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Des relations judéo-arabes dans une France post laïque

 

 

Jacques Halbronn

président du Centre d’Etude et Recherche sur l’identité Juive (CERIJ)

 

 

 

C’est peu de dire que le conflit israélo-palestinien pèse sur les relations judéo-arabes au sein d’une France qui se dit laïque. Une laïcité qui nie a priori – qui refoule en tout cas – toute permanence distinctive liée à l’émigration.

Voilà donc le juif et l’arabe confrontés à un impératif de laïcité qui leur interdirait de se situer par rapport au conflit israélo-arabe et d’affirmer leurs différences, sauf à être taxés de mauvais citoyens français.

Le conflit israélo-palestinien est la mauvaise conscience du juif de France mais celui-ci a d’autres raisons d’avoir mauvaise conscience, et cette fois par rapport à la France et l’histoire de la présence juive en France. Il y a un malaise qui est lié à la fin d’une double solidarité, entre juifs de France et juifs israéliens, entre juifs en France entre eux. Et à cela s’ajoute le rapport ambigu du juif français avec le religieux.

La fin d’un unanimisme judéo-français.

Nous avons cru, trop longtemps, que nous tous juifs de France nous étions dans le même bateau, nous n’avons pas voulu saisir nos différences d’itinéraires, d’enjeux. Au nom de la laïcité, certaines questions n’avaient pas droit de cité. Il importait peu de savoir d’où les uns et les autres venaient ou d’où venaient leurs parents ou grands parents : nous étions tous juifs au sein d’une communauté juive “laïque”, calquée sur la société française laïque.

L’Histoire des juifs de France est celle de solutions de continuité, de processus de substitution où les uns prennent la place des autres. Ni vu ni connu !.

Laïcité et immigration

Nous proposerons ici un modèle d’organisation sociale qui se situe dans le temps et dans l’espace. Une société politique ou religieuse doit être ouverte, perméable, accessible à la conversion et à la naturalisation voulue par chaque individu, selon un certain choix identitaire et en même temps, elle se doit de s’enraciner dans une Histoire réelle, objective. Dialectique du principe de plaisir et de réalité.

Les peuples ont généralement respecté cette double exigence, certains ont essayé de s’en passer, au nom même de la laïcité. Car, a priori, la laïcité n’a rien à faire de l’Histoire, ne se veut-elle pas a-historique, a -diachronique ?

Les juifs ont-ils intérêt à jouer la carte de la laïcité à fond ? Le doivent-ils et, de toute façon, le peuvent-ils ?

La laïcité à la française n’est pas apparue dans une situation d’émigration, mais s’est contenté de gérer des clivages existant au sein de la société française, entre communautés participant depuis des siècles d’une même civilisation.

L’afflux de nouvelles populations a changé les données du problème, alors que par ailleurs était maintenu, envers et contre tout, le modèle laïque, pourtant de moins en moins approprié.

Ces populations, issues de civilisations ayant une autre culturalité que la française, avaient beau appartenir aux ensembles religieux existant en France, le problème n’en restait pas moins posé car un juif allemand, par exemple, n’est pas un juif alsacien, ils n’ont pas l’un et l’autre les mêmes attaches avec la France et ce, quand bien même, parleraient-ils, peu ou prou, une même langue germanique.

Quant aux émigrés d’origine musulmane, elles n’avaient même pas l’alibi de rejoindre une communauté déjà enracinée en France et c’est d’ailleurs en cela que se distinguent communauté juive et communauté musulmanes en France.

Mais ce, à une condition qui ne semble plus être remplie, à savoir la reconnaissance par les juifs issus de l’immigration récente, de l’existence de juifs de souche française. Et c’est en cela que nous parlons d’une mauvaise conscience de la communauté franco-juive contemporaine car contrairement à ce que déclare P. A. Taguieff, l’émigration, cela s’hérite, cela ne disparaît pas nécessairement d’une génération à l’autre, à moins de ne vouloir s’en tenir qu’au seul niveau juridique.

Le problème israélien

A la mauvaise conscience des juifs de France les uns par rapport aux autres, à cette diabolisation intra-communautaire, dont le CERIJ a récemment fait les frais, vient s’ajouter la question d’Israël qui fragilise la communauté juive de France par rapport à la communauté des émigrés – et issus de l’émigration – musulmans en France.

Supposons un instant – puisque nous sommes sous le signe de l’Utopie – que l’Etat d’Israël n’existe pas, mais qu’il y ait – puisque cela n’a rien à voir – cette communauté musulmane, quelle serait la nature des relations entre les deux communautés ?

Eh bien, nous n’aurions pas à subir, en tant que juifs, les leçons de morale un peu faciles de la part des musulmans. Nous n’aurions peut être pas, pour parler crûment, dilapidé le capital moral lié à la Shoah.

La dialectique entre juifs et musulmans n’est pas née d’hier et précède de beaucoup les effets du mouvement sioniste contemporain. Nous savons pertinemment que la place des juifs en France n’est pas du même ordre que celle des musulmans, leur présence dans l’intelligentsia française ne souffre pas la comparaison mais tout cela est minimisé, relativisé, occulté par le conflit israélo-arabe qui a fait des musulmans des victimes et cela quand bien même ceux qui vivent en France n’ont généralement pas de lien direct avec ceux qui sont marqués par la Palestine.

Qui contestera que les événements du Proche Orient n’ont pas “enrichi” la judéophobie (pour reprendre l’expression de P. A. Taguieff, La nouvelle judéophobie) – terme qui convient mieux que celui d’antisémitisme quand il s’agit des relations judéo-arabes – musulmane traditionnelle. Contrairement à ce que l’on a pu croire, à certaines époques, l’’existence de l’Etat d’Israël ne renforce pas ou en tout cas plus vraiment la situation des Juifs en France et cela est vrai depuis plus de vingt ans avec ce qui s’était passé rue Copernic et rue des Rosiers.

La communauté franco-musulmane a pris ainsi de l’ascendant sur une communauté juive mal dans sa peau, parce que les valeurs israéliennes ne sont pas celles de la “culturalité” française, à quoi viennent s’ajouter les séquelles de la Guerre d’Algérie qui, également, lui confèrent quelque légitime “droit” à faire des remontrances.

Le malaise religieux

Et quant au rapport des juifs au religieux, il nous place aussi en porte à faux avec la communauté musulmane, souvent choquée, elle qui respecte le ramadan, de voir tant de ceux qui se disent juifs ne pas pratiquer selon les règles de leur propre religions. Or, le respect mutuel judéo-musulman tenait en grande partie à cette fidélité des uns et des autres à leurs religions respectives. Tant et si bien que là encore, les juifs de France ont mauvaise conscience et tout particulièrement ceux qui se déclarent “juifs laïques” Qu’est ce qui se passe quand un juif mange du porc devant un musulman qui sait qu’il est juif ? Est-ce qu’aujourd’hui, le juif a une explication sinon encore une fois celle de la laïcité comme si la laïcité dispensait de toute pratique, comme si les juifs laïcs étaient “plus royalistes que le roi” et en faisaient plus – ou moins – que ce qu’on leur demandait ? .

Cette laïcisation du judaïsme ne semble pas, au bout du compte, favoriser la compréhension mutuelle entre juifs et musulmans et renforce l’idée des musulmans selon laquelle les juifs se situent avant tout par rapport à Israël, dont ils sont la “diaspora”, comme ces derniers le déclarent, eux-mêmes, sans en assumer pour autant toutes les implications.

De toute façon, cette laïcité dont certains juifs se revendiquent, comment est-elle compatible avec l’affirmation même selon laquelle il existe des Juifs laïcs qui se proclament, urbi et orbi, comme tels ? Là encore, on a l’impression d’une langue de bois, d’une mauvaise foi, d’une sorte de schizophrénie qui n’est pas faite pour rendre moins confuse l’image du juif dans la société française en générale et face à la communauté franco-musulmane en particulier..

Nouvelle donne du dialogue judéo-islamique

Demain, on peut imaginer une société française organisée autour d’axes religieux mais ceux-ci ne seraient spécifiquement français qu’à condition de s’articuler autour d’une historicité proprement française.

D’où l’idée d’un double pouvoir, d’un pouvoir bicéphale et ce pour chaque communauté, un pouvoir spirituel et un pouvoir temporel. Très longtemps, le religieux impliquait l’un et l’autre pouvoir, et on peut dire qu’en perdant sa dimension temporelle qu’il a en quelque sorte appauvri le contenu même de la laïcité laquelle s’est calquée sur le religieux.

Au moment où la laïcité a transposé la structure religieuse, la monarchie française était en crise et par conséquent toute la dimension historique fut évacuée. Et c’est cette dimension que nous souhaitons voire réintégrée.

La communauté juive de France a les moyens d’affirmer son rapport à l’Histoire et on le comprendra d’autant mieux si on sa compare sa situation avec celle de la communauté musulmane dont les liens historiques avec la France sont plus précaires et marquées au seul sceau de l’émigration, ce qui n’est pas le cas de la communauté juive de France..

Mais cette communauté juive fait tout, en apparence, pour brader ses privilèges, pour se situer au même niveau que la communauté musulmane de France, pour n’apparaître que comme le résultat d’une émigration également récente.

Dans le dialogue intra-communautaire, au sein de la communauté juive de France, il y a deux grands axes, le religieux et l’historique. Et il se trouve que les juifs laïcs de France ne relèvent ni de l’un ni de l’autre, ils ne pratiquent pas et ils sont, dans leur très large majorité, issus de l’immigration, ce qui fait qu’ils n’ont même pas de vraie légitimité à se poser en tant que communauté sinon par extension, en s’arrogeant les acquis des juifs pratiquants et des juifs de souche française. En contrebande, en quelque sorte, donc dans la mauvaise conscience.

Ce faisant, ces franco-juifs laïques issus de l’immigration se situent sur le même pied que les franco-musulmans religieux mais sans pouvoir justifier d’une dimension religieuse qui justifierait leur existence comme entité à part. Car, paradoxalement, dans la société laïque française, seule l’appartenance religieuse est tolérée ; on admet que des personnes pratiquant un même culte se réunissent.

Qu’est-ce que la judéité des Franco-Juifs Laïcs ?

En réalité, on peut se demander ce que sont ces FJL. Ils ne sont pas juifs, au sens d’une pratique religieuse mais ils ne sont pas laïcs puisqu’ils se démarquent en tant que groupe spécifique ayant ses structures et ses lieux de réunion. Sont-ils même français ? On peut en douter dans la mesure où leur caractère “juif” ne correspond en fait qu’à leur pays d’origine. Ce qu’ils appellent “juive”, c’est en fait leur culture polonaise ou tunisienne et la preuve en est que derrière des appellations comme juifs progressistes ou juifs laïcs, se réunissent des juifs de même origine culturelle, mais qui ne se l’avouent pas. D’où à nouveau cette mauvaise conscience, dans tous les sens du terme, puisque c’est aussi une conscience juive qui se heurte à tout un ensemble de blocages et de refoulements, de non dits et de façons de donner le change, au fond, il y a là un comportement de camouflage qui n’est pas sans évoquer un marranisme ou un sabbatianisme (Sabbataï Zevi)

La mauvaise conscience des juifs d’Algérie

Lors d’un entretien avec Shmuel Trigano, à l’occasion d’un débat aux Bnei Brith, celui-ci nous a confié que toute présentation des juifs sous la forme d’une communauté pourrait contribuer à leur dé-nationalisation, à leur assimilation à une population étrangère, à l’instar des musulmans. Nous lui avons expliqué que le fait de parler de plusieurs communautés, la juive, la catholique, la protestante, l’islamique, ne signifiait nullement qu’elles avaient la même histoire, le même rapport à la France, voire le même statut, ne serait-ce qu’en raison de leur nombre. Il paraîtrait que le terme de communauté appartiendrait au langage de l’antijudaïsme: dire que les juifs forment une communauté serait polémique et correspondrait à des arrière-pensées suspectes. On pourrait parler d’une nouvelle forme d’anti-antisémitisme! A partir de là, nous sommes en pleine schizophrénie, en plein marranisme: les juifs se réunissent pour affirmer qu’ils ne constituent pas une communauté. La dernière trouvaille en date serait de dire que les juifs se retrouvent dans des associations Loi de 1901, qui sont un cadre accepté par la République laïque, ce qui ne serait pas le cas du concept de communauté. Le Consistoire (ACI) n’est-il pas en effet une association de ce type avec assemblée générale et conseil d’administration ?

Tension entre un juridisme frileux et une réalité sociologique et politique flagrante que l’on retrouve d’ailleurs, en plus d’une occasion. Shmuel Trigano nous explique ainsi que juif originaire d’Algérie, sa famille est de nationalité française depuis le décret Crémieux de 1870, ce qui signifie, selon lui, que ces juifs là ne sont pas des immigrés. On voit bien que le mot immigré devient un tabou et ce d’autant plus qu’il rapproche des musulmans! Trigano de nous expliquer que lorsque sa famille a du venir en métropole, il s’est simplement agi d’un déplacement géographique d’un département français vers un autre, oubliant de préciser qu’il s’est quand même agi d’un exode et non d’un choix individuel et que par ailleurs, nationalité française ou pas, les juifs d’Algérie n’avaient pas avec les colons français le même type de relation que les juifs de métropole avec leur environnement.

Juridisme qui résoudrait tous les problèmes, qui répondrait à toutes les questions et qui protégerait, le cas échéant, les juifs des attaques des autres communautés, par la force de la Loi. Un juridisme qui s’allie au laïcisme pour poser une chape de plomb sur le dialogue intercommunautaire qui est vigoureusement refusé. Autrement dit, il faudrait à tout prix éviter toute discussion de communauté à communauté et il semble bien que dans ce refus il y ait un rejet de l’arabe, et ce tout particulièrement de la part de ces juifs algériens qui étaient tout fiers d’être citoyens français, ce que n’étaient pas les arabes. Ces juifs algériens furieux de voir désormais les arabes devenir eux aussi citoyens français !

Bien mal acquis ne profite jamais, dit l’adage. On dirait que certains juifs se sentent coupables d’avoir acquis cette nationalité française un peu en contrebande.

Shmuel Trigano qui insistait sur le fait que le judaïsme français existait depuis deux siècles, ce qui n’était nullement le cas de la communauté musulmane en France. Nous lui fîmes remarquer que le judaïsme français n’avait pas attendu la Révolution Français pour exister et qu’il avait simplement modifié son statut, les débats entre juifs alsaciens et bordelais en témoignent. Etait-ce là une volonté de réduire le fossé entre juifs de souche française, présents en France depuis des siècles avant l’Emancipation et ces juifs immigrés, issus d’un autre monde, islamique dans le cas des juifs d’Algérie, et que la France chercha à annexer par le truchement d’une Loi, quarante ans à peine après la conquête du pays? Volonté de laisser entendre que les juifs français les plus anciens auraient émigré en France il y a deux cents ans, ce qui mettrait tout le monde sur le même pied, à quelques décennies près! Il y a là du règlement de compte intra-communautaire qui fausse les analyses historiques et sociologiques.

Pour un dialogue judéo-chrétien

Au fond, la communauté juive risque fort de se trouver coupée en deux, avec des sociétés à deux vitesses : d’un côté, une population juive issue de l’immigration – tant ashkénaze que séfarade – qui partage avec la communauté franco-musulmane une culturalité liée à un laborieux processus d’intégration, qui, par ailleurs, tend à épouser des querelles étrangères, comme dans le cas israélo-arabe mais qui finalement se réfugie frileusement dans le giron de la laïcité à la française.. De l’autre, une population juive qui affirme son identité religieuse face à la Chrétienté et qui revendique une ancestralité, une permanence françaises, au même titre que la communauté franco-chrétienne.

Le problème, on l’a dit, c’est que la société française est en crise de représentation de sa dimension historique, du fait même de son rejet de la royauté, de cet axe historique qui fait que le christianisme français n’est pas celui de l’Espagne ou de l’Allemagne. Ces questions là ne sont nullement dépassées par la construction de l’Union Européenne, elles deviennent, au contraire, plus aiguës que jamais car c’est bien dans ce champ du symbolique, de l’historique et du religieux que se perpétueront les identités nationale et non pas dans le champ économique voire politique.

On ne peut donc que souhaiter un certain regain du royalisme français dont la crise rejaillit sur la situation de la communauté franco-juive. La France n’est pas un lieu d’identification sauvage, où chacun déciderait non seulement de son présent mais de son passé, l’appropriation identitaire y a ses limites. La France a aussi un héritage à assumer et elle doit le faire non pas dans le fantasme d’une citoyenneté d’emprunt mais selon la réalité généalogique.

Ce renouveau de la représentativité temporelle à côté de la spirituelle passe par l’acceptation d’un découpage diachronique et non pas seulement synchronique. La communauté juive n’est pas uniquement divisée entre ashkénazes et séfarades, avec d’ailleurs le risque de confusion entre le judaïsme hispanophone et le judaïsme arabophone, elle l’est aussi dans ses strates temporelles, dans ses migrations successives.

Et si le religieux est le noyau dur de l’identité juive au niveau spirituel avec à sa tête le grand rabbin de France, il est un autre noyau dur qui passe par le temporel et qui impliquerait aussi une représentation. On nous dira que cette dualité est déjà assumée par le rapport Consistoire/CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) mais nous pensons que le CRIF a perdu sa signification au sein d’une véritable polarité. A l’origine, c’est à dire dans les années Quarante, le CRIF était un lieu d’accueil des juifs immigrés, ainsi associés aux juifs de souche française mais peu à peu il a perdu cette vocation et le clivage immigré/non immigré a été refoulé si bien qu’à la tête du CRIF n’est pas élu une personne incarnant la continuité de la présence juive en France mais simplement une personne représentant la communauté juive de France, ce qui n’est pas, symboliquement, la même chose.

C’est dans ces conditions d’un rééquilibrage entre synchronique et diachronique, que la communauté juive de France pourra occuper tout le terrain qui lui est assigné, qu’elle réévaluera son rapport avec la communauté franco-islamique.

Il est temps, en effet, d’affirmer une sorte de gallicanisme juif, assumant pleinement son histoire en France, au travers des descendants de ceux qui en furent les témoins. Il n’est nullement question de repousser les juifs issus de l’immigration mais il s’agit d’affirmer que ceux-ci ne sont pas les mieux placés pour représenter les intérêts de la communauté juive de France.

En outre, il ne faudrait pas que le processus d’intégration de ces juifs issus de l’immigration s’interrompe sous prétexte que le problème n’existe pas, qu’il est déjà résolu. Ce n’est pas en refoulant le problème qu’on parvient à sa solution car on voit bien à quel point il ressort par toutes sortes de biais, sans s’avouer comme tel.

Le dialogue judéo-musulman doit donc être repensé autour des axes suivants :

– une communauté juive qui revendique une présence ancienne en France et dont la dimension d’immigration n’est qu’une dimension seconde.

– une communauté juive qui assume son caractère religieux mais qui situe celui-ci dans la double dimension, spirituelle et temporelle.

– une communauté juive qui ne se focalise pas sur la question d’Israël, qui considère que les juifs ont à résoudre la question de leur présence là où ils se trouvent, sans qu’il y ait de centralité au niveau mondial. Si les juifs des pays arabes, privés de leur ancestralité, sont plus concernés par le problème d’Israël, libre à eux d’aller s’y installer, comme le suggère Shmuel Trigano, considérant qu’ils incarnent une vraie légitimité de la présence juive dans la région.

Rappelons le jugement de Salomon : la mère qui a perdu son enfant est prête à sacrifier l’enfant qui reste. Que les juifs de France ou d’ailleurs qui ont perdu, à tort ou à raison, l’espoir d’assumer la permanence de la judéité dans leur pays d’origine, n’en arrivent pas à chercher à priver le judaïsme français de cette chance de pouvoir vivre pleinement la continuité de son Histoire. Est-ce là trop demander ?

Le juif et l’étranger

Un des amalgames les plus redoutables dont la communauté juive est à souffrir et qui relève d’une nouvelle sorte d’antisémitisme assez perverse, consiste à assimiler les juifs à des étrangers. C’est avec un malin plaisir que des personnes étrangères insistent finement sur le fait que les juifs, aussi, sont des étrangers, comme si les juifs étaient une brèche, un maillon faible permettant de pénétrer la société française. Et il est très difficile de leur faire comprendre que les choses ne sont pas si simples et que si nombre de juifs sont des immigrés, la présence juive en France n’en est pas moins d’un autre ordre, à savoir d’une certaine altérité qui n’est pas réductible à cette étrangeté propre à celui qui vient d’ailleurs et ne maîtrise les codes français qu’approximativement.

Dans le dialogue judéo-musulman, il est impératif de mettre les points sur les i : les juifs sont certes des Français d’un autre type, qui préservent leur différence mais pas à la façon ni avec le statut propres aux étrangers mais plutôt dans le cadre d’une dualité nécessaire à toute culture. L’étranger, et notamment le musulman, sent intuitivement que ; quelque part, le français juif est plus proche de lui que le français chrétien. Et c’est précisément à ce jeu que la communauté juive de France doit se refuser et elle n’y parviendra qu’au prix d’un travail de communication dont nous avons ici esquissé les grandes lignes.

Racisme, vous avez dit racisme ?

Est-ce qu’enfin le fait de vouloir considérer une certaine profondeur généalogique d’une partie du judaïsme français, minoritaire, par rapport à une partie majoritaire, relèverait, de notre part, du racisme ordinaire ?

Il s’agirait là d’une réaction caractéristique propre à un laïcisme mal compris. A partir du moment où la communauté juive déclare, par toutes sortes de voies, qu’elle existe en tant que telle, on voit mal comment on pourrait nous interdire d’en signaler la diversité tant synchronique que diachronique. Est-ce que, au demeurant, le fait, pour un français catholique, d’avoir des opinions royalistes relève du racisme sous prétexte que tout le monde ne peut prétendre accéder au trône des lys ? Toute communauté religieuse a le droit de s’organiser comme elle l’entend, selon ses valeurs, son histoire. Les juifs, dans le passé, ont eu leurs exilarques. Le fait, de la part de certains juifs dont nous sommes, de soutenir, dans la perspective de l’organisation de la communauté juive de France, que les juifs de souche française ont des droits à mettre en avant en ce qui concerne la représentation “temporelle” de la communauté juive de France, est-ce là du racisme, au regard de la laïcité française ? S’il faut un procès pour le décider, eh bien pourquoi pas ? En attendant, traiter abusivement autrui de raciste relève, jusqu’à nouvel ordre, de la diffamation.

En ce qui nous concerne, la cohabitation entre communautés religieuses, tant dans le domaine du spirituel que du temporel, au sens où nous l’entendons, suppose la reconnaissance de certaines différences au niveau du collectif, tant sur le plan intercommunautaire qu’intracommunautaire, et si la laïcité actuelle, dans sa formulation juridique, ne le permettait pas, il faudrait alors qu’elle évoluât en conséquence car dans son état actuel, elle développe, nous semble-t-il des situations pathogénes fort peu propices, en dépit des apparences, à une saine politique de gestion de l’immigration, dans le long terme.

Jacques Halbronn, texte revu et corrigé le 24 mars 2002

 

 

 

 

Bibliographie

J. Halbronn. Le sionisme et ses avatars au tournant du Xxe siècle, 69320 Feyzin, Ramkat, 2002

J. Halbronn, « L'antisémitisme et ses tabous », La voix de la communauté, Feyzin (69320), avril 2002.

J. Halbronn, « Judaïsme et laïcité. Les piéges de la représentation », Hommes & faits. Site : faculte-anthropologie. Fr et sur le site Communauté on line, www. col. fr

J. Halbronn, « Psychanalyse de l’étranger », Hommes & faits. Site : faculte-anthropologie. fr

J. Halbronn, « Etre juif, les trois voies », Hommes & faits. Site : faculte-anthropologie. fr

J. Halbronn « Les juifs, gardiens du temps », Hommes & faits. Site : faculte-anthropologie. fr

J. Halbronn, « La problématique identitaire chez les juifs français » in Hier, juifs, progressistes, aujourd’hui juifs.... ? Quelle identité juive construire ? Actes du Colloque de février 1995, Paris, Amis de la CCE, 1996

Cahiers du CERIJ, numéro sur “Le retour”, Paris, 2002.

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