Être juif au monde : les trois voies
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Jacques Halbronn

 

 

 

 

A la fin de 1917, Lord Balfour s’engageait au nom du gouvernement britannique à militer en faveur d’un Foyer Juif en Palestine. La Société des Nations qui sera fondée, peu après, va entériner ce projet en confirmant l’octroi au Royaume Uni du mandat sur la Palestine. Au lendemain du second conflit mondial, les Anglais jugeant la situation dans la région ingérable remirent leur mandat à l’Organisation des Nations Unies, qui succédait à la SDN et ce trente, presque jour pour jour, après la Déclaration Balfour, le 29 novembre 1947. L’ONU votait un plan de partage de la Palestine prévoyant d’une part un Etat Juif, de l’autre un Etat Arabe, en tenant plus ou moins compte, de la répartition démographique des deux populations.

Or, il semble que ce soit ce plan qui fasse aujourd’hui l’objet d’une contestation, plus de cinquante ans plus tard. Le temps n’est-il pas dès lors à une “troisième fondation” en moins de cent ans, d’un Etat Juif, pour prendre la formule rendue célèbre par Théodore Herzl, en 1896 ?

Il nous semble qu’il est temps que les juifs mettent le monde au pied du mur. Oui ou non la communauté internationale est-elle d’accord pour accorder aux juifs un territoire qui ne fasse pas l’objet de contestations ? Laissons de côté la question des droits acquis avec le temps, de la situation de fait politique et militaire et essayons une autre stratégie de communication qui nous semble, si l’on veut bien nous accorder la formule, plus dans l’esprit “juif” voire talmudique.

Oui ou non, donc, existe-t-il un consensus pour qu’il existe un Etat qui certes ne rassemblerait pas tous les Juifs de la planète mais dont la vocation principale serait d’être pour et par les Juifs ? Etant donné qu’on imagine mal qu’un tel Etat puisse désormais se situer ailleurs que dans le périmètre historique – qu’on l’appelle Palestine ou Terre d’Israël – tant qu’à faire, que la communauté internationale, comme le souhaitait Herzl, tranche et puisque en 1948 les Arabes n’ont pas accepté le plan de partage ce qui est à la racine même des problèmes actuels, qu’on procède à nouveau à un vote.

Car, de deux choses l’une, ou bien le vote sera négatif et ne reconnaîtra pas le droit d’un Etat Juif dans la région à l’existence ou bien le vote viendra confirmer les deux premières “fondations” et dans ce cas restera le problème du tracé entre l’État Juif et l’État arabe comme le problème s’était déjà posé en 1947.

On peut supposer raisonnablement que l’ONU confirmera qu’un tel Etat Juif doit exister, dans le cadre d’un périmètre qui est celui de l’ancien mandat britannique, étant entendu que dans ce même cadre se placera aussi un Etat “palestinien”. . Le problème risque d’être plus délicat en ce qui concerne son tracé.

 Nous n’avons pas étudié la façon dont en 1947 on avait envisagé, sur le papier, le rapport entre terre et population. On sait que, dans les faits, il y a eu des départs plus ou moins forcés, est-ce que des déplacements de population étaient alors prévus, les arabes allant vers l’État arabe prévu et les juifs vers l’État juif prévu.

Le cas des arabes israéliens, comme on les appelle, est délicat : faut-il les placer au sein de l’Etat arabe ou de l’Etat juif, étant entendu que dans tous les cas de figure, on conçoit mal qu’ils puissent être déplacés de là où ils se trouvent, dans leur majorité, en Galilée ? Il y a évidemment le cas des “colons” juifs plus ou moins enclavés au sein de territoires “arabes”.

Nous avons toujours prôné qu’en tout état de cause une minorité juive devait être préservée au sein de l’État arabe et une minorité arabe au sein de l’État juif. Il serait bon que l’importance de ces minorités soit assez comparable, ce qui n’est nullement le cas, à l’heure actuelle, dans les “frontières” de fait entre les deux entités étatique ou pré-étatique. Il convient de dédramatiser le problème de la présence juive en terre arabe, ce qui peut impliquer pour les juifs concernés l’adoption d’une nationalité palestinienne tout comme les arabes israéliens ont la nationalité israélienne.

Il faut en effet découpler présence juive et Etat juif. Ce sont deux problèmes à traiter de concert mais qui n’en sont pas moins distincts. C’est le refus du découplage qui empoisonne, selon nous, la situation, avec évidemment le cas emblématique de Jérusalem.

On aurait donc pour les Juifs, dans le monde, trois statuts possibles : être en diaspora en tant que  citoyens d’un pays donné, être en Israël en tant que citoyens d’un Etat Juif, de l’État Juif car on voit mal qu’il puisse y avoir plus d’un et enfin être en Terre “biblique” – par exemple à Hébron ou à Jéricho – mais dans la partie sous contrôle arabe. Un triple choix qui serait laissé à chaque Juif, selon ses valeurs, ses priorités, sa sensibilité. Trois situations bien différentes et exigeant un mode de vie spécifique et pourquoi l’ONU n’élargirait-elle pas le débat en s’efforçant d’appréhender la question juive dans son ensemble, à l’échelle de la planète ? Nous avons toujours pensé que pour répliquer à la Shoah, la fondation d’un Etat Juif ne suffisait pas et qu’il fallait réfléchir aux droits spécifiques des Juifs de par le monde.

Il est peut être temps, en effet, de comprendre qu’Israël n’épuise pas la question juive et qu’il n’en est qu’un des piliers avec la diaspora mais aussi, comme on vient de le dire, avec la présence juive en Palestine, où se trouvent des lieux saints de l’Histoire juive, paradoxalement plus nombreux d’ailleurs que dans l’État d’Israël.

Or, en acceptant de considérer le nouvel État arabe en gestation comme un État qui compte aussi pour le monde juif, on voit que l’éclairage change. Il faudra que ce nouvel État ait un rapport particulier avec ce monde juif et d’une façon qui ne sera pas celle de l’État hébreu. On peut tout à fait envisager qu’une Alya vers cet État arabe, à vocation essentiellement religieuse, puisse se développer  : une migration qui n’émanerait pas spécialement d’Israël mais du monde entier. Il est clair que pour le nouvel Etat arabe, ce serait là une source de richesse, de financement, ce dont il a temps besoin. Ce serait aussi amener les arabes à démontrer qu’ils ne sont pas antisémites et qu’ils sont disposés, comme ils l’ont fait des siècles durant, à cohabiter avec une minorité juive, ayant ses droits propres, au sein d’un Etat à dominante arabe.

Jérusalem serait probablement le lieu où convergeraient les deux États, une sorte de capitale où siégerait un conseil chargé de veiller aux bonnes relations judéo-arabes tant en Israël qu’en Palestine. Là encore, nous retrouvons une structure ternaire comme si le trois faisait la synthèses et résolvait la conflictualité diachronique et synchronique du binaire. Jérusalem serait donc une troisième entité au statut juridique à part.

Nul doute, par ailleurs, que les juifs séfarades aient un droit historique et culturel privilégié par rapport à ces deux États. Nous savons, de par nos entretiens avec des arabes, à quel point ils éprouvent de la prévention face aux juifs ashkénazes, “aux yeux clairs”. Il faut y voir de leur part une forme de “racisme” mais sans que l’on diabolise ce terme. C’est une façon un peu naïve de penser que ce qui se ressemble s’assemble mieux.

L’adoption de l’hébreu est également un atout dont on n’a pas encore assez su jouer. Sa proximité avec l’arabe est flagrante au point qu’au sein des divers dialectes arabes, l’hébreu pourrait apparaître, peu ou prou, comme l’un d’entre eux. Souvent, les arabes à qui l’on montre les similitudes entre les deux langues sont frappés et cela les fait réfléchir.

Il faut donc se servir de ces deux atouts objectifs de l’hébraïsme et du séfardisme pour faciliter la cohabitation entre juifs et arabes au sein des deux États dont l’existence était déjà prévue en 1947.

Mais revenons-en à notre “pari” initial : remettre les choses à plat en disant “chiche”, reprenons le problème à zéro et voyons ce qu’on peut faire de façon optimale. Et si, bien entendu, le “monde” refuse aux Juifs cette nouvelle chance, alors il sera temps de tirer des conclusions et de ne se fier qu’à nous-mêmes. Mais on n’en est pas encore là. Il faut d’abord mettre les Nations face à leurs responsabilités en faisant le bilan catastrophique de l’échec de 1947. Comment se fait-il qu’en 1947, les arabes aient refusé le plan de l’ONU  ? Ironie de l’Histoire, ces arabes qui reprochent à Israël de ne jamais respecter les résolutions de l’ONU et qui n’ont jamais accepté la première d’entre elle, la fondation de deux États jumeaux, en Palestine, un juif et un arabe.

Il est bon d’interpeller les arabes en leur disant : Où en êtes- vous maintenant sur ce sujet ? Oui ou non acceptez vous le principe de deux États avec les compromis que cela exige ou bien allez-vous, encore et encore, refuser le principe d’un État Juif, en faisant le deuil de certaines nostalgies ? Rappelons tout de même que ces Palestiniens n’ont jamais, dans toute leur Histoire, eu d’État indépendant et que c’est grâce aux Juifs qu’ils auraient pu en avoir un en 1947 et qu’ils pourront en avoir un demain. En revanche, s’ils ne veulent pas, eux aussi, assumer la question juive, à leur niveau, ils auront le plus grand mal à aboutir.

Au lendemain de la Shoah, il était à peu près clair pour tout le monde que les Juifs étaient un cas à part, qui exigeait un traitement à part. Mais, depuis, le temps a passé et les juifs eux-mêmes ont souvent perdu la conscience de leur spécificité, ils ne veulent pas être le point de mire de l’Humanité; ils se veulent un peuple parmi d’autres. Et c’est là leur erreur stratégique !

Car, les juifs ne peuvent pas exiger un traitement privilégié et en même temps se déclarer un peuple comme les autres. Il y a là un dilemme : on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Ou bien, en effet, les Juifs sont un peuple à part et il faut que l’Humanité leur accorde collectivement et individuellement un statut à part. Ou bien, les Juifs sont un peuple comme les autres et dans ce cas il n’y a plus de légitimité pour la création de l’État d’Israël : !

La déligimitisation de l’État d’Israël est liée à l’image que le peuple juif se donne à lui-même et de lui-même, dans le monde et curieusement, on s’aperçoit à quel point l’existence même de l’État d’Israël est tributaire de la façon dont les juifs, sur cette planète se définissent et abordent leur identité. Renversement de situation car on a trop longtemps cru que l’image des juifs de diaspora dépendait de celle de l’État d’Israël. Or, on s’aperçoit que c’est exactement l’inverse : la banalisation de l’être juif au monde enlève à l’État d’Israël sa justification qui était patente au lendemain de la Shoah quand Hitler avait démontré, avec les arguments que l’on sait que différence il y avait. On pourrait même dire que la Shoah avait définitivement, croyait-on, fondé cette différence, qu’elle ait ou non préalablement existé.

C’est pourquoi nous pensons que l’acceptation par les Nations (Unies) de ce Retour des Juifs doit se situer dans une réflexion globale, sociologique, théologique, historique de la question juive. Nous pensons que si État d’Israël il doit y avoir, cela signifie aussi, ipso facto, que tous les juifs de la planète sont concernés, sont partie prenante, au sein du nouveau “contrat”; Non point, parce que tous doivent se rendre en Israël, mais du fait que c’est parce que les juifs sont ce qu’ils sont, que l’État d’Israël doit être.

On se rend bien compte que l’on ne parviendra plus longtemps à distinguer antisionisme et antisémitisme. Les deux sont intimement liés : le sionisme est un remède à l’antisémitisme mais il est aussi complètement tributaire de l’antisémitisme bien plus que l’inverse. A condition de comprendre le terme antisémitisme aussi sous sa forme négationiste.

Car, refuser que les juifs soient un peuple à part, le placer au même niveau que les autres, c’est bel et bien du négationisme ! C’est nier, en effet, ce qui a permis que la Shoah ait eu lieu, c’est commettre délibérément un contre-sens historique. Le problème, c’est que nombreux sont les juifs qui se renient, qui refusent d’assumer leur différence. Ces juifs là ne comprennent pas que ce faisant ils déligitiment l’existence de l’État d’Israël car faut-il un Etat pour toutes les diasporas, pour toutes les minorités ? S’il faut un Etat Juif, c’est au nom d’une exigence, d’une nécessité qui exige que le juif, tout juif sur cette planète, ne soit pas considéré comme tout le monde.

Faisons donc un pari : il faut tout demander et au plus haut niveau. Soit les juifs obtiendront une charte spéciale pour eux incluant la confirmation de l’État d’Israël, mais sans que cela en soit le seul élément. Soit ils ne l’obtiendront pas et alors les juifs n’auront plus qu’à continuer à s’assimiler, à refuser leur altérité radicale et l’État d’Israël n’aura plus qu’à continuer à survivre, contre vents et marées, avec une épée de Damoclès indéfiniment placée au dessus de sa tête.

Comme pour le pari de Pascal, nous pensons que l’on n’a rien à perdre à croire que l’Humanité acceptera de reconnaître le fait juif comme un fait unique. Soit elle l’acceptera, et nous aborderons le XXIe siècle dans la sérénité et dans une sorte d’accomplissement d’une Histoire millénaire. Soit les Nations refuseront cette reconnaissance et nous en reviendrons à la situation actuelle, faite de peur, de violence, de dénégation de l’autre et de soi-même. A chacun de juger !

Il convient d’accepter une révolution copernicienne et de comprendre que l’Etat d’Israel n’est pas ou plus central, il dépend du combat que les juifs mènent de par le monde pour leur identité. Les israéliens ont tendance à oublier ce qu’ils doivent à la conscience juive, à la Shoah et ce faisant ils coupent la branche sur laquelle ils ont pu s’installer. Seule la revalorisation du fait juif permettra à l’État d’Israël d’être définitivement reconnu. Car, il faut bien être lucide : les rapports de force idéologiques ont changé : l’avenir de l’État hébreu dépend désormais largement de la façon dont les Nations sont prêtes à évaluer le fait juif, en leur sein. En revanche, l’avenir des juifs dépend-il de l’État d’Israël ? Il semble bien que cela soit vrai dans le pire des cas, à savoir lorsque le conflit du Proche Orient est susceptible d’affecter la vie des juifs dans le monde et notamment en France où les juifs cohabitent avec une communauté arabe plus forte démographiquement. Ce qui évidemment pourrait à terme grossir l’émigration juive vers Israël. Ce serait là, pensons-nous la politique du pire. Que l’antisémitisme favorise le sionisme a été une des analyses “objectives” de Herzl. Nous préférons croire que le règlement de la question juive permettra à l’État d’Israël, sous certaines conditions, d’exister dans un contexte pacifique. Il ne s’agit pas tant de se demander comment faire venir des juifs en Israël que de se demander comment permettre à l’État d’Israël d’occuper la place qui lui revient au sein du monde juif.. La création de l’État d’Israël n’est donc pas “la” solution de la question juive mais la solution de la question juive- dans une perspective postsioniste qui considère l’existence de cet Etat Juif comme un fait incontournable – permettra à cet Etat de perdurer au sein du monde arabe.

 

Jacques Halbronn, Paris le 20/10/01

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