Aux sources des peurs, le mythe
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Le robot et le loup
Tous droits r�serv�s �
Lierre & Coudrier
�diteur
Illel Kieser 'l Baz � Houria
Extrait de Houria, in�dit, Paris
1989.
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Table des mati�res
I � Introduction
II � Le robot, nouveau ma�tre
La construction du Moi, naissance du monde moderne
Place au nouveau ma�tre
�Le robot et l'adulte
�Le mod�le de la voiture
Les robots �lectroniques
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Le loup est mort !
III � Le robot, nouveau h�ros
Vivacit�s enfantines et morales parentales
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D'antiques
spectres mill�naristes resurgissent au point que la vague moralisatrice para�t
comme seule voie de salut face � ce que l'on nomme violence, ins�curit� ou
acc�l�ration non contr�l�e du progr�s. Effray�, l'Occidental moyen en
arrive � recourir aux pires m�thodes de pr�servation pour conserver ses
dogmes, ses rites, sa sainte trilogie, S�curit�, Stabilit�, Sant�.
Le long labeur de la civilisation para�t menac� car c'est lui l'accus�
d�un proc�s o� la peur du devenir fige chacun dans une attitude frileuse
et st�rile.
On se demande �galement quel a bien pu �tre le b�n�fice des religions
qu'il faille, sit�t la mort de Dieu, retourner aux cavernes pour mieux
s'exercer � la sauvagerie. Quelle confiance peut-on accorder � un retour du
sacr�, m�me dans l'espoir de mieux vivre la modernit� ? La sacralit�
porte-t-elle davantage de fruits sous le costume colori� des � nouvelles spiritualit�s
� que v�tue des habits solennels des pr�tres et des
officiants d'antan ?
Une culture meurt et, plut�t que de faire face, d�envisager les solutions
les plus courageuses et les plus humaines, nous trouvons refuge dans des r�ves
nostalgiques.
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Dans l'imaginaire de l'enfant moderne, d�sormais, le robot remplace le loup ou la sorci�re. La substitution s'est faite avec simplicit�... Celle-ci s'ins�re logiquement dans les moments d'�volution de l'enfant.
Vers trois ans, l'enfant voit cro�tre en lui une forme de conscience qui le distingue du monde ext�rieur lui permettant une entr�e progressive dans celui-ci. Le Moi se forge alors dans une lutte angoissante contre le monstre avaleur qui menace la toute jeune conscience �mergeant vers la lumi�re des Humains. C'est sur la base de cette figuration que s'illustre le processus de naissance au monde concret, hors des flots sombres de l'inconscient. Durant cette p�riode, la jeune conscience est menac�e - parce que � peine n�e
� de r�-engloutissement par les flots sombres du chaos, de la "non-vie". Les figurations de m�re
"avaleuse", "engloutisseuse", "mauvaise" ou "castratrice" sont destin�es � repr�senter ce mouvement de la "vie en soi". La m�re r�elle ou son substitut incarn� ne sont nullement en cause. En dehors de
pathologies gravissimes, aucune m�re au monde ne pourrait atteindre ce niveau de cruaut� froide en d�truisant les jeunes forces de l'enfant. Par contre � travers ses imagines, ses angoisses et ses cauchemars, l'enfant per�oit le puissant mouvement de la vie en lui. Ce dernier lui est en quelque sorte "r�v�l�" de mani�re puissamment sensitive et affective.
C'est � partir de cette valse d'images que se forgent les premiers �l�ments du Moi, adaptable et pilote de la conscience. La conscience lib�r�e de la gangue indiff�renci�e du monde ant�rieur fabrique d�sormais des outils de transformation du monde.
L'enfant apprend � manipuler les robots �lectroniques du monde moderne et en luttant contre ces silhouettes mutantes, contre ces structures aux fonctions multiples, le jeune humain se cr�e les moyens de faire face � un monde dans lequel la forme ext�rieure des objets n'est plus stable. Les outils psychiques de transformations du monde se perfectionnent.
Mais le monstre est l�, de forme massive, dent�, la gueule
engloutisseuse, mena�ant, fascinant, il guette de sa pr�sence �ternelle...
Quand le monde environnant �tait celui de la nature sauvage, que la terre � cultiver �tait encore habit�e de b�tes fauves, les images d'�mergence de la conscience cr�atrice se d�veloppaient autour du th�me d'un combat contre les fauves de la jungle. C'est autour de ces figurations que se d�velopp�rent les rites initiatiques d'affrontement de la for�t sacr�e. Il fallait que le jeune, l'adolescent
- celui qui va devenir adulte -, montre sa capacit� � tirer parti de ses qualit�s physiques et psychiques pour faire face au monstre engloutisseur qu'�tait la jungle, au profit de sa communaut� et pour la plus grande gloire de son petit Moi.
En d'autres temps, les humains eurent plut�t � vaincre la masse sombre d'une morale barbare. Les grandes villes �taient d�j� n�es, une partie de l'humanit� se sentait d�j� apte � ma�triser de nombreuses techniques, mais les centres urbains �taient insalubres et dangereux. Il fallut ma�triser ces masses psychique encore proches de la violence d'antan. Les grandes morales naquirent, le
Tao�sme, le Juda�sme, la Philosophie grecque, etc.
Chaque fois le jeu des images changeait de forme, pas de structure ni de finalit�.
Au Moyen Age, un pauvre animal en voie de disparition, le loup, figura ce pouvoir terrible de la Nature sauvage et, par suite, l'inconscient qui menace la jeune pousse trop faible pour affronter le monde
turpide. De nos jours, l'engloutisseur, le monstre, c'est bel et bien l'inconscient dont l'enfant se d�tache. C'est ainsi que nos syst�mes de connaissance nomment une zone de la psych� qui demeure voil� d'un �pais rideau de myst�res et de dangers. L'enfant moderne, assur� d'une longue stabilit� mat�rielle n'a plus � faire face � une nature externe, v�g�tale ou animale, il lui faut affronter les monstres noirs de ses r�veries int�rieures. Et c'est dans son environnement imm�diat que l'enfant trouvera les formes capables de figurer cette danse des masses psychiques. Les grues, les gros excavateurs, les ordinateurs et les robots vont remplacer le loup sur lequel d�sormais, l'enfant s'apitoie plut�t.
La premi�re coupure conscient/inconscient se produit � ce moment de la vie et c'est
gr�ce � elle que l'enfant prend la mesure de ses jeunes forces. L'en priver, lui �ter les moyens de ce passage, en le prot�geant par exemple, c'est menacer gravement son potentiel adaptatif. Laisser l'enfant faire ses propres exp�riences ne veut pas dire l'abandonner � lui-m�me face au monstre d�vorant de sa nature int�rieure. C'est par le jeu des images int�rieures, par le truchement de repr�sentations, hors des balises du rationnel, que l'enfant trouvera les moyens de s'aguerrir et de fortifier son jeune
ego.
Les anciens nous avaient l�gu� un patrimoine mythique et l�gendaire abondant dont le but �tait, par la r�p�tition, le r�cit et la narration de montrer le chemin de la domestication du monstre/loup/inconscient. Les r�cits au coin du feu, les l�gendes du croque-mitaine, etc. permettaient � l'enfant de prendre en compte la dimension puissante et cr�atrice de l'inconscient/nature et cela lui permettait aussi de pressentir les issues possibles vers la r�alit� objective du monde environnant. C'est de l� que d�coule cette prodigieuse victoire de la ruse sur la force car l'enfant, anim� par le mythe, au lieu d'�tre guid� par des rationalisations qui balisent tout, apprend � faire confiance � l'intuition qu'il peut avoir de la situation et ce, sans avoir de plan pr�construit. L'enfant apprend l'inventivit� gr�ce � l'adaptation qu'il fait du r�cit mythique ou l�gendaire face � la r�alit� telle qu'il la vit. La violence qui s'expose dans les mythes et les contes est une sorte de repr�sentation des puissances en jeu dans l'inconscient. La cruaut� si bien affich�e dans les l�gendes n'est �galement rien de plus que l'affectation par des g�n�rations innombrables d'�tres humains de la puissance ambivalente de la Nature. La m�me que celle que Olivier Boissi�re pressentait dans les paysages ass�ch�s de l'Arizona.
"Ces landes ont vu se p�trifier les Titans. Rien ici n'est paisible. La nature dans toute sa violence. Le ruisselet qui serpente sous les frondaisons de cottonwoods et de junipers peut en un instant se muer en torrent d�vastateur emportant tout sur son passage. Partout, m�me dans la for�t de pins ponderosas des hauts plateaux, la roche affleure, d�nud�e, visible. M�re nature en nourrice s�che, cassante, exigeante, voire meurtri�re. On saisit mieux � ce spectacle la terreur sacr�e des indig�nes, leur soumission religieuse � la terre et � la montagne, l'attachement farouche � leur sol aussi. Quelque chose comme la tendresse et la frousse qu'inspire aux marins l'oc�an. "1
L'histoire de l'�tre humain semble riv�e � la r�solution de la peur, comme si seul ce sentiment pouvait signifier qu'il y ait quelque chose � vaincre, une r�sistance � passer et finalement une r�elle conqu�te � op�rer sur le monde. Un enfant qui ne conna�trait pas cet assaut de la crainte et de la peur face aux puissances de la Nature2 serait menac� de ne pas pouvoir acc�der efficacement au monde de l'adulte, par manque, � la fois, de souplesse, de force et de capacit� � changer et � ondoyer dans les interstices du r�el. Que veut dire prot�ger un enfant si nous ne savons pas lui donner la possibilit� d'affronter ses monstres int�rieurs pour les domestiquer, mettre leur force au service de la conscience. Au lieu de cela, bien souvent parce que nous sommes inconscients de l'enjeu et que nous n'avons pas su nous-m�mes dominer cette peur, nous transmettons � nos enfants la crainte du monstre/robot, pris ici comme m�taphore du monde technique dans lequel nous vivons.
Notes
1 � "L'Arizona de John Wayne", Olivier Boissi�re, Le Monde du samedi 18 Novembre 1989. De tels t�moignages contrastent avec ceux des hommes de sciences car il apportent une vision directe de l'�motivit� qui est derri�re l'aventure de la technique, le spectacle na�f en quelque sorte.
2 � Nous parlons de peur face aux forces de la Nature et non face � un ma�tre ou � un h�ros quelconque, fondement de toutes les id�ologies totalitaires. La confrontation solitaire � la Nature permet � l'enfant de s'affranchir de toute tutelle � mesure de son �volution.
Et la nature, c''est aussi le corps.
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La rencontre de l'enfant moderne, du robot et du loup rev�t un caract�re �trange.
L'enfant, bien plus que l'adulte est amen� � r�agir de fa�on adapt�e, rapide et pertinente aux sollicitations du monde alentour. Pour lui, cet affrontement est frapp� du double sceau de l'ambivalence. D'un c�t� la curiosit� pour le monde, nourrie par la puissance de l'�ros qui pousse l'�tre vers le monde, de l'autre, la peur, le suintement de l'angoisse qui noue le ventre et tord les visc�res.
" J'�tais avec mon fils pr�s d'un chantier de d�molition et nous regardions �voluer les puissantes grues avec leur lourd b�lier qui abattaient d'immenses murs comme s'il s'�tait agi de paravents. J'avais d�j� rep�r� chez lui des r�ves effrayants, lesquels �taient tous en rapport avec ses robots/jouets. Pour l'aider �
pousser je lui avais parl� du loup... et autres fauves de la nuit. Rien ne fonctionnait comme mes ma�tres me l'avaient annonc�. Je fus tr�s surpris de constater qu'il n'avait pas du tout envie de s'approcher des grues. Il paraissait m�me franchement effray�. D�cid�ment ses terreurs prenaient des allures bien singuli�res. Il en fit une v�ritable obsession durant la journ�e qui suivit. La grue avaleuse �tait pass�e dans ses jeux et fantasmes aux c�t�s des robots et autres figures cuirass�es. Je l'initiai donc � la domestication de la grue/robot � l'instar de ce que l'on m'avais d�j� appris pour domestiquer les monstres de l'inconscient. Je tenais cette m�thode de ma vie en Afrique. Selon les vieux africains, au lieu de favoriser le refoulement des peurs dues aux images int�rieures effrayantes, les adultes ont pour r�le principal de faciliter l'int�gration de celles-ci en aidant l'enfant � �prouver ses premi�res forces en se mesurant aux monstres... avec l'appoint des forces parentales. C'est � cette fin que des jeux sont mis en place qui miment l'approche, le combat et finalement la victoire de la conscience sur le fauve titanesque que l'enfant rapporte � sa tribu comme gage de sa jeune puissance.
Je sugg�rai donc � mon fils de se reposer sur moi ou sur sa maman pour faire face aux robots de sa nuit, aux excavatrices de son inconscient.
Ses p�r�grinations lui permirent au moins de consid�rer les robots un peu plus comme des jouets. Il se mit � les manipuler, � en construire. Il ne les d�truisit plus.
Quel impact cela eut-il sur son �volution ?
Je ne sais. Nous verrons dans vingt ans , lui et moi !".
A la suite de cette anecdote je d�cidai de me pencher sur le probl�me et en parlai � ceux de mes amis qui pouvaient avoir des enfants en �ge de passer au stade de la conscience (3 � 4 ans). Les informations vinrent confirmer mon
hypoth�se de d�part : Il existe bel et bien une �quivalence psychologique entre l'ancienne Nature et la Culture contemporaine. "
Nous n'avons plus de for�t sacr� mais nous sommes chaque jour � la lisi�re d'une jungle terrifiante, celle de nos images int�rieures qui d�filent sans ordre. L'enfant citadin
sait o� est son monstre et il convient seulement de lui donner les moyens de p�n�trer dans sa for�t int�rieure. Pour cela il suffit simplement de savoir que "�a existe".
Les vieilles l�gendes meurent, les enfants ne croient plus en la puissance terrifiante du loup qu'il soit simplement habill� ou rev�tu des attributs du garou. Certains intellectuels sont ravis d'une telle transformation de l'esp�ce humaine et se frottent les mains � l'id�e que l'humanit� s'affranchit des terreurs anciennes, d�su�tes et idiotes. D'autres au contraire se lamentent de nostalgie et pr�nent d�j� un retour aux traditions l�gendaires. Nous pourrions comprendre ces j�r�miades de nantis si nous ignorions que la crainte des choses obscures qui gisent au fond de l'�me r�v�le aussi chez l'enfant la naissance d'une forme de conscience, la r�plique exacte de celle qui saura plus tard ma�triser les outils de la modernit�, construire des robots pour am�liorer la vie, pas forc�ment pour la d�truire...
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Il existe beaucoup de r�ves de robot chez l'adulte, ceux-ci n'expriment pas forc�ment une tendance m�caniste de la psyc�. Les terreurs contemporaines sont bien plus du c�t� de la m�canique et de l'�lectronique que provoqu�es par des aventures dans une jungle transform�e en r�serve africaine. En nous tournant vers des sc�nes de la vie quotidienne nous constatons que l'homme moderne projette sur ses outils et sur la technique les fantasmes que nos anc�tres attribuaient plut�t aux monstres de la nature environnante : fant�mes, d�mons, elfes et autres animaux fantastiques...
Ne parle-t-on pas de virus informatique, de parasites dans les logiciels ?...
Lisons ces lignes extraites de "L'�v�nement du jeudi" du 31 mars 1988 :
"De son c�t�, Chirac, qui a voulu incarner l'avenir a fini par en faire un peu trop.
Transform� par ses conseillers en image en vue superman jeune, heureux, sans souci d'argent, sans ennui de sant�, il s'est en quelque sorte deshumanis�.
D�contract�, excessivement d�contract�, ayant un peu vite r�ponse � tout, il fait quelques fois penser � un robot et � ce titre il inqui�te.
Car un robot, aussi avenant soit-il n'est jamais autonome ; il existe toujours, dans l'ombre quelques hommes myst�rieux qui l'ont programm�."
Ainsi s'exprime un journaliste que l'on ne peut pas soup�onner de se livrer � des interpr�tations psychologiques fantaisistes. Cette remarque exprime pourtant quelque chose de vrai au plan de l'imaginaire.
Face aux outils modernes, l'homme a peur, terriblement peur que le contr�le de la machine ne lui �chappe. Ce n'est pas un th�me de science-fiction, c'est une hypoth�se largement d�battue par les experts. Ses terreurs se portent d�sormais sur la micro-nature et sur la technologie. C'est en elle que logent les d�mons. Toute cette foule se trouve aussi maintenant dans le corps de l'homme et dans les atomes qui servent de base � la technique. L'�tre humain a d�sormais peur d'�tre pollu�, infiltr� par des sortes de parasites qui le d�truisent et par des virus intelligents.
Le loup s'est d�guis� en robot et Merlin, le magicien, pilote d�sormais des ordinateurs sophistiqu�s.
L'homme et la femme modernes sont bien plus effray�s par la complexit� du monde moderne que par les dangers d'une Nature qui n'existe plus. Pendant que l'enfant, dans un r�flexe simple et imm�diat se pr�munit seul des craintes que ses parents lui l�gue.
La v�ritable r�volution de l'�re moderne se situe dans ce passage quasi imperceptible d'un objet r�el/naturel � un objet r�el/culturel.
Qu'est ce qui agite l'Homme moderne pour qu'il soit aussi m�fiant � l'�gard de la technique et pr�t � en brider l'utilisation. L'Ethique, nouvelle d�esse purificatrice, compl�te remarquablement l'�cologie pour ce qui est de freiner les "progr�s" de la technique. L'�cologie apporte la pond�ration, l'Ethique l'ordre moral.
Cette position est fortement charg�e d'ambigu�t�s. D'un c�t�, pour la pr�servation de son bien-�tre et de sa sant�, l'individu moderne demande � celle-ci d'�tre la plus performante possible, de l'autre il lui est impossible de supporter les cons�quences de cette demande : la blessure d'une plan�te qui saigne et menace de mourir.
Dans un sursaut de bonne conscience il accuse la soci�t�, les cadences, l'inhumanit� des villes... Le r�flexe �cologique vient � point, traduisant le d�sir de revenir � Nature naturante comme au temps du paradis, dans l'harmonie. Malgr� tout, le r�flexe �cologique, m�me s'il para�t �tre le seul qui soit l�gitime face aux agression de la technique, n'est pas totalement assum� ni clairement justifi�. La conscience �cologique, telle qu'elle s'�tale commun�ment, est une mauvaise conscience qui abrite des morales douteuses, fond�es sur la peur. Il n'est pas s�r que l'�cologie scientifique se reconnaisse tout � fait dans cela. L'Homme moderne ne se rend pas tr�s bien compte que science et technique vont ensemble et sont les fruits de l'Humanit� elle-m�me. Tout se passe comme si les humains ne supportaient pas d'avoir � surmonter les difficult�s dues � la ma�trise des techniques. Pour l'occidental, tout devrait �tre facile et couler de source. Qu'une menace plane et il se sent trahi, c'est bien au travers de cette trahison que se dessine ce sentiment de d�ch�ance et de d�go�t de soi, si poignant dans les id�ologies contemporaines.
L'enfant divin est abandonn� ! L'Occidental est emp�tr� dans l'incompr�hension de l'objet qu'il a cr�� et qui n'est pas le moins important dans le champ culturel car il s'agit en fait de l'ensemble des outils sur lesquels reposent la soci�t� moderne. Parmi ceux-l�, l'�lectronique semble devoir subir le sort particulier du fils honni, r�it�ration du mythe de Ca�n. L'informatique est vis�e par les campagnes d'�puration de la culture.
Il suffit en effet de lire n'importe quel magazine pour constater combien l'Homme nourrit � l'�gard de l'outil un immense soup�on. Les humains qui habitent l'Occident sont devenus profond�ment m�fiants � l'�gard du monde qu'ils ont cr��s. Partout c'est le proc�s de l'outil qui s'annonce et l'on oublie volontiers que " derri�re le robot, dans l'ombre il existe toujours quelques hommes qui l'ont programm�. " ... Ce qui veut dire que nos consciences contemporaines reproduisent le mythe du complot. Et cette opinion se r�pand bien plus parmi les gens autoris�s que chez le vulgum pecus.
Voici par exemple l'opinion d'un savant, Pierre Thuillier, sp�cialiste de futurologie et qui enseigne l'histoire et la philosophie des sciences. "Pollution, d�gradations et d�s�quilibre se multiplient; les soci�t�s industrielles disposent de techniques puissantes et exercent de telles violences sur l'environnement que les pires exc�s sont � redouter. La conclusion �cologique va quasiment de soi : freiner le processus destructeur chaque fois que c'est possible. "3
Cette opinion est tr�s r�pandue mais, de la part d'un savant cela r�sonne avec force. Pollution, d�gradations... riment avec techniques. La soci�t� industrielle est inculp�e. Ses techniques sont "violentes"...
Comme � regret le sage en arrive � dire que la solution �cologique s'impose mais il sous entend aussi qu'il ne s'agit pas de la meilleure solution : freiner le processus destructeur... La solution �cologique se trouve donc du c�t� conservateur, c'est ce qui semble g�nant, elle est freinatrice de progr�s et n'est qu'un signe de d�fense. Sur ce point de nombreux savants s'entendent pour dire que le r�flexe �cologique est une sorte de geste
d'autod�fense qui est le moins n�gatif. Il n'est pas s�r que l'�cologie ne soit que cela, pourtant c'est ce qui pr�vaut pour l'instant.
En marge du proc�s de l'outil, c'est celui de la programmation - donc d'un manipulateur - qui commence. D�j� les krach boursiers sont mis au compte de l'informatique, les pannes diverses des administrations lui sont imputables. Et beaucoup d'individus ont par rapport � l'outil informatique une attitude �tonnamment animiste. L'outil est anim�, on lui parle, on l'insulte, il se cr�e entre lui et l'humain une sorte de lien empli de mana.4 Il n'est pas sans int�r�t de constater qu'il se passa quelque chose de semblable au moment de l'arriv�e de la voiture sur le march� des m�nages.
Notes
3 � L'Histoire, magazine n� 125 - septembre 1989.
4 � Terme invent� vers 1881 par R. H. Codrington,
missionnaire et linguiste. La Mana est ce qui anime les objets, dans les cultes
animistes m�lan�siens ; c'est une sorte de v�hicule spirituel. Chaque objet est dot� de sa mana propre.
On doit � C. L�vi-Strauss la g�n�ralisation de ce terme : � une forme de pens�e universelle
et permanente �. N�anmoins le terme est peu � peu abandonn� par les anthropologues.
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Nombreux furent les hommes qui eurent avec leur m�canique un lien d'ordre amoureux.
La machine �tait aim�e, elle s'appelait "Titine", on la flattait dans les c�tes pour la soutenir dans son effort, on s'inqui�tait pour elle quand elle toussait ... Puis la voiture fut banalis�e et l'on oublia sa charge affective puissante d�sormais pass�e au sens commun. Mais la voiture demeure dot�e d'une tr�s forte charge affective qui tient du tabou ; tout se passe comme si cet outil dangereux repr�sentait une zone sacr�e, or voil� un instrument terriblement bruyant, dangereux, tr�s polluant et dont les ressources m�caniques n'ont aucun rapport avec ce qui lui est demand�.5 Dans de nombreux cas, sauf chez les professionnels, la voiture est plus qu'un vernis de repr�sentation. Nul ne peut y toucher. Si bien que les gouvernants qui g�rent ce secteur selon une ligne fortement d�magogique, plus qu'ils ne la gouvernent, ne peuvent pas r�glementer l'utilisation des v�hicules automobiles selon des objectifs coh�rents avec ceux de la Nation. Pour soutenir ce mythe moderne le pr�texte �conomique ne suffit pas et m�me les �cologistes demeurent � ce sujet dans une certaine ambivalence. Quel adulte financi�rement autonome ferait actuellement le sacrifice de sa voiture pour n'utiliser que les services des professionnels de la conduite ou des transports en commun ?
L'affectation de la voiture est pass�e dans les m�urs et il faudra beaucoup de temps pour sortir d'une telle idol�trie. Or, c'est bien cela qui nous d�montre que l'Homme moderne est d�pass� par l'outil qu'il a cr��. La conscience n'a pas suivi les rythmes des changements.
L'informatique et ses industries p�riph�riques sont en passe de subir le m�me investissement affectif au grand ravissement des producteurs et cr�ateurs de ces produits. La marge �conomique des produits de l'�lectronique est telle que tout psychologue y soup�onnerait l'existence de quelque objet pr�cieux surinvesti par la psych� de nos contemporains. Les marges atteignent parfois dix fois le prix de revient. Seules les productions artistiques parviennent � ce niveau dans une �conomie de march�.
Notes
5 - Les m�caniques sont surpuissantes par rapport aux limitations du code de la
route mais aussi � l'utilisation que l'on peut en faire. Cela r�sulte des mythes qui ont plus de 40 ans d'�ge, quand les soci�t�s occidentales ne juraient que par la d�esse "bagnole".
Sans compter que la vitesse est aussi une des repr�sentations de la
puissance. |
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L'informatique prend peu � peu la place de la voiture, une place religieuse, une valeur de tabou, crainte d'un c�t�, v�n�r�e de l'autre, presque au m�me titre qu'une d�esse.
Mais nous savons aussi qu'il existe quelqu'un derri�re la machine, qui la con�oit et la programme pour nous, et nous n'avons pas acc�s � ces fonctions quand nous sommes de simples utilisateurs. La ma�trise de cet outil finit par devenir myst�rieuse et se constitue en lieu de projection ; l'inqui�tude gagne le
c�ur de chacun d�s qu'il s'agit de s'aventurer dans le monde, la ville, cette formidable repr�sentation de la complexit� humaine. Une grande part de la philosophie catastrophiste contemporaine prend sa source dans une telle inqui�tude. De plus en plus �tranger � sa cr�ation, l'humain finit par s'en couper, la rejetant � l'ext�rieur dans un sursaut de projection qui semble le lib�rer de cette emprise de l'outil et de "ceux" qui le manipulent dans les coulisses de la vie. Comme les antiques humains nous ne sommes pas loin de donner � la technique une sorte d'�me. C'est un animisme d'un genre moderne et aux cons�quences encore impr�visibles.
Pour mieux saisir cette comparaison que nous faisons entre la nature telle que les anciens la percevait et la structure sociale contemporaine, �coutons ce que dit un journaliste � propos de la terre des indiens de l'Arizona :Nous pourrions ajouter comme dernier exemple que d�sormais L'homme et la femme modernes connaissent face au monde urbain, complexe et truff� d'�lectronique le m�me type d'effroi et de fascination que les indiens de l'Arizona ressentaient face � la perfidie de leur nature environnante.
Dans la fantasmatique commune, la complexit� de la Culture remplace celle de la Nature. L'humain moderne projette sur la culture les craintes que les hommes pr�historiques nourrissaient � l'�gard de la for�t primitive. Il en r�sulte que la premi�re difficult� � vaincre pour vivre convenablement r�side dans la peur que nous avons de la vie urbaine, principale composante de la soci�t� moderne. L'enfant cherche � s'en acquitter au travers de la figure des robots qu'il apprend � dominer. L'acquisition d'un savoir sur l'outil et sa domestication sont les autres composantes que l'humain doit englober avant de pr�tendre � une forme de conscience individuelle. La for�t sacr�e est d�sormais au
c�ur des villes. Cela ne nie pas la n�cessaire introversion � laquelle l'homme moderne est confront�. Derri�re le robot il y a quelqu'un qui le manipule et qui en conna�t donc tous les rouages. C'est la Conscience, et nul autre ma�tre. La t�che de la modernit� est bien d�finie.
Peut-�tre l'�ducation des jeunes enfants devrait-elle int�grer d�sormais la mort du loup ?
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Les jeux de beaucoup de nos bambins m�les tournent autour de ces jouets repr�sentant des humano�des robotis�s. Au travers de ceux-ci les enfants cr�ent un rituel qui leur permet d'exorciser la peur qu'ils ont des m�caniques complexes qu'ils auront � g�rer et � commander. Tout se passe comme si la psych� �tait bien plus mall�able, souple et adaptable que la conscience commune, p�tri de crainte et conservatrice. Cette facult� de manier l'outil que l'enfant acquiert en dominant ses peurs le conduit alors � aborder des instruments tr�s complexes avec une rapidit� qui �tonne mais qui est, au fond, toute naturelle car il ne fait que ma�triser le fruit d'une civilisation qui n'est pas forc�ment le monstre si volontiers d�peint. Les enfants de cinq � sept ans se servent des ordinateurs avec une intelligence qui surprend d'autant plus qu'ils ne savent pas lire, ils se guident gr�ce aux signes qui abondent dans la plupart des logiciels. Ces enfants, sans guides, parviennent � lire et �crire rapidement sans le recours des m�thodes habituelles. De ce point de vue la p�dagogie appara�t terriblement d�su�te et les id�ologues se r�fugient dans des consid�rations plus ou moins moralistes qui rejettent de toute mani�re l'outil �lectronique jug� froid, impersonnel et d�shumanisant... On voit mal comment un ordinateur, � moins que ce ne soit la t�l�, pourrait �tre responsable de la d�cadence culturelle que d'aucuns constatent en tous points.
Que peut-on faire avec, pour ou contre le robot de l'imaginaire de l'enfant ?
Les recours ne manqueront �videmment pas dans les manuels de psychologie. Mais c'est sur le terrain, dans les lieux o� cet imaginaire si puissant rencontre le concret que nous aurons le plus de chance d'apprendre. Il nous reste beaucoup � inventer car l'horizon urbain, nouvelle Nature, impose une adaptation de tout le patrimoine culturel et mythique et l'assouplissement de nos mentalit�s. Peut-�tre avons-nous � redevenir face aux lieux de l'�me comme ces guetteurs anciens qui �piaient les mouvements de la Nature afin de mieux s'y glisser et pour donner � leur famille tout le confort d'une s�curit� conquise de haute lutte.
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Si l'on se penche sur la litt�rature enfantine, sur la productions des jouets, on est frapp� de constater l'�norme place prise par les m�caniques cuirass�es. Il est loin le temps des poup�es chiffons, des marionettes et des jouets en bois. Il est vrai que ces derniers imitaient les outils du moment.
Cette constatation interf�re avec une autre, celle de la prolif�ration des films qui mettent en jeu des
h�ros dont la principale caract�ristique est d'�tre dot� d'attributs bien plus m�caniques qu'humains. Il en va ainsi des
Mad-Max, Rangoog et autres Bioman. D'autre part, la t�l�vision elle-m�me contribue par son apport � cette prolif�ration d'images de
h�ros irr�els, m�caniques, automates et robotis�s.
Il est facile de constater que ces productions cin�matographiques et t�l�visuelles font partie de gigantesques campagnes de publicit� et dont le jouet pour enfant n'est qu'un des aspects particuliers. La campagne Bioman en fut un exemple frappant. On pourrait dire,
comme d'autres le font � loisir, que ces campagnes ont un impact intol�rable sur notre culture par l'influence insidieuse qu'elles exercent sur l'�ducation de nos enfants. On pourrait �voquer
aussi la perte des valeurs traditionnelles de courage, d'audace, de solidarit� et d'amour et enfin de probit� morale qui s'effaceraient devant l'invasion des figures
h�ro�ques brutales, froides, asexu�es et donc sans amour. C'est ce qui
para�t � premi�re vue tout au moins.
Pendant ce temps, l'enfant fait son jeu et on ne l'influence pas si facilement que cela. La campagne Bioman l'a bien montr�. On dirait que ce sont plut�t les producteurs et les industriels qui ont suivi l'engouement des
enfants � les techniciens du marketing auraient-ils � apprendre aux p�dagogues
? Plus tard sont venus les productions litt�raires sophistiqu�es contenant de merveilleuses illustrations, les collections d'images r�parties dans divers produits alimentaires et autres.
Les enfants qui avaient l'�ge de jouer avec ces figures, � l'�poque, ont
maintenant atteint l'adolescence et l'on a oubli�...
De la m�me fa�on, la s�rie t�l�visuelle, Les Chevaliers du Zodiaque a-t-elle �t� � l'origine de tout un circuit
mercanto-culturel dont l'importance d�passe, il faut bien le dire, les seuls int�r�t �conomiques de quelques uns.
On peut bien dire que la publicit� influence les enfants et qu'en diffusant une image alt�r�e de la culture elle contribue � l'appauvrissement de notre patrimoine id�ologique. Mais on peut tout de m�me se demander comment un bambin de deux ans peut �tre influenc� par la publicit� d�s lors qu'il ne regarde pas la t�l�vision, qu'il ne fr�quente pas encore l'�cole, lieu de toutes les contaminations, qu'il ne sait pas lire mais s'int�resse par contre aux images et constitue par ailleurs une v�ritable �ponge des affects de l'entourage. Or, sur quel jouet le bambin va-t-il jeter son d�volu ? Sur les voitures d'abord, les robots ensuite. Les enfants sont-ils tous toqu�s ? Ou bien les parents manifestent-ils � ce point leur d�mission et leur d�fections pour les fondements de nos soci�t�s qu'ils laissent quasiment leurs enfants livr�s aux images de la rue, sans souci de la port�e future d'une telle apathie. Faut-il donc �lever nos enfants selon les pr�ceptes antiques, dans des lieux prot�g�s � l'int�rieur desquels la consommations des biens vulgaire seraient strictement limit�s ?
On aura reconnu ici certains slogans des philosophies modernes et manifestement ceux-ci traduisent le d�sarroi, non des enfants en bas-�ge, mais des parents. Dans ce maelstr�m, les enfants conservent un statut privil�gi� qui semble contenir les assauts moralistes des parents. On l'a parfaitement vu avec la fameuse affaire des Crados qui a tant �mu la gent parentale pendant que les enfants se d�lectaient de ces repr�sentations grima�antes, vulgaires et monstrueusement insolentes � l'�gard de la morale bien-pensante.
Il suffit de se reporter aux image de Crados qui avaient fait scandale dans les ann�es 80.
Et maintenant voici les Pok�mon...
Seuls les adolescent auront le cruel privil�ge de se heurter � l'ambivalence de nos morales opportunistes et �clair�es. Les adolescents constituent en effet une v�ritable caste d'individus qui auraient perdu le pouvoir de l'invention mais seraient encore assez proches des richesses inventives de l'enfance pour se cabrer contre le sort d'esclaves qui leur est r�serv� gr�ce au gavage de protection dont ils sont l'objet pendant un temps tr�s long. Comme les quartiers de haute s�curit� sont, dans les prisons, de v�ritables p�pini�res � d�linquants, il n'y a pas de meilleure machine � fabriquer des drogu�s ou des apathiques que cette mani�re qu'ont de nombreux parents de prolonger l'adolescence de leurs prog�niture au del� de la trentaine. Mais, d�linquants, drogu�s ou apathiques, ce sont de toute mani�re des nervis que l'on fabrique. Leur capacit� d'invention s'est �puis�e dans la rencontre cotonneuse des sollicitudes et des bienveillances parentales.
L'enfant, avec peut-�tre l'aide de quelques financiers avides � des sorciers ou des diables s�rement
� peut encore se r�server une terre vierge dans laquelle son imaginaire s'engouffre � loisir. Ses parents n'y comprennent rien de toute fa�on ! Mais de tous temps, ce sont les marchands qui ont assur� la relation entre les peuples, cela dans un souci de n�gociation. Les militaires et les politiques, eux, l'ont assur� dans la domination et l'extermination, souvent avec l'appui de la science ou de la religion... Les marchands, c'est bien connu, n'ont pas de foi!
Et si la solution r�sidait dans cette absence impie de foi?
C'est bien l�, en effet, que se passe peut-�tre une r�volution. L'enfant, gr�ce � sa plasticit�, nous montrerait le chemin d'une meilleure int�gration au monde moderne. C'est pourquoi le d�bat sur la violence des images ne m'int�resse pas, pire, il me para�t �minemment dangereux car r�trograde et st�rile.
S'il y a de la violence dans les images c'est que nous ne trouvons pas d'autre moyen de passer le cap de la civilisation. Passer d'une volont� de contr�le et de domination � l'ouverture et � l'abandon nous est encore �tranger, d'o� cette volont� s�curitaire...
Et si nous regardions nos enfants pour apprendre � domestiquer les monstres contemporains ?
Illel Kieser 'l Baz, Paris 21/12/97, revu et corrig� le 21/01/2001
J'ai volontairement gard� des r�f�rences qui ont plus de quinze ans d'�ge pour montrer que nos mentalit�s n'ont gu�re �volu�
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