Aux sources des peurs, le mythe
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Les peurs contemporaines
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Catherine Barb� � Du mythe de M�d�e aux peurs contemporaines
R�sum� de la th�se de Catherine Barb�, pass�e sous ce m�me titre le 24/11/1995 � l'�cole des Hautes �tudes en Sciences Sociales sous la direction de Michel Maffesoli et dans le cadre des �tudes de la Facult� Libre d'Anthropologie de Paris.
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Table des mati�res
I � La grande peur antique
II � La m�moire et la continuit� de la peur
III � Des peurs antiques dans le monde moderne
IV � Mythe et conscience
V � Boucs �missaires
VI � Crise ou transition
VII � La peur aux sources du futur
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I � La grande peur antique
Partant
d�un constat anthropologique, nous avons, par un retour sur l�Imaginaire et
sur quelques p�riodes cl�s de l�Histoire, tent� de d�montrer que certaines
grandes peurs collectives contemporaines sont les manifestations actualis�es
d�une Grande Peur d�j� pr�sente dans les p�riodes de crise de civilisation
et rep�r�es comme telles par les historiens.
Or, un rapide passage en revue de ces peurs collectives abondamment m�diatis�es
d�voile qu�elles ne sont en rien significatives d�une r�alit� humaine,
mais plut�t destin�es � assurer la p�rennit� de valeurs morales s�curitaires,
reposant sur une esth�tique du Propre confondu au Beau et sur la nostalgie du
paradis perdu.
Alors que surgissent dans le m�me temps des syst�mes de d�fense visant �
jeter hors les limes l�Autre, le contaminateur, propagateur de violence, nous
voyons se profiler la figure du bouc �missaire, dans une soci�t�
technologique dont rien, nous dit-on, ne saurait freiner l�essor anarchique.
D�s lors, notre hypoth�se se pr�cise d�une force rampant dans les
soubassements d�une culture sous l�emprise d�une volont� toute-puissante
de contr�le.
L�activit� imaginaire, fonction cr�atrice inh�rente � la nature humaine,
comme un geyser r�prim� sous une dalle de b�ton, se fraie alors un chemin, de
toute sa force compress�e, � travers les failles et les fractures d�une soci�t�
qui ne sait plus l�accueillir ; son impact s�inversant, l��lan cr�ateur
se mue en force de destruction.
Cette id�e d�une ambivalence fondamentale nous a conduite � poursuivre notre
enqu�te dans ces temps recul�s qui virent na�tre la Grande-D�esse,
bienfaisante et terrible, que l�on retrouve au fondement de nombreuses
cultures des domaines europ�en, proche et moyen-oriental. Par une succession de
diff�renciations, retra�ant les �tapes de l��volution de la Conscience, la
Grande D�esse a donn� naissance � un panth�on complexe, dont chaque divinit�, tout en gardant un lien d�identit� avec elle, se sp�cialise.
C�est ainsi que nous voyons appara�tre dans le panth�on olympien grec le
groupe D�m�ter � H�cate � Art�mis, m�diatrices entre les vivants et les
morts, dont les caract�ristiques s�unifient sous la triple figure d�H�cate,
d�esse des carrefours/d�potoirs. C�est seulement en fin d�une lign�e de
celles que nous avons appel�es les monstres-femelles qu��merge sa pr�tresse,
M�d�e, auxiliaire de la conqu�te du h�ros civilisateur. Par ses traits
humains, alli�es � sa divinit�, qu�elle d�veloppe pendant les trois si�cles
que dure l��laboration du mythe auquel elle donne son nom, plus que les
grandes d�esses aux � Myst�res � � nul humain ne soutient le regard des
grands dieux, tant est puissante l��nergie qu�il d�gagent, pas plus
qu�on ne r�v�le leurs Myst�res � elle est apte � m�diatiser, par la
peur qu�elle inspire, leur enseignement aupr�s des hommes mortels.
Complexe est la nature de la Colchidienne qui rassemble sous les m�mes traits
puissance divine, identit� avec le monstre et humaine condition.
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II � La m�moire, la continuit� et la
peur
De
fait, elle n�en demeure pas moins porteuse de cette ambivalence qui caract�rise
toute sa lign�e, m�me si, sous l�effet du dualisme qui s�installe, elle
sera, dans la m�moire des humains, d�s lors r�duite � un r�le de sorci�re
barbare et infanticide ; son extraordinaire puissance civilisatrice va
serpenter, intacte, dans l�imaginaire des cultures qui succ�deront � celle o�
naquit le mythe d�origine.
C�est � l�occasion des grandes crises de civilisation, comme celle qu�a
connue l�Europe entre la fin du Moyen �ge et la Renaissance que celle-ci se r�v�le
le plus � notre regard.
En effet, les fantasmes mill�naristes, porteurs d�une crise de la Conscience
collective, font resurgir la Grande Peur, focalis�e sur ce qui repr�sente
l�inconnu, le nouveau, le diff�rent et l�instable. Dans leur impuissance �
accueillir la nouveaut� sans trembler, les Hommes r�inventent inlassablement
la figure du bouc �missaire, porteur de tous les miasmes et de tous les maux,
plut�t que d�aller puiser � la source des forces cr�atrices enfouies dans
l�imaginaire.
Et l�on assiste alors conjointement au retour des �pid�mies de peste et...
de sorcellerie.
Sous l�emprise de la peur et sous l�effet d�un imaginaire d�brid� parce
que devenu autonome et sauvage, la d�esse est projet�e dans l�Histoire, sous
la forme, longuement �labor�e, de la Sorci�re. Nous avons montr� comment,
sous l�impulsion d�un pouvoir chancelant qui laisse toute licence � la
virulente Inquisition, la Sorci�re se constituait comme objet mythique, qui par
son commerce avec le D�mon, d�voilait une similitude flagrante avec la
Colchidienne.
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III � Des peurs antiques dans le monde
moderne
Le
monde moderne allait na�tre ensuite, sans rien changer � la puissance rampante
de ces contaminations. Une fois de plus l�Histoire d�montrait qu�ins�curit�
et d�sorientation sociale pouvaient favoriser la prolif�ration des fantasmes
d�influence, de manipulation et d�infiltration par de myst�rieux agents de
l�ombre. D�s lors comment ne pas poser l��quation suivante :
Peste + Sorcellerie = Inquisition
Sida + Inconnu (X) = ?
Ce sont ces productions mythiques, qui aliment�es par la passion, furent
toujours � l�origine de terribles pers�cutions. L�id�e de pollution, du
corps en particulier, produite par un occulte commerce avec les puissances du
Mal, se perp�tuait, cependant que, dans le m�me temps et sous ces m�mes
griefs faits aux sorci�res, Juifs et Gitans, pour ne citer qu�eux,
subissaient le sort des antiques servantes du Diable.
Lorsque de telles peurs sont projet�es sur tout un groupe ethnique, il fait peu
de doute que la permanence du fantasme provient de l�imaginaire, non de l��v�nement
lui-m�me.
�vidence ? Voire !
Or, c�est dans la � contamination � que r�side essentiellement la fonction
du mythe dont la permanence et l�impact sont assur�s par cet �change
singulier qui scelle, du m�me coup, la coh�sion du groupe social dans lequel
il fonctionne.
Pourtant, c�est par sa capacit� � accueillir l�Autre, porteur des germes
du futur, qu�une culture demeure vivante et apte � affronter les puissantes
mutations qui s�annoncent sous des formes que nous nommons crises.
Et dans toutes leurs versions que l�Histoire transmet, les mythes transcrivent
m�taphoriquement cette r�alit� profonde de la psych� humaine, lors d�une
mise en sc�ne r�it�r�e, toujours la m�me mais aussi toujours diff�rente,
d�un affrontement entre le monstre et le h�ros, dont la victoire finale
augure de temps nouveaux. Or, les p�dagogues le savent, le principe premier de
toute transmission d�un savoir est la r�p�tition, a fortiori lorsqu�il
s�agit d�une le�on aussi complexe. De cette complexit�, nous trouvons un
signe suppl�mentaire dans la multiplicit� de formes que le r�cit mythique
adopte en fonction des cultures.
N�anmoins, tout nous laisse supposer que les m�mes retranscrivent un principe
fondateur unique, dont on per�oit le cheminement dans le d�veloppement
psychologique de l�Homme, pour autant que l�on veuille accepter que
l�humanit�, dans sa longue progression vers la Conscience a parcouru les m�mes
�tapes que la psychologie a rep�r�e chez l�enfant.
C�est en cela, � notre sens, que r�side l�un des int�r�ts majeurs � se
livrer � l��tude de l�imaginaire.
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IV � Mythe et conscience
S�il
est une face cach�e aux choses dont mythes et religions nous apprennent
qu�elle ne doive pas �tre r�v�l�e, le mythe assure le lien entre les diff�rents
instances de la psych�, l��change permanent et r�ciproque instaur�/restaur�
entre ce qui est conscient et ce qui demeure inconscient.
L�int�gration progressive des contenus du mythe enrichit la Conscience et la
propulse, bon gr� mal gr�, dans sa longue marche d��volution. Ce en quoi
ils peuvent �tre consid�r�s comme vecteurs de l�adaptation humaine, et par
l� facteurs de progr�s. C�est de la facult� humaine � accepter ou non ces
contenus que r�sulte la cr�ation harmonieuse d�un "nouveau contrat
social" ou la violence d�une d�sorganisation g�n�ralis�e.
- C�est,
entre autre, pour ces raisons que les mythes peuvent �tre consid�r�s
comme des r�cits aux puissantes vertus p�dagogiques, au m�me titre que
les contes pour enfants.
La production mythique rel�ve d�une fonction humaine fondamentale, et les
soci�t�s modernes, n��chappant pas � cette contingence, en perp�tuent
la m�tamorphose.
- Facteur
de transformation, le mythe signale l��mergence de la nouveaut�, mais en
cela, il �veille la peur, laquelle entra�ne elle-m�me des processus de d�fense
(immunitaires).
- Fondateur,
le mythe proc�de d�une finalit� ind�pendante de la volont� humaine.
Rien ne saurait donc entraver la puissance de son pouvoir transformateur.
C�est probablement l� que r�side aussi son pouvoir fascinant autant que
terrifiant.
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V � Boucs �missaires
Alors
qu�un deuxi�me mill�naire s�ach�ve, nous voyons resurgir la peur, et ses
cort�ges lugubres de boucs �missaires, comme si cette �re d�histoire suppl�mentaire
n�avaient servi de rien. Et, si le progr�s est l�, sur quoi s�est-il
construit, sur quelles bases se fonde-t-il pour assurer sa propre p�rennit� ?
Dans son immense orgueil, l�Homme moderne, ivre de conqu�tes, se prenant pour
le seul sujet de l�Histoire, ne para�t pas sensible aux le�ons du mythe. Ce
dernier serait-il devenu un objet mort qu�on diss�que sur un billard �
grands renforts de bistouri symbolique ?
La trag�die grecque, terreau fertile des mythes mart�le que la faute r�side
dans l�hybris, orgueil et d�mesure de l�Homme � conna�tre et �
manipuler le myst�re du destin et de la vie.
D�s lors, dans une soci�t� o� s�installe la d�mesure d�une volont�
toute-puissante de contr�le, la force cr�atrice se fait menace ; sa force de
jouvence perverse et dispers�e.
Est-ce pour ces m�mes raisons que les soci�t�s modernes industrielles, mues
et aveugl�es par leur besoin de contr�le, sous le couvert de la Science, se
heurtent au mur du plus grand d�sarroi, d�s que le vernis biens�ant vole en
�clat ? Menaces terroristes, explosions sociales et guerri�res, pannes inqui�tantes
des m�canismes de contr�le de la formidable �nergie nucl�aire, la liste est
longue de ces sympt�mes. Sont-ils des �v�nements de fin de si�cle, inscrites
dans un registre mill�nariste lourd de funestes projets, ou bien les
manifestations d�une mutation qui s�op�re en profondeur ?
� refuser une telle hypoth�se, si insens�e soit-elle, ne court-on pas le
risque d�accentuer l�effet de souffle de la bombe imaginaire ?
L�id�e s�impose alors qu�au stade le plus �lev� de son d�veloppement,
du sommet de la plus haute tour de la tr�s haute id�e qu�il a de lui m�me,
l�occidental contemporain montre tous les jours que derri�re le rempart de
ses certitudes, il n�a pas encore franchi le stade de l�obscurantisme dont
il se gausse. Pis que cela, si le f�tichiste idol�tre, ce fameux primitif,
adore son dieu en toute connaissance de cause et noue avec lui des liens dont,
peu ou prou, chacun tire profit, l�Homme moderne, lui dont la volont� de
savoir se hisse au rang de mobile d�existence, agit � son insu.
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VI � Crises ou transition
"Entre
un �quilibre finissant et un qui cherche � na�tre, il y a des p�riodes des
transitions qu�il faut observer tr�s attentivement."
Vingt deux ans apr�s, cette petite phrase sauvegard�e au tr�fonds de la m�moire,
p�tition de principe menac�e de n��tre que vaine �vidence allant sans
dire, resurgit inopin�ment. Qu�avons-nous fait d�autre, apr�s tout, que
d�observer, par le petit bout de notre lorgnette m�d�enne, la p�riode
de transition que traverse le vieux monde ? Soci�t� en crise, fracture
sociale, immobilisme �maillent le discours m�diatique. La fracture
immobile n�est-elle pas le point de non retour, le bout de l�horizon d�un
monde qui s��puise ?
Les soci�t�s modernes sont des bouillons de culture o� les �difices
philosophiques et moraux ne peuvent plus s�appuyer sur des principes us�s, �lim�s,
remis en cause de toute part.
Le Beau et le Laid, le Bien et le Mal, la Gauche et la Droite, ces oppositions
auxquelles se raccroche d�sesp�r�ment une soci�t� � bout de ressources,
ont-elles encore un sens aujourd�hui ? La roche dualiste s�effrite, le
bivouac des vieilles certitudes bringuebale au gr� d�un vent venu d�on ne
sait o�, et l�urgence est l� de lancer un filin , avant de r�apprendre �
fabriquer un pont de singes, qui rallie l�autre bord.
Au sortir de la p�riode de mutation que nous vivons, quel principe fondateur
d�une nouvelle coh�sion pourrait �merger ? Il est peut-�tre trop t�t
encore pour le dire, et si la peur est au centre des pr�occupations
collectives, la roche tendre des temps nouveaux devra subir bien des intemp�ries
avant de se durcir pour offrir un sol stable aux pas humains.
"Quand l�humain, l��il riv� sur ses visions d�un cosmos ant�rieur,
scrute un horizon nouveau, il est saisi d�effroi devant ce qui lui para�t
sans ordre ni forme, il lutte l� contre. C�est de cette lutte que surgit un
ordre qui, seul, sans �tre ni nouveau ni pr�vu, compacte l�histoire pass�e
et les semences futures."
Nous sommes rendus au point de rupture, de "fracture", entre l�Homme
et son environnement : le progr�s est all� "trop vite", et l�Homme
tra�ne ses savates de m�lancolie, incapable d�affronter le d�sarroi des
jeunes face � un monde adulte d�sempar� par l�ambiance catastrophiste
qu�il laisse infiltrer dans les moindres recoins de son existence, qu�il
voudrait si paisible, dans un endormissement infini de confort, de s�curit�,
enserr�s entre quatre murmures propres et lisses, alors que dehors la vie
grouille...
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VII � La peur aux sources du futur
J�ai
essay� de montrer que le mythe de M�d�e, inscrit dans l�histoire via la
litt�rature mais aussi dans l�imaginaire collectif pendant vingt cinq si�cles,
avait comme fonction principale de v�hiculer une peur propice � une mise en
mouvement. Les grandes mutations de soci�t� se font dans la terreur,
l�Histoire en t�moigne. Elles ram�nent � la surface des consciences les
vieux monstres et engendrent des exc�s dont le rejet aussi irr�pressible
qu�aveugle de tout �l�ment per�u comme dangereux pour un �quilibre, caduc
mais qui cherche � se maintenir � tout prix. To neon, le nouveau, l��tranger,
le surprenant, l�effrayant : la langue fran�aise ne poss�de pas de mot
rassemblant une telle gamme de sens ! La peur est pass�e au rang de
l�implicite et du sous-entendu.
Loin d�avoir �puis� le sujet � M�d�e est une piste parmi tant d�autres
� la pr�sente recherche laisse vierges nombres de terres en friche, zones
d�ombres du pass� � red�couvrir pour �clairer un avenir gros de promesses.
C�est tout au moins ce que j�ose esp�rer.
Catherine Barb�, Paris 1995 |
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