Hegel parle du meilleur id�al
repr�sent� par les arm�es triom�phantes, il ne dit pas autre chose que les
Freudiens. Certains mythes sont vrais
non seulement mythologiquement, mais aussi historiquement et ontologiquement.
Au th�ologien d'en faire la distinction. Le
psychologue, lui, n'examine que la v�rit� mythologique, c'est-�-dire la
capacit� dynamique du mythe pour l'int�gration ou la d�sint�gration de la psych� humaine, pour son ach�vement final
dans le Centre des centres, pour l'�tablissement de la paix entre
peuples et collectivit�s. Toutefois une psychologie solide li�e � une th�o�logie
solide me para�t utile. Tous les mythes sont
vrais. Rien n'est plus vrai qu'un mythe. La projection d'une collectivit� ne
fait qu'actualiser un ph�nom�ne int�rieur. Karl Marx aurait pu ne pas exister,
ou �tre un monsieur quelconque. Un farceur
qui aurait compos� le Capital en le signant Karl Marx aurait
obtenu exactement le m�me effet. Peu m'importe de savoir si �dipe et Jocaste
sont issus de l'imagination populaire ou sophoclienne, ou s'ils ont bu et mang�
comme vous et moi. Par cette r�sonance qu'ils trouvent en nous, ils ont plus de
r�alit� universelle que Monsieur et Madame Dupont en chair et en os que je peux
toucher du doigt tous les jours. L'existence est une
surd�termination, dans l'acception freudienne du mot. Par les analyses
cliniques nous savons que plus un symbole du r�ve est important, plus il est
surd�termin� � la fois dans les souvenirs refoul�s de l'enfance, dans
l'inconscient archa�que et dans les �v�nements actuels. De m�me plus un mythe
est vrai, plus il a de significations. Et toutes ses significations sont
exactes. Par exemple Fran�ois Berge donne plus loin comme anc�tre du carnaval,
le char naval, le char-bateau promen� en souvenir du D�luge � la pleine
lune du mois d'Anthest�rion (au d�but du printemps) pour la f�te des fleurs de
Dionysos. Mais la � kabbale fran�aise � des �sot�ristes fait d�river carnaval de carne vale, l'adieu
� la chair au d�but du car�me. Rationnellement et grammaticalement, les
deux �tymologies ne sauraient �tre vraies en m�me temps. Pour la logique
affective les deux sens ont leur sens et se rejoignent dans l'inconscient
collectif. De m�me, l'ogive des cath�drales symbolise-t-elle la vo�te des
arbres ou les mains qui prient ? Dans cet esprit, nous
publions, � titre de curiosit�, � c�t� de la tradition freudienne sur le
complexe d'�dipe, trop connue mais mal comprise parfois, l'interpr�tation
religieuse de ce grand hell�niste, Mario Meunier (en qui nous saluons le
nouveau laur�at de l'Acad�mie)[15],
l'interpr�tation adl�rienne de Mme Sofie Lazarsfeld et l'interpr�tation
jungienne de Bachofen comment�e par Raoul Hausmann. Loin d'�tre diminu�e �
travers toutes ces variantes, la valeur orthodoxe du complexe d'�dipe se trouve
� mon avis enrichie au contraire par une si parfaite correspondance entre le
collectif et l'individuel. Toutes les r�f�rences � la
linguistique, aux cycles solaires, � la m�t�orologie, aux rites de fertilisation
de la terre, au contenu sexuel, aux lois
cosmiques, sont vraies en elles-m�mes. Elles deviennent pu�riles d�s
qu'elles se pr�tendent arguments contre l'historicit�. Elles ne la prouvent ni
ne la d�truisent. Nouvelle sur
d�termination, l'historicit� ob�it � d'autres r�gles. Ainsi il para�t
absurde de nier la vie d'un saint sous pr�texte que sa date de naissance
� colle � trop bien avec une r�alit� d'ordre astronomique. Du moment
qu'un mythe est surd�termin� en raison
directe de sa valeur on con�oit que le surnaturel se donne les gants de
r�unir un maximum de r�alit�s. Tout est possible � l'Omnipuissance, m�me
l'existence. Un dieu' doit �tre une r�alit� dynamique, une r�alit� int�rieure,
une r�alit� psychologique en m�me temps qu'une r�alit� m�t�orologique,
physique, cosmique. Il peut souffrir en nous et � pourquoi pas ? � souffrir
sous Ponce Pilate, bien qu'� mon avis l'historicit� ne soit pas la part
essentielle. Il peut aussi �tre pr�figur�, pressenti en d'autres mythes,
d'autres noms, d'autres lieux, d'autres temps. Que
le symbolisme ne s'oppose pas � l'existence � comme le soutiennent ceux qui craignent les co�ncidences �
trouve une illustration amusante dans l'histoire de la psychanalyse elle-m�me. Supposons que la civilisation actuelle soit
annihil�e par une bombe atomique. Dans plusieurs si�cles, les savants
mat�rialistes de la terre neuve se pencheront sur cette curieuse religion que
fut la psychanalyse. Ils concluront que les trois demi-dieux qui
fond�rent le dogme '�taient des personnages mythiques. Leur
raisonnement sera impeccable. En effet, d�montreront-ils, comment accepter que Freud, Adler, Jung soient
des noms d'�tat-civil � la mani�re des Dupont, Millier, Smith ou Popoff. De toute �vidence ce sont l� des sobriquets symboliques
donn�s en vertu de la doctrine qu'ils repr�sentaient. Freud a
soutenu que le principe de plaisir r�gissait
toute notre vie affective. Freud signifie
joie en allemand. Adler a impos� sa th�orie de la volont� de
puissance. Qui ignore qu�Adler est la traduction d�aigle ? Le symbole est
transparent. Et Jung ? Il s'est sp�cialis� dans les archa�smes de
l'inconscient collectif. Jung veut dire jeune. Il a retrouv� la
jeunesse de l'humanit�. Et vous voulez me faire croire que ces trois types-l�
ont v�cu ? La co�ncidente a la part trop
belle. Il y aura peut-�tre �
cette �poque quelques esprits irrationnels qui parleront de l'influence des
noms, du logos, de l'omniscience de l'inconscient et autres sottises
litt�raires. Mais la science officielle les aura vite r�duits au silence.
Encore une fois, m�me dans cet exemple absurde, � la limite, l'historicit� est
d'une importance secondaire. Pour nous, psychologues, un mythe est vrai s'il
d�gage une certaine quantit� de dynamisme. Notre �poque n'a-t-elle
pas invent� des mythes nouveaux ? A chaque instant elle en propose. Mais nous
les appelons par d'autres noms. La foi moderne exige une th�orie scientifique
pour oser s'affirmer. Nos mythes ne portent plus les syllabes harmonieuses d'Oidipous
ou lokastis. Ils se camouflent sous la
d�sinence plus 1947 de isme � What�s in a name ? �... La rose de
la Juliette shakespearienne sent aussi bon sous un autre nom. L'essentiel n'est
pas dans les lettres qui pr�c�dent un isme, mais dans le dynamisme qu'elles
charrient. Chaque fois qu'un mythe
na�t, nous courons vers lui avec tout notre enthousiasme. Nous esp�rons qu'il
accordera aux hommes le libre �panouissement. En effet un certain
�panouissement a lieu. Mais le soir, � l'heure des comptes, il nous appara�t toujours trop ch�rement achet�, avec tant de
sacrifices, tant de destructions. Et chaque fois nous nous demandons si
le jeu paie la chandelle. Nous
oublions que les mythes valent ce que valent les hommes qui les nourrissent. Nous oublions que le mythe est
une projection ext�rieure du conflit entre les instincts de vie et les
instincts de mort, du conflit amour-haine, au plus secret des �mes. Voil�
pourquoi tous les mythes cultivent l'amour pour certains �tres et la haine pour
les autres. Il leur faut des alli�s et des ennemis.
� Dans les ennemis ils rangent tous ceux qui s'opposent � la
convention mythique, soit par leurs actes, soit par leur existence m�me, soit
parce qu'ils ont le malheur de prouver que le syst�me auquel on a besoin de
croire, ne s'impose pas rationnellement � toutes les intelligences. �[16] Les m�mes m�canismes qui
jouent pour les individus jouent aussi pour les groupes. La psychanalyse a
montr� comment les conflits int�rieurs se
balancent entre la perversion et la n�vrose. � Une
n�vrose est le n�gatif d'une perversion. � Pendant la p�riode de
perversion, l'�tre donne libre cours � ses pulsions instinctives, brutes,
infantiles, anarchiques. Mais il se heurte aux r�actions violentes de la
famille et de la soci�t�. Alors, effray� devant le scandale, le d�sordre, les
cons�quences impr�vues o� ses actes l'entra�nent il se r�fugie dans la n�vrose,
c'est-�-dire dans une inhibition exag�r�e. Il n'ose plus rien faire. Il se
m�fie de ses meilleurs dons. Il s'interdit la moindre expression non censur�e.
Il cherche un p�re. Il se souvient que son premier compromis avec le monde
ext�rieur fut acquis gr�ce � cette premi�re autorit� accept�e. Il fera donc un
transfert de p�re sur le chef qui passera � port�e de son angoisse. Les peuples aussi ont
leurs �poques de d�charges affectives o� vole un � souffle
r�volutionnaire �. Mais les exc�s m�mes de l'agressivit� cr�ent la
panique. Et (si paradoxal que cela paraisse) les plus �pris de libert� se
tournent alors vers le dictateur � souvent parano�aque � sur lequel se
condensera leur angoisse. Puis vient le moment o� ce dictateur lui-m�me aura
fini sa mission. Comme l'a montr� Laforgue, � son tour il sera sacrifi�. Son
r�le ultime consistera � jouer le bouc �missaire. Il n'est pas d�fendu
d'esp�rer qu'un jour l'�me collective atteindra le stade o� ce dynamisme
instinctif s'exprimera en cr�ations harmonieuses et non plus en gestes
destructeurs. C'est la question m�me que
pose Paul Val�ry : � II s'agit de savoir si ce monde prodigieusement
transform�, mais terriblement boulevers� par tant de puissance appliqu�e avec
tant d'imprudence, peut enfin recevoir un statut rationnel, peut revenir
rapidement, ou plut�t peut arriver rapidement � un �tat d'�quilibre supportable
? En d'autres termes, l'esprit peut-il nous tirer de l'�tat o� il nous a
mis ? Notez que le mot � rationnel � que je viens
d'employer est, au fond, l'�quivalent du mot � rapidement �, car
il est certain que l'�quilibre rena�tra fatalement, comme l'�quilibre s'est
r�tabli apr�s la ruine de l'empire romain, mais il ne s'est r�tabli qu'au bout
de plusieurs si�cles. Il s'est r�tabli par les faits, tandis que la
question que je pose est celle de savoir si l'esprit, agissant directement et imm�diatement, pourra r�tablir rationnellement,
c'est-�-dire rapidement, un certain �quilibre en quelques
ann�es. �[17] C'est que pr�cis�ment je
ne crois pas que � le mot rationnel soit tout � fait l'�quivalent
du mot rapidement �. Je me m�fie des lenteurs de l'intelligence
pure. Pour � arriver rapidement � un �tat d'�quilibre
supportable � il faut un �lan dynamique que le � rationnel �
� lui seul para�t incapable de fournir. Le � rationnel �
demeure n�anmoins indispensable pour l'arrangement syst�matique de la mati�re
dynamique. Sans la prise de conscience, les �l�ments de l'inconscient sont
st�riles. Ainsi j'ai vu ce mois deux
pi�ces que l'irrempla�able Jouvet a r�unies
(avec astuce ou par hasard ?) sur le m�me programme. Henriette Brunot
vous en parlera longuement plus loin. Les bonnes de M. Gen�t avaient
trop de d�fauts litt�raires, esth�tiques et autres pour les �num�rer dans cet
espace restreint. Une telle agressivit� se d�gageait de cette �uvre que j'en
arrivais � ressentir une sorte de malaise, comme si un agent physique m'atteignait directement. C'�tait barbare,
affreux, r�gressif, infantile, stupide, haineux, atroce, fou... mais
dynamique. L'Apollon de Marsac, au contraire, apportait cette douceur de vivre, ce
charme giralducien, fruit d'une civilisation mill�naire, dont toute mon
adolescence �tait baign�e. La m�lancolie des choses finissantes donnait � cette
bluette, toute en sourires, la beaut� immat�rielle des h�ro�nes tragiques, la
gr�ce �mouvante des automnes dor�s. Ce r�ve avait une odeur de cendres.
Qu'est-ce qui mourait sous mes yeux que je ne reverrais plus, jamais plus, � Po� ? Quel Ave Caesar, morituri
? Tout ce
que j'avais aim�, tout ce que j'�tais capable d'aimer, se trouvait soudain
enterr�. Le pr�sent devenait pass�. On ne pouvait pas recommencer Giraudoux.
C'�tait d�j� de l'histoire, avec tout ce que l'histoire comporte d�unique. Au
soleil de midi la nuit est un mythe. Mais peut-�tre pouvait-on
prendre le contenu instinctif de Gen�t
et le civiliser � la Giraudoux ? Alors
j'ai song� au mot c�l�bre de ce pape � de ce tr�s grand pape � des premiers si�cles. Il avait tout fait
pour sauver ce qui restait de souffle latin. Mais Rome �tait finie. Sans appel
finie. L'�glise ne devait pas lier sa fra�che vie � la mort. Et le plus
civilis� des papes dit simplement : � Passons aux Barbares ! Aux
�poques de mue, il faut savoir passer au camp des Barbares. Mais il faut �tre s�r, d'abord, que c'est
bien le camp de la plus grande vie. Allons
toujours � la plus grande vie. La vie est le vrai crit�re. L'amour du
neuf n'est pas un signe. Les vieillards blas�s aussi ont l'amour du neuf. Tant
de choses neuves contiennent � leur naissance un germe de mort. Tant d'enfants
s'�teignent quand les centenaires restent. Il est aussi des mythes mort-n�s. L'humanit� est encore
jeune. Qu'est-ce qu'une bagatelle de mille ou deux mille si�cles qui nous
s�pare du sinanthrope ? Les forces expansives qui permettent le
d�veloppement de l'�me collective et de cette unification finale o� chaque
individu garde ses vertus propres n'ont pas encore vaincu les forces
destructrices qui tendent � nous ramener au n�ant, ce n�ant auquel nous venons
� peine d'�chapper. Nous
sommes ce champ de bataille perp�tuel o� les instincts de vie triomphent pour quelques ann�es seulement
des instincts de mort qui nous reprennent � l'heure de l'agonie. Pour sortir de cette duperie individuelle, pour monter sur le
plan de l'�ternel, nous devons d'abord d�passer ce qui en nous est vou�
� la destruction finale. Seul l'amour oblatif � l'expression sup�rieure des
instincts de vie � peut nous faire acc�der au Tout et nous rendre ind�pendants
du temps, de l'espace, de la d�sint�gration. Quel mythe nous donnera rapidement
ce plus grand amour, pour vaincre la guerre et la destruction ? On cherche un mythe moderne... On cherche... Et s'il
�tait d�j� trouv�? Maryse Choisy In � Psych�, Revue
Internationale de Psychanalyse et des Sciences de l�Homme �, N� 8, juin
1947. Tous droits r�serv�s [1] � S. Freud, Introduction � la psychanalyse,
Payot, p. 416. [2] � Dr Fernand MERY : B�tes et gens devant
l'amour, p. 95. Cf. aussi sur les dessins des singes, les exp�riences de
Hachet-Souplet et mon propre livre : Quand les
b�tes sont amoureuses. [3] �Dr. Sigmund Freud, Introduction � la
psychanalyse, Payot, Paris, 1945. [4] � Charles Baudoin, L��me enfantine et la
psychanalyse, p. 49. [5] � Pfister, Die behandluny'schtuerarzichharer und
abnormer Kinder. [6] � Charles Baudouin, Victor Hugo. [7] � Charles Baudouin, Les symboles fixes, centres
d'�nergie, in Revue de Psychologie des
Peuples, n� 3, nov. 1946, p. 211. [8] � C.-G. Jung, Psychologie et religion, chap.
I. [9] � Catathymique est un mot employ� par
Kretschmer pour d�signer la conception magique de la pens�e : id�e = action. [10] � Cf. Baudouin, Mobilisation de l'�nergie. [11] � C'est en somme une action comparable � celle
qu'exerce � un �tage plus humble, le signal
ext�rieur d�clenchant un r�flexe conditionnel. [12] � Ch. Baudouin, Les symboles fixes, centres
d'�nergie, in Revue de Psychologie des Peuples, n� 3, nov. 1946, p.
224. [13] � Loc. cit.,
p. 223. [14] � Dr. E.-B. Strauss, Quo vadimus ?, in
Psych�, n� 3, p. 20. [15] � L�article est publi� ici en son int�gralit�,
NDLR. [16] � Cf. Dr H. Arthus, La gen�se des Mythes,
Entretiens de Pontigny, oct. 1938. [17] � Paul Val�ry, Vari�t� III, p. 278. |
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