La Palestine du mandat et l'Anschluss arabe
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Essai de politique comparée

Jacques Halbronn

 

 

 

À l’heure où il est à nouveau sérieusement question du « partage », de la « partition » de la Palestine, et où le mot même de Palestine ne désigne plus que la partie de la région censée passer sous autorité arabe, il est urgent de rappeler un certain nombre d’étapes d’un processus organisationnel quelque peu complexe, tant dans le temps (les contextes successifs) que dans l’espace (les territoires concernés). Nous emploierons ici le terme « Palestine du mandat » pour désigner géographiquement la région qui fut dévolue aux Britanniques et le sort qui est le sien jusqu’à nos jours.

Une évidence d’abord : tout n’ a pas commencé au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, à la suite de la Shoah et tout ce qui a précédé ne correspondait pas nécessairement à ce à quoi cela a fini par aboutir. Il convient de ne pas écraser le passé au regard du présent, même s’il est vrai qu’avec le recul les événements peuvent sembler dérisoires au regard de ce qui se produira ensuite.

L’importance du premier conflit mondial

Laisser entendre que l’État d’Israël a été fondé au lendemain de la Shoah est source de confusion. Il faudrait déjà s’entendre sur la notion d’État, notamment au Moyen Orient, dans une région où jusqu’à la Première Guerre Mondiale, il n’y avait que la puissance ottomane, y compris en Égypte laquelle bénéficiait cependant d’une certaine autonomie et était contrôlée par les Anglais. Ce qui explique que Théodore Herzl s’adressa successivement au sultan de Constantinople qu’à Londres (le projet du Sinaï) .

L’idée de créer un État Juif ne date nullement de la Seconde Guerre Mondiale et même si la situation des juifs n’était pas au début du siècle ce qu’elle devint dans les années Trente-Quarante, elle était déjà jugée suffisamment préoccupante dans les années 1880, en Russie, notamment avec les pogroms. Point n’était besoin d’en arriver aux camps de concentration pour décider les nations à créer un espace où les Juifs puissent venir se réfugier.

Dans l’histoire de la colonisation de la Palestine, sous le joug turc, la France joua un rôle déterminant, notamment du fait des initiatives du baron Edmond de Rothschild. Mais Herzl considérait que de tels efforts n’étaient pas à la mesure des enjeux, à savoir accueillir des centaines de milliers voire à terme des millions de juifs. Aucune solution ne fut trouvée de son vivant (il mourut à 44 ans, en 1904) mais les sionistes parvinrent à sensibiliser le gouvernement anglais qui, la Première Guerre Mondiale ayant éclaté, avaient les mains plus libres que lorsqu’il fallait encore ménager les Turcs.

Les armées anglaises libérèrent le monde arabe de la domination turque et se mirent à procéder à un certain découpage du Moyen Orient. A priori, la situation était bien différente de celle qui existait dans les Balkans, en ce que la très grande majorité des populations autochtones relevait d’une même langue, si l’on relativise les variantes dialectales, et d’une même religion, encore qu’il y ait des Chiites et des Sunnites. Mais pour les Anglais, c’était aussi l’occasion de faire aboutir le projet sioniste, tel que le Congrès de Bâle (1897) l’avait élaboré. On peut dire que cet engouement des Anglais à propos de la question juive n’a d’égal que celui des révolutionnaires français à la fin du XVIIIe siècle, désireux d’émanciper les Juifs européens. Et il n’est peut -être pas inutile de rappeler que la présence en Palestine des Croisés, au Moyen Age, fut avant tout le fait des Français et des Anglais. La contribution des Français à l’amélioration du sort des Juifs dans les divers pays où ils demeurait a pour contre point l’importance que les Anglais accordèrent à la création d’un Foyer Juif en Palestine, pour alléger la pression à l’encontre des Juifs dans le monde. Deux approches sinon antagonistes du moins complémentaires.

Rien d’étonnant dès lors à ce qu’à la suite de la Déclaration Balfour de novembre 1917, émanant du gouvernement britannique et reprenant les attentes des congrès sionistes, la Société des Nations (SDN) – dont les États Unis n’étaient pas membre – chargea les Anglais de constituer un Foyer Juif en Palestine, dans le cadre d’un mandat, comportant un cahier de charges qu’il convient ici d’analyser.

Or, ce Foyer National Juif en Palestine correspondait d’ores et déjà à l’idée herzlienne d’État Juif ; un tel intitulé demandant à être contextualisé. Là encore, il ne faut pas "écraser" l’Histoire. Le fait qu’en 1947, trente ans après la Déclaration Balfour, il fut question d’une autre formule, ne signifie pas que la précédente formule ne faisait pas déjà sens. Les choses auraient pu – et probablement du – évoluer autrement. En tout état de cause, en 1917, les juifs n’étaient pas en mesure comme ils le seront trente ans plus tard, autour de l’Agence Juive pour la Palestine, de l’establisment (Yishouv), d’assurer, par eux-mêmes, l’existence d’un État au sens où on l’entendra plus tard, lors de la période post-coloniale. Dans la logique de la période coloniale, paternaliste, les grandes puissances étaient considérées comme des tuteurs, au sens où l’entendent les cultivateurs.

En 1917, le contexte est celui d’un monde arabe en voie de structuration étatique, souvent sous contrôle britannique mais aussi, dans certaines régions, sous contrôle français (notamment au Liban et en Syrie). Bref, on était dans un système de tutelle et le tuteur avait pour tâche d’aider son protégé à parvenir à maturité. Or, il n’en était pas autrement en Palestine mais au profit de qui ? Notons que la France avait en quelque sorte pour tâche de maintenir un pôle chrétien, en milieu arabe tandis que l’Angleterre, plus au Sud, avait reçu pour mission de maintenir voire de renforcer un pôle juif en milieu arabe, les deux pôles étant installés le long du littoral méditerranéen. Le parallélisme peut être poussé encore plus loin, dans la mesure où la Syrie fut détachée du Liban tout comme la Transjordanie de la Palestine et que par la suite la Syrie cherchera à garder le contrôle sur le Liban comme la Jordanie sur la Palestine. Les arabes restant dans ces régions auraient ainsi bénéficié d’un précieux savoir faire occidental, dans la mesure où ces communautés, chrétienne et juive, auraient ainsi constitué des interfaces entre l’Europe et le monde arabe. Contrairement à ce que l’on imagine, la question politique et religieuse importait moins dans ces régions que la question économique, le politique ne reprendra le dessus que plus tard.

Il faut se rendre à l’évidence, le mandat que les Britanniques reçurent de la SDN ne prévoyait nullement la mise en place d’un État arabe en Palestine. Le fait qu’en 1947, un tel État fut annoncé, dans le cadre de l’ONU, n’y change strictement rien.

Le texte du Traité de Sèvres (ville de la région parisienne) , réglant le sort des populations non turques de l’ex empire ottoman - ces Turcs qui avaient anéanti en partie les Arméniens qui se trouvaient sur leur sol, en Anatolie - stipulait, dans son article 95 que « le Mandataire sera responsable de la mise à exécution de la déclaration (Balfour) originairement faite le 2 novembre 1917 par le Gouvernement britannique et adoptée par les autres Puissances Alliées en faveur de l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ».

Certes, tout le monde était-il parfaitement conscient de que les Juifs étaient encore peu nombreux en Palestine puisque le projet avait une dimension dynamique qui dépassait la question des populations existant sur place et en ce sens nous sommes très loin des termes qui prévaudront au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, il ne s’agissait de rien moins que de créer les conditions pour accueillir un afflux de Juifs venus d’Europe et notamment de Russie.

Qu’avait-on prévu pour les populations musulmanes et chrétiennes en Palestine ? Il faut bien comprendre que les Arabes avaient une dette envers les Britanniques et que cette dette c’était en particulier la Palestine. Faut-il rappeler que lorsque Napoléon III aida les Italiens dans leur guerre d’indépendance contre les Autrichiens, la France en fut récompensée en recevant notamment un territoire limitrophe comportant la ville de Nice. Or, la Palestine, c’est en quelque sorte Nice. Il y avait eu le précédent niçois dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Le Traité de Sèvres traite ainsi du statut de la population non juive en Palestine :

« Bien entendu, rien ne sera fait qui pourrait porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non-juives (sic) en Palestine ». La formule dit bien ce qu’elle veut dire : il n’y a pas ici symétrie entre juifs et arabes. Il y a un projet en faveur des Juifs sur le sol de la Palestine, toute entière – au demeurant une superficie très modeste au regard du monde arabe dans son ensemble – et il y a la question des minorités non juives, chrétiennes et musulmanes. Certes, la population arabe est-elle, en 1920, date du traité de Sèvres supérieure démographiquement à la population juive mais cela était amené à changer, dès lors que précisément existerait le dit Foyer National Juif. On prévoyait qu’à terme, la population juive déborderait très largement la population arabe locale, laquelle deviendrait résiduelle. De fait, la population arabe de Palestine se trouvait-elle « sacrifiée » pour prix de la construction des États Arabes tout comme les Niçois avaient été – on l’a dit – quelques décennies plus tôt, rattachés à la France.

Faut-il cependant rappeler que la Palestine était historiquement un cas tout à fait particulier dans la région. Et d’abord en raison des Lieux Saints de la Chrétienté et rappelons, tout de même, que l’Angleterre est une nation chrétienne. Le Conseil de la SDN ; à propos du Mandat sur la Palestine, précise d’ailleurs, en son préambule, que « cette déclaration comporte la reconnaissance des liens historiques du peuple juif avec la Palestine et des raisons de la reconstitution de son foyer national en ce pays ».

De fait, la présence arabe en Palestine était certainement, du fait des revendications séculaires juives et chrétiennes, beaucoup plus discutable que dans le reste du Moyen Orient. Personne ne l’ignorait. Nulle part, ailleurs, le souvenir d’une présence antérieure à la conquête arabe n’y était plus manifeste.

On comprend, dès lors, pourquoi le fait de situer la création d’un « État Juif » au lendemain de la Shoah relève de la manipulation en ce que cela découple et décontextualise le fait que ce projet était la contrepartie de la sortie du joug turc, lequel en 1947 était déjà de l’Histoire ancienne.

Ce qui d’ailleurs venait justifier l’attribution d’un mandat aux Anglais sur la Palestine tenait précisément au fait qu’il était alors tout à fait hors de question de laisser les Juifs seuls face au monde arabe environnant et ce d’autant plus que la présence juive n’était qu’embryonnaire par rapport à ce qu’on attendait. Il fallait donc bien, littéralement, un tuteur, pour soutenir le jeune arbre. Plus que nulle part ailleurs, la nécessité d’un mandat s’imposait-elle et d’une certaine façon – ce que Herzl n’aurait pas contesté – n’avait-elle de raison de cesser jamais.

Herzl avait en effet pressenti qu’un État Juif – selon le titre même de son livre – ne pourrait survivre sans protection international. Quand il négociait avec le Sultan – et l’on voit que le statut de la Palestine était déjà en discussion bien avant la Première Guerre Mondiale – de l’attribution aux Juifs de la Palestine, il ne songeait à rien d’autre qu’à un État Juif sous le contrôle ottoman et si la Turquie n’avait pas perdu la guerre, peut-être que cet État Juif aurait fini par exister sous mandat turc.

Il convient désormais d’essayer de comprendre comment la situation évolua sous le mandat britannique pour déboucher sur la déclaration de l’ONU de novembre 1947 prônant l’existence en Palestine d’un État Juif et d’un État arabe.

– Le cas gréco-turc

Dans le cadre de la période post-ottomane, se posa le problème des relations gréco-turques, en Asie Mineure et dans la région de Salonique, notamment. On décida de procéder, dans les années 1922-23, à un transfert de population, et ce dans les deux sens : des Grecs étant rapatriés de Turquie en Grèce et des Turcs de Grèce en Turquie. Cette opération semble s’être déroulée relativement bien et servira de précédent pour régler des problèmes peu ou prou comparables. Autrement dit, en concurrence avec l’idée de minorité existait celle de transfert, chacune ayant du pour et du contre. De fil en aiguille, la solution du transfert des populations et donc du partage de la Palestine allait-elle pénétrer les esprits des diplomates.

– Le cas transjordanien

Sur quelle région, au demeurant, s’étendait le dit mandat britannique en Palestine ? En fait, il concernait également la Transjordanie mais avec des modalités particulières :

Article 25 du Traité de Sèvres :

Dans les territoires s’étendant entre le Jourdain et la frontière orientale de la Palestine, telle qu’elle sera définitivement fixée, le Mandataire aura la faculté, avec le consentement du Conseil de la Société des Nations, de retarder ou de suspendre l’application des stipulations du présent mandat qu’il jugera inapplicables à raison des conditions locales existantes et de prendre en vue de l’administration de ces territoires toutes les mesures qu’il estimera convenables etc.

En bon français, cela signifie que la Transjordanie est une partie de la Palestine et qu’elle en constitue – d’où son nom – la partie orientale, au delà du fleuve Jourdain. Car si la Transjordanie n’était pas une partie de la Palestine que signifierait la formule « entre le Jourdain et la frontière orientale de la Palestine », laquelle signifie bel et bien que le Jourdain ne constitue nullement la dite frontière orientale, puisqu’il est question d’un espace situé entre ce fleuve et la dite frontière.

Toutefois, ce qui conférait à la Transjordanie – mais nullement à la Cisjordanie telle qu’on la désigne actuellement – un statut à part, c’est que la mise en place de la présence juive, objet principal du mandat, pouvait être reportée en ce qui concernait la dite Transjordanie. Rappelons cependant que les Hébreux s’étaient installés des deux côtés du Jourdain, ce qui vient confirmer que la région prévue par le mandat, sous le nom de Palestine, couvrait également cette partie.

Et les Anglais semblent avoir outrepassé le cadre du mandat en conférant à la Transjordanie une autonomie, et ce dès 1922. Initiative éminemment discutable mais qui aurait fait sens si cela avait abouti à la création d’un État arabe palestinien, laissant dès lors le reste de la Palestine – Cisjordanie comprise – aux Juifs, au prix éventuellement de transferts de population, sur le modèle alors en train de fonctionner entre Grecs et Turcs.

Il est regrettable, en ce sens, que l’ONU en 1947 ne soit pas revenue sur cette initiative, contraire à l’esprit du mandat accordé dans le cadre du Traité de Sèvres, et n’ait pas confirmé que l’État arabe de Palestine serait la Transjordanie (c’est à dire l’actuelle Jordanie). Précisons que la Transjordanie constitue les 4/5 de la Palestine du mandat !

Certes, le cas de la Transjordanie est-il considéré comme spécifique dans les textes relatifs au Mandat Britannique mais il reste précisément qu’il est bel et bien rattaché, dans les textes, à la question palestinienne et que, lors de la délégation de pouvoir à l’émir Abdulla (dynastie hachémite), le responsable britannique à Amman dépendra du Haut Commissaire en Palestine..

Nous reviendrons sur le facteur jordanien qui a joué un rôle déterminant et ce jusqu’en 1967.

– Le cas pakistanais

La politique britannique allait effectivement être de plus en plus marqué par la formule de la partition, qu’elle appliquera à une autre région, également marquée par la présence islamique, à savoir l’Inde. Cela donnera naissance, au lendemain de la Seconde guerre Mondiale, donc simultanément avec la question palestinienne, à une entité appelée Pakistan, en deux tronçons – nom parfaitement artificiel – qui comportera essentiellement des Musulmans et qui est anciennement une partie de l’Inde. Il y eut des transferts de population mais une minorité musulmane se maintint dans ce qui restait de l’Inde, ce qui montre bien que toute minorité musulmane n’a pas à se constituer en État souverain, ce qui semble aller à l’encontre d’un postulat récurrent chez certains musulmans selon lequel toute présence musulmane en un quelconque pays doit déboucher soit sur une annexion de la part d’un État musulman voisin, soit sur la création d’un État arabe supplémentaire. On n’est pas loin ici de l’argumentation nazie, dans les années Trente, avant l’annexion de l’Autriche et des Sudètes, partie germanophone de la Tchécoslovaquie. Mais à la différence du Pakistan, la Palestine recouvrait un territoire beaucoup plus modeste, ce qui créait des problèmes d’échelle particuliers concernant la viabilité des découpages.

 

Revenons précisément au débat sur la partition de la Palestine à la veille de la nouvelle conflagration. Non contents donc d’avoir dilapidé une partie de la Palestine du mandat, on en était arrivé à vouloir cantonner les Juifs dans une partie seulement de ce qu’il en restait, renonçant ainsi à un transfert de la population arabe vers la Transjordanie, l’autre partie de la Palestine du mandat, et désormais le Jourdain ne constituerait même pas une frontière naturelle entre Palestine juive et Palestine arabe (Transjordanie).

Apparemment, sous la pression arabe, l’Angleterre, en arriva à proposer un "Livre Blanc", en 1939, alors même que l’émigration juive vers la Palestine, du fait cette fois des événements dans une Allemagne élargie, justifiait plus que jamais le projet d’un Foyer National Juif en Palestine. La Palestine restante se verrait, selon les propositions britanniques qui ne furent d’ailleurs pas adoptées, découpée en trois secteurs : un juif, un arabe et un restant à la puissance mandataire et qui comporterait notamment Jérusalem et un accès à la Méditerranée autour de Tel Aviv. À cette époque là les plans de partage se multiplièrent et on débattit sur les territoires à attribuer aux uns et aux autres, selon divers paramètres. Tout cela influa, bien entendu, sur la partition prônée par l’ONU en novembre 1947. Mais de fait l’idée du partage n’est pas apparue au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pas plus d’ailleurs, à l’inverse, qu’elle n’était posée dans le Traité de Sèvres de 1920. C’est dans les années Trente que les plans de partage sont apparu, même si le cas de la Transjordanie constituait déjà un précédent qui se révélera incapable, malgré son ampleur, de résoudre le problème des rapports judéo-arabes. On voit que la partie proprement juive de la Palestine du mandat devenait une peau de chagrin. Par dessus le marché, les Britanniques avaient décrété, dans la logique de leur division en trois, que les Juifs ne sauraient dépasser le tiers de la population totale de la Palestine cisjordanienne (notons qu’initialement le terme de Cisjordanie aurait du concerner toute la Palestine à l’Ouest du Jourdain et pas seulement la Judée et la Samarie. En réduisant l’expression Cisjordanie au secteur qui finalement sera récupéré en 1948 par la Transjordanie – puis repris en 1967 par les Israéliens – on assiste à une marginalisation du Jourdain car, au bout du compte, le terme de Jordanie aurait pu désigner la totalité de la Palestine du mandat tel qu’il était défini dans le cadre du Traité de Sèvres. En fait, tout se passe comme si le nom de Jordanie (Cisjordanie, Transjordanie) avait fini par désigner les territoires « arabes » de la Palestine. Apparemment, un tel code a fini par être abandonné pour aboutir à ce que le mot même de Palestine ne désigne plus que les territoires « arabes » de la partie occidentale de la Palestine. Curieusement, en 1967, l’occupation israélienne de la « Cisjordanie » avait rétabli le cadre proposé, en son temps, par la SDN, puisque cela aboutissait à ce que la Palestine soit divisée par le Jourdain en une partie sous contrôle arabe, à savoir la Jordanie et une partie sous contrôle juif, à savoir Israël. Il n’est pas certain que l’on ait recouru aux arguments liés à l’article 25 du « Pacte de la Société des Nations » pour justifier le maintien de cette occupation et ce que l’on a appelé, d’ailleurs, à tort le Grand Israël, puisqu’il ne comportait pas la partie orientale de la Palestine du mandat.

La situation qui prévalut de 1948 à 1967 est bien connue : annexion par la Jordanie de ce que l’on appellera la Cisjordanie, ce qui aboutissait à ne plus respecter le Jourdain comme ligne de partage entre la Palestine du Foyer National Juif et la Palestine Orientale, placée, par la volonté des Anglais, sous contrôle exclusivement arabe. Tout se passe en fait comme si l’on avait eu affaire, avec la Palestine du mandat, à deux populations arabes bien différentes, séparées précisément par le Jourdain, un peu comme ce qui peut distinguer les Alsaciens des Allemands, de part et d’autre du Rhin. Les Anglais, en réglant, à leur façon, la question des arabes à l’Est du Jourdain n’avaient pas résolu le cas des arabes situés à l’Ouest du Jourdain et qui finiront par être appelés « palestiniens ». En créant un précédent avec la Jordanie, ils ouvraient une large brèche qui allait conduire à la création, par l’ONU, d’un second État arabe dans la Palestine du Mandat. Le paradoxe, c’est que précisément, le premier État arabe, est-palestinien annexa en 1948 le second État arabe ouest-palestinien et ne fit pas grand chose pendant 20 ans pour donner une véritable autonomie à ce dernier. Par leur intervention, lors de la Guerre des Six Jours, les Jordaniens allaient faire perdre aux Arabes le contrôle du "second" État arabe palestinien du mandat.

Le vote de l’ONU à la majorité des deux tiers allait donc déterminer, a priori, la création de deux États dans la Palestine occidentale du mandat -venant s’ajouter à un troisième État « palestinien », déjà en place, la Jordanie – ce à quoi les dirigeants sionistes s’étaient résignés mais le monde arabe était hostile à un tel arrangement pourtant déjà si éloigné des conditions initiales prévue pour le mandat britannique en Palestine. On parvenait ainsi avec le vote de New York à trois États palestiniens mais ce n’est qu’à partir des années 1990 que l’idée de constituer bel et bien un troisième État palestinien prit forme, au niveau du consensus international (Accords de Madrid). Le fait que le terme Palestine ne puisse plus guère être revendiqué par les Israéliens et que celui de Jordanie (trans et cis) ne suffise pas, indique que les Israéliens ont perdu la guerre des noms, successivement celle autour du nom Jordanie, et celle autour du nom Palestine.

La guerre de 1948 conduisit à des transferts de population qui, a priori, étaient de toute façon impliqués par le plan de partage mais probablement dans une moindre mesure que s’il n’y avait pas eu guerre. Ce qui explique le maintien en Israël d’une minorité arabe importante, bien plus considérable que la minorité juive dans la Palestine sous contrôle arabe.

Au vrai, cette idée de partage pose bien des problèmes : celui des minorités, des nationalités et donc des transferts, selon le précédent gréco-turc. Ce qui a compromis en partie le projet du Foyer National Juif en Palestine, c’est qu’on se trouvait dans une situation virtuelle. Il ne s’agissait pas seulement d’échanger des populations entre deux États, mais d’accueillir des populations venant d’ailleurs et difficiles à estimer puisqu’il était hors de question de faire venir en Palestine tous les Juifs pas plus d’ailleurs que l’on ne pouvait se limiter à ceux qui étaient déjà installés. Rappelons, en tout cas, la formule présente dans les textes déterminant le cadre du mandat britannique : « étant bien entendu que rien ne sera fait qui puisse porter préjudice (..) aux droits et au statut politique dont jouissent les Juifs dans tout autre pays ». Le projet du Foyer, on le voit, n’envisageait nullement que les Juifs deviennent ipso facto des « étrangers » dans les pays où ils se trouvaient. Cela valait d’ailleurs pour les Juifs dans le monde arabe dont il n’était pas question qu’ils soient expulsés, la procédure de transfert, non prévue à l’origine, ne pouvant jouer qu’au sein de la Palestine du mandat. Or, le départ, plus ou moins forcé, des Juifs des divers États du Monde arabe ne saurait trouver dans les textes sus nommés, une quelconque justification.

Quant au partage actuellement envisagé, il est peu probable qu’il conduise à un important transfert de population. A priori, les juifs peuvent vivre au sein d’un État arabo-palestinien tout comme des arabes au sein d’un État judéo-palestinien, étant entendu, comme le prévoient d’ailleurs les textes, de mettre en place un statut des minorités. Quant au retour de juifs ou d’arabes, dans les régions dont ils sont partis, cela irait à l’encontre du principe du transfert, lequel déligitimise une telle revendication.

Cependant, si le mandat britannique sur la Palestine justifiait une émigration juive vers la Palestine – ce qui est le vrai sens de Foyer National Juif – il ne prévoyait pas a priori une « loi du Retour » en faveur des arabes de Palestine, non seulement occidentale mais aussi orientale (Jordanie). Il n’était pas prévu, en effet, la création d’un Foyer National Arabe en Palestine. Ces deux États arabo-palestiniens ne peuvent a priori intégrer que des réfugiés musulmans de la partie israélienne, dont on sait que nombreux demeurent dans des camps.

Est-ce que l’ONU a prévu que le nouvel État Juif ait à nouveau vocation à être un Foyer National Juif ? Si l’ONU s’est contenté de demander l’instauration d’un État Juif et d’un État arabe en Palestine occidentale, il n’est alors pas certain que la Loi du Retour puisse s’appliquer vis à vis de juifs n’appartenant pas aux deux Palestines arabes. Or, un passage semble devoir mettre fin à un tel doute : « La puissance mandataire (c’est à dire encore l’Angleterre) fera tout ce qui est en ses pouvoirs pour assurer à une date aussi rapprochée que possible et en tout cas le Ier février 1948 au plus tard, l’évacuation d’une zone située sur le territoire de l’État Juif (tel que délimité par le plan de l’ONU) et possédant un port maritime et un arrière-pays suffisant pour donner des facilités nécessaires en vue d’une immigration importante » (Résolutions adoptées sur le rapport de la commission ad hoc chargée de la question palestinienne. Résolution adoptée par l’Assemblée Générale (de l’ONU) au cours de sa 128e séance plénière, le 29.11.1947). Ainsi cet État Juif, s’il est limité géographiquement – et il l’est sensiblement plus alors que ce qu’il était encore à la veille de la Guerre des Six Jours – ne l’est nullement en ce qui concerne sa population, sa vocation principale étant l’accueil de tous les juifs du monde entier amenés à devoir s’y installer, pour quelque raison que ce soit, de leur plein gré ou en raison de persécutions.

On nous objectera que la Jordanie n’est pas mentionnée par l’ONU mais c’est pourtant bien la Jordanie qui a annexé une partie de la Palestine occidentale, ce qui la replaçait ipso facto dans le cadre du projet du mandat britannique en Palestine.

En ce qui nous concerne, nous pensons que le seul texte qui fasse référence est celui du Traité de Sèvres et documents de la Société des Nations. Il est clair qu’en filigrane se profilait déjà à l’époque l’idée d’un État est-palestinien ne servant pas de Foyer National Juif ou plutôt pas dans un premier temps. En revanche, dans la Palestine Occidentale, le Foyer National Juif pouvait se mettre en place sans aucune restriction, ce qui englobe la Cisjordanie ou la « Palestine ». On ne saurait donc contester aux « colons » le droit de résider en Cisjordanie, puisque celle-ci ne relève pas des exceptions de l’article 25 qui ne concernent que la Palestine orientale du mandat.

Que le terme Palestine ait été utilisé, dans les dits textes, d’une façon discutable et qu’il ne soit pas approprié pour désigner les territoires à l’Est du Jourdain importe peu, dès lors que l’on sait de quoi on parle. A la différence des autres États arabes, le sort de la Jordanie, en tant qu’État à part entière, n’était nullement réglé par le Traité de Sèvres qui concernait le sort des populations non turques, il n’apparaît que dans le cadre du mandat britannique sur la Palestine où son indépendance n’est nullement envisagée. Celle-ci ne trouve au demeurant, dans le dit article 25, sa spécificité qu’en tant que région susceptible d’échapper à la Loi du Retour, prévue par la constitution d’un Foyer National Juif. Cela ne signifie pas qu’elle ne puisse accueillir, en revanche, des descendants des juifs déjà présents en Palestine avant 1917 et qui ne sont pas visés par cette restriction.

En revanche, on ne saurait exclure que le dit Foyer National Juif ne soit pas placé sous protection internationale, comme il était prévu avec l’Angleterre laquelle peut être remplacée par une autre puissance, qui exercerait en quelque sorte un mandat de l’ONU sur la Palestine. Il ne faut pas oublier, en effet, comme nous le rappelions plus haut, que cette région est spéciale, qu’elle a vocation, par son histoire, à assumer un caractère international.

Il est regrettable que la création de la Transjordanie, future Jordanie, par les Anglais, ne se soit pas accompagnée d’un transfert de population, selon le modèle gréco-turc, les Arabes de Palestine occidentale émigrant en Palestine orientale. Il y a eu là une cote mal taillée. S’il en avait été ainsi, les Anglais n’auraient pas eu, pour ménager les arabes de Palestine occidentale, à limiter l’afflux des Juifs fuyant les persécutions et la Shoah n’aurait non seulement pas pris les proportions qu’on lui connaît mais n’aurait probablement même pas eu lieu. On sait en effet que les Allemands ne s’engagèrent, fin 1941, dans une politique d’extermination que du fait de l’impossibilité d’évacuer leur population juive hors d’Europe. Entre le drame d’un transfert de quelques centaines de milliers d’arabes vers la Palestine orientale, rejoignant ainsi leurs frères, et .celui de l'anéantissement non seulement de six millions de Juifs mais des souffrances des survivants, il n’y a pas, nous semble-t-il, de commune mesure et la douleur juive semble bien dévaluée, de ce fait, par rapport à la douleur arabe.

On peut d’ailleurs se demander si l’idée de partage est concevable de nos jours, si elle n’appartient pas à un contexte qui est celui de la première moitié du XXe siècle. A l’époque, le partage s’accompagnait, on l’a vu pour le cas gréco-turc qui faisait alors référence, d’un transfert de population. Au demeurant, comme le notait Herzl, dans son État Juif (voir notre réédition, Feyzin, Ramkat, 2002), la solution de la question juive ne passait-elle pas par un transfert d’une partie de la population juive en Palestine (ou ailleurs) et le mandat britannique sur la Palestine impliquait une émigration juive c’est à dire bel et bien un transfert. De nos jours, d’aucuns parlent toujours de partage mais plus de transfert de population, ni côté émigration arabe hors d’Israël, ni côté immigration juive en Palestine. En revanche, il est question du retour des réfugiés arabes en Israël. Or, il nous semble bien que l’idée consistant à séparer deux populations occupant un même espace selon des critères religieux ou autres de façon à diviser le dit espace en deux implique de se donner les moyens de parvenir à une certaine homogénéité au sein des deux zones ainsi constituées. Nous serions en faveur d’une formule pas de partage sans double transfert (des juifs vers Israël et des arabes hors d’Israël.). Autant, si l’on ne peut parvenir à un tel accord refuser tout partage car il y a déjà eu le partage de la Palestine avec la formation de la Transjordanie, puis on est passé au partage de la Palestine occidentale avec la formation de la Cisjordanie. Et une fois ce partage acquis, on s’acheminera vers un troisième partage, celui d’une partie de la Galilée où réside la minorité arabo-israélienne. Puisque apparemment personne ne veut plus entendre parler de transfert de population, autant dans ce cas là renoncer à créer un second État arabe dans la Palestine du mandat – le premier ayant été, dès les années Vingt ce qui deviendra la Jordanie – et se diriger vers une formule fédérative, comportant des régions administrativement dirigées par des arabes, au sein d’un État fédéral contrôlé par les Juifs. Parler de partage sans transfert, c’est vouloir conduire une voiture sans acheter d’essence. Si le transfert est une idée obsolète, c’est ipso facto également le cas du partage, idée qui fut un temps chère aux Anglais. Apparemment, les temps ont changé et de facto les juifs ont du quitter les pays arabes et sont très peu nombreux en Cisjordanie, alors que les arabes constituent en Palestine occidentale (Cisjordanie comprise) une portion importante de la population globale. Dès lors, la notion de transfert de population apparaît comme étant à sens unique puisque ce des arabes résident dans la zone juive et fort peu de juifs – hormis le cas des « colons » en Cisjordanie et essentiellement en bordure – dans la zone arabe, puisque les juifs qui immigrent dans la région se dirigent uniquement vers la zone dite juive. Tout se passe comme si les plans qui étaient acceptables dans les années Trente-Quarante ne le sont plus maintenant.

Certes, le monde juif a-t-il une dette de reconnaissance envers la Grande Bretagne qui a cherché à la fin de la Première Guerre Mondiale à négocier avec le monde arabe – il ne faudrait pas l’oublier – un accord sur la « reconstitution » d’un Foyer National Juif, dans une région dont le statut historique était de toute façon exceptionnel et avait vocation à accueillir des populations non musulmanes. Le malheur, c’est que les Anglais ont démissionné du fait probablement de ces liens avec le monde arabe. La formule du Livre Blanc, des trois tiers – de 1939 n’était pas, du moins provisoirement, si mauvaise que cela, à ce détail près qui gâchait tout, que l’on avait fixé que la population juive ne pouvait dépasser le tiers de l’ensemble de la population de la Palestine Occidentale, ce qui était trahir à l’évidence le projet d’instauration d’un Foyer Juif, accueillant, sans restriction, les Juifs en quête de refuge.

Nos entretiens avec certains ressortissants arabes, tant chrétiens que musulmans, font ressortir une volonté d’édulcorer les textes relatifs à l’installation d’un Foyer Juif en Palestine, niant ainsi le caractère prioritaire de solution de la question juive, dans un lieu sur lequel au demeurant le monde chrétien avait toujours préservé un droit de regard. On ne saurait en revanche contester que du point de vue arabe, une telle politique soit typique d’un esprit colonialiste. Ainsi, en remettant en question le projet Balfour et ses avatars institutionnels (Sèvres, SDN, ONU), le monde arabe ne cherche-t-il pas, par Israël interposé, à prendre sa revanche sur des relations qui furent longtemps léonines ?

Un autre argument tient au distinguo entre Foyer Juif et État Juif. En ce qui nous concerne, nous regrettons que l’ONU ait renoncé au système du mandat dans cette région. On a vraiment là affaire à une attitude à la Ponce Pilate : que les parties se débrouillent entre elles ! Nous ne verrions, pour notre part, aucun inconvénient à ce qu’Israël soit requalifié par les instances internationales de Foyer Juif ni d’ailleurs à un retour aux termes du Traité de Sèvres de 1920. Que l’Union Européenne, par exemple, exerce un tel mandat, dans un tel but, sur la Palestine occidentale nous semblerait une heureuse issue et serait dans la continuité des mandats français et anglais sur une région qui fut l’aboutissement des Croisades. Bien entendu, cela devrait inclure les lieux saints se trouvant en Cisjordanie, notamment Bethléem. À ce propos, force est de constater que la différence effectuée entre Palestine Orientale (Transjordanie) et Occidentale semble tenir au fait que les Lieux Saints du christianisme se situent dans la partie Occidentale et guère dans la partie au delà du Jourdain. D’ailleurs, quand on étudie le plan de partage britannique, on observe une tripartition de la Palestine occidentale, une partie continuant à incomber à la puissance mandataire. Pourquoi ne pas imaginer un système qui conserverait à l’État d’Israël sa dimension telle que définie dans les Accords d’Oslo et placerait sous mandat européen la Cisjordanie et Jérusalem Est, l’actuelle Jordanie constituant étatiquement le pôle arabe. Et ce éventuellement au sein d’un ensemble confédéral.

Mais comment s’empêcher de rapprocher le partage de la Palestine de l’Anschluss nazi de 1938 ? Faut-il rappeler que c’est précisément à l’époque des Accords de Munich, où les Anglais étaient partie prenante, que l’idée du partage s’est imposée. Mais s’agit-il d’un partage ou bien plutôt de la revendication pour le monde arabe d’une partie de la Palestine à majorité arabo-musulmane tout comme les Sudètes étaient une partie à majorité germanophone d’une Tchécoslovaquie née au lendemain de la Première Guerre Mondiale des ruines de l’Empire Austro-hongrois à l’instar de la Palestine du mandat, née des ruines de l’Empire Ottoman ? Il ne s’agit nullement ici d’un processus nationalitaire de la part des arabes de la Palestine occidentale du mandat mais bien d’une revendication arabe, au nom de son Lebensraum, dont nous avons montré qu’il s’agissait d’une spirale conduisant à la revendication d’annexion d’une partie de la partie de la Galilée à majorité arabe. Il y aurait processus nationalitaire si la partie arabophone de la Palestine n’était pas limitrophe avec le monde arabe. Il se trouve que lors de l’Anschluss arabe de 1948 puis de 1967, c’était l’État attaqué qui l’avait emporté, comme si la Tchécoslovaquie en 1938 avait repoussé l’armée allemande. Comment ne pas dès lors comparer les Accords de Madrid/Oslo avec ceux de Munich, permettant ainsi d’annexer les « Sudètes » de Palestine, par la seule force de la diplomatie ? Le principe de la Palestine du Mandat tout comme celui de la Tchécoslovaquie ne prévoyait pas d’anschluss, on avait considéré qu’il y avait édification d’un État comportant des minorités tout comme l’Alsace est partie intégrante de la France en dépit de sa germanophonie. Nous, juifs français, et qui plus est si nous sommes alsaciens, nous sommes bien placés pour nous méfier de la logique de l’Anschluss qui nous a privé de l’Alsace pendant près d’un demi-siècle, de 1870 à 1918 ! Pourquoi les arabes de la Palestine du mandat ne seraient-ils pas les Alsaciens du Moyen Orient ?

D’une certaine façon, la question palestinienne est avant tout européenne – et nullement américaine, les États Unis n’ayant pas été membres de la SDN. Les Juifs dont il s’agissait, les premiers concernés par le Foyer, ne venaient-ils pas d’Europe ? Cette Europe qui avait affirmé ses droits sur la Palestine lors des Croisades. Les mandats accordés par la SDN n’avaient-ils pas été accordés exclusivement à des États Européens ? Une Europe qui avait entretenu pendant des siècles des relations complexes avec l’Empire Ottoman, comme en témoigne la Guerre de Crimée qui vit la France et l’Angleterre défendre la Turquie contre la Russie. Une Europe qui avait commencé à prendre le relais de la Turquie, comme ce fut le cas de la France en Algérie, en 1830. Il y a bien eu là dépossession, en 1945/1947 par les États Unis – et le fait que le siège de l’ONU soit à New York est symbolique – des droits historiques de l’Europe que les États Unis n’ont aucun scrupule à brader.

La question palestinienne – car la question juive dépasse largement ce cadre là  ! – nous apparaît dès lors comme une ligne de clivage majeure entre l’Europe et les États Unis. Il conviendrait d’ailleurs de rester fidèle à la notion de Foyer Juif. Rien n’empêche d’envisager qu’une partie des Juifs du dit Foyer ne retourne en Europe, eux ou leurs descendants. Rappelons enfin que si le monde arabe peut protester contre cette présence des juifs européens en son sein, un nouvel argument est apparu depuis quelques décennies, à la suite de la décolonisation  : la présence des émigrés musulmans en Europe. Les temps changent !

Il ne s’agit nullement, cependant, par nos analyses, de laisser entendre que nous adopterions la thèse d’une nécessité pour les Juifs d’émigrer en Israël (cf. notre texte sur les Juifs entre Chrétienté et Islam). Pendant longtemps, d’ailleurs, les juifs ont circulé d’un pays européen à l’autre et la Turquie – dont la Palestine a fait partie des siècles durant – a joué un rôle de refuge depuis l’époque de l’Expulsion des Juifs d’Espagne en 1492. On sait à quel point la France aura servi aussi de refuge pour ces Juifs de l’Est de l’Europe comme du Maghreb et d’autres anciennes possessions turques, sans oublier la Turquie elle-même, stricto sensu. Il y a bien ainsi une symbiose, un écosystème, entre l’Europe et l’ancien empire ottoman, laquelle passe aussi par la gestion de la question juive – et pas seulement en Israël – qui reste une donnée majeure de la civilisation méditerranéenne au sens large.

J. H.

 

Bibliographie :

A. Gresh et D. Vidal. Palestine 47. Un partage avorté, Paris, Ed. Complexe, 1987.

Maurice Moch, Le mandat britannique en Palestine, Thèse de droit. Paris, 1932.

J. Halbronn, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Préface H. Gabrion, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002.

H. L. Weisman, The future of Palestine. An examination of the partition plan, New York, 1937.

Y. Katz, Partner to partition ; The Jewish Agency’s partition Plan in the Mandate Era, 1998.

Department of State. Mandate for Palestine prepared in the division of Near Eastern Affairs, Washington, 1927.

Documents officiels de la deuxième session de l’Assemblée Générale, 11. Commission spéciale d’enquête sur la Palestine, Lake Success, New York, 1947.

 

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