Pédocriminalité et société  

La psychanalyse face à l'inceste

 

Illel Kieser 'l Baz

 

La psychanalyse face à l’inceste

Une intervenante du forum du village psycho-ressources[1], Claudia , pose les choses ainsi : « Et pourtant le psy lui aussi maintient la question derrière volets et portes closes... là, il laisse la société "manger ses enfants" (oui je sais j'y reviens...) se cantonnant à son rôle de l'ombre, d'observer et de laisser ce "monde à l'envers" lacérer de ses griffes tout ce qui passe à sa portée...

Alors quid de cette psy qui sait si bien remettre le monde de l'individu "à l'endroit" (l'expression me plait beaucoup — Lucie Cool) mais se défait royalement de sa connaissance et de ses revendications dès lors qu'il s'agit de les appliquer à d'autres systèmes? »

Une première réponse

Question tant débattue par les psychanalystes, en ce moment, de l'impossibilité de passer au collectif dès lors que l'analyse ne s'opère qu'au plan de l'individu.

Ce faisant, il faut, arrêter d'être hypocrites ! La Psychologie — comme discipline générale de connaissance de la psyché humaine — n'existe pas ! Quand on pense « psy », on pense psychanalyse, c’est-à-dire Freud en quasi exclusivité. Ce, dans le domaine francophone, français en particulier.

 

Or des courants qui ont tenté de penser la relation de l'individu au collectif, il en existe ! Mais il n'y a pas eu de congrès mondial de la psychanalyse — toutes tendances confondues — depuis le congrès de Moscou dans les années 70.

Comment une discipline peut-elle évoluer s'il n'existe pas de communication entre les chercheurs, des ponts entre les écoles et les disciplines ? Quand la principale force mise au service de la communication avec les autres est celle de la délation, de la dénonciation et du dénigrement.

Il n'y a que des colloques de tendances ou d'écoles. Parce que chaque école se pense au centre et ne supporte pas l'idée d'une nécessité de dépassement des concepts, d'une refonte des vocabulaires, d'une remise à plat, etc.

Autant dire que la psychanalyse est dans une impasse "endogamique", incestueuse elle-même, s'engrossant de ses propres fruits. Elle ne peut pas penser l'inceste car elle est inconsciente qu'elle l’est elle-même !

 

D'autre part, si les « psys » — en tant qu'individu cette fois —, ne se sont pas sentis obligés de bousculer les dogmes, c'est que, sur le fond, ils ne perçoivent pas la nécessité de s'interroger sur ces problèmes de société. Le psychologue, le psychanalyste sont, au plan collectif, dans la même position que le parent passif, non acteur de l’inceste, mais complice tout de même. Ceci ne les empêche cependant pas de dire d'énormes sottises à ces propos.

Ils ont laissé le champ libre aux sociologues, qui, pour certains, sont sortis de leur sociométrie pour se transformer en bâtards de la psyché humaine, mi cliniciens, mi mesureurs des aléas de nos sociétés. Il y a aussi des philosophes et des historiens pour occuper cette place laissée vacante. En France, ce sont eux qui publient, qui occupent les micros dès qu'il s'agit d'un fait de société. Ce sont aussi des pédagogues qui tentent de créer des passerelles entre individu et société.

Ce faisant, comme il n'existe pas d'outil, c'est la tour de Babel, chacun y va dans tous les sens à coup de petites théories. Si nous attendons des réponses de la psychologie et de la psychanalyse, nous devrons attendre un âge canonique.

Une autre réponse

La psychanalyse s’est voulue connaissance des mécanismes de la psyché humaine, mais son histoire faite de passions, de volonté de pouvoir et d’anathèmes l’a très vite mise à l’écart des méthodes scientifiques.

Les critiques assassines adressées par Mikkel Borch-Jacobsen sont très dures mais justifiées.

Mikkel Borch-Jacobsen, au travers de l'histoire de la psychiatrie, met en avant les failles des théories psychanalytiques et les abus des pratiques des thérapeutes, des psychanalystes. Il démontre la folie manipulatrice des spécialistes de la psychologie.

Ces abus sont inhérents à des pratiques qui occultent complètement la réalité des patients qui sont souvent utilisés comme "matériel expérimental", et ce sans aucun protocole.

Mikkel Borch-Jacobsen démontre la subjectivité des diagnostics réalisés par les thérapeutes, ces diagnostics étant souvent orientés en fonction des théories à la mode et de la filiation intellectuelle ; du projet de recherche du thérapeute ; des traitements existants ou en cours d'expérimentation ; de la relation entre les traitements proposés et les lobbying ; parfois du transfert de la propre histoire du thérapeute sur le patient.[2]

Au sujet de Freud : 

Mikkel Borch-Jacobsen a réalisé un gros travail de recherche biographique sur Freud à partir des archives auxquelles il a eu accès. Certaines restent curieusement protégées du regard des historiens qui remettent en question les qualités scientifiques du travail de Freud. 

D'une part Freud a eu une nette tendance à construire des théories à partir de ses propres problèmes : référence à Mitchell qui nous apprend que la théorie œdipienne est le produit du refoulement par Freud de sa propre hystérie.

Il en ressort aussi que Freud (et ses disciples) basait les études de cas sur ses théories, et non la théorie sur les études de cas. En fait les hypothèses de Freud précédaient le matériel clinique dont elles étaient censées rendre compte. Mikkel Borch-Jacobsen, comme d'autres historiens, fait également ressortir que Freud « lisait ses propres pensées dans celles d'autrui ». Et qu'il a littéralement imposé à ses patients des constructions arbitraires à la façon d'un puzzle à partir d'un matériel fragmentaire et douteux. Un bon nombre de ses patients a répondu à ses suggestions en reproduisant toutes les scènes que celui-ci attendait d'eux. L'étrange élasticité statistique des études de cas de Freud pose également question car il ne les interprétait pas toujours de la même façon.

La question est posée : Freud était-il un menteur ? Freud avait tendance à halluciner ses théories, à rêver la réalité clinique. Il manipulait les confessions de ses patients et communiquait largement sur des guérisons qui étaient, en fait, souvent imaginaires. Il interprétait ses résultats (ou non résultats) dans ce sens et en persuadait ses patients. Il a notamment été habile pour maquiller des échecs thérapeutiques en progrès scientifiques.

« Je l'ai pensé, donc cela doit être vrai » Freud, cité par Jung dans les correspondances.

 

Le complexe d’Œdipe et l’Inconscient personnel

Freud parle de l’Œdipe pour la première fois en 1898, après la mort de son père en 1897. Jung n’établit la théorie des complexes en psychologie qu’en 1904. Parmi ceux-là, Freud n’en reconnut que deux : Le complexe d’Œdipe et le complexe de castration.

Selon Freud, le complexe d’Œdipe fixe la libido au parent de sexe opposé et déclenche une hostilité marquée envers le parent du même sexe, considéré comme un rival.

« Le complexe d’Œdipe, selon Raymond de Becker, est un phénomène des sociétés patriarcales fortement structurées dont Freud était un représentant typique. Mais les travaux d’anthropologie culturelle ont permis de relativiser une description élevée par certains comme un dogme.

Si, en effet, on peut le constater dans la société judéo-chrétienne très patriarcale, il n’existe pas dans les sociétés matriarcales et polyandriques.

Il commence à s’atténuer dans la civilisation occidentale depuis que s’y dissolvent les structures patriarcales au profit d’une liberté croissante des individus constituant les groupe familial.

Freud situe le complexe d’Œdipe entre 2 et 5 ans, mais Ernest Jones et Mélanie Klein ont, sur ce point des vues différentes de celles du père de la psychanalyse. Après la période de latence qui connaîtrait son déclin, il renaîtrait à la puberté. »[3]

 

Selon Daniel Lagache, les freudiens distinguent un « Œdipe positif » et un « Œdipe négatif » :

« Chez le garçon, le complexe d’Œdipe positif consiste dans le fait que, s’intensifiant son amour pour sa mère (basé sur son identification au père) et sa haine du père (basée sur les privilèges du père qui lui sont refusés) ; l’angoisse de castration l’amène à renoncer à la possession exclusive de la mère. On parle de complexe d’Œdipe négatif lorsque c’est la mère qui est ressentie comme gênante pour l’amour du père.

Chez la fille, l’évolution vers le père, plus complexe, est préparée par les déceptions de la relation avec la mère, principalement l’absence de pénis : l’envie du pénis est remplacée par le désir d’avoir un enfant du père. »[4]

Dans les deux cas — garçon, fille — le complexe d’Œdipe « négatif » risque de conduire à l’homosexualité, l’identification au parent du même sexe amenant le sujet à rechercher, chez l’homme, la virilité en s’unissant à une autre homme et, chez la femme, la féminité en s’unissant à une autre femme.

Le complexe d’Œdipe n’est pas nécessairement pathologique, il constitue une étape normale dans la croissance de l’enfant au contact du sexe opposé. Il n’est générateur de troubles pathologiques qu’en cas de non résolution et peut alors engendrer des impressions de castration et des sentiments de culpabilité accompagnés de mécanismes d’autopunition reliés inconsciemment à la relation incestueuse.

Cent ans avant Freud Diderot affirmait déjà : « Si le petit sauvage était abandonné à lui-même, qu’il conservât toute son imbécillité et qu’il réunit au peu de raison de l’enfant au berceau la violence de l’homme de trente ans, il tordrait le cou à son père et coucherait avec sa mère. »[5] Voilà beaucoup de conditions qui mettent cependant en exergue « la violence de l’homme de trente ans ». J’ai déjà dit combien, à propos de l’Œdipe, les fantasmes de l’adulte semblaient primer sur la réalité psychologique de l’enfant. D’autant plus que le Complexe d’Œdipe ne se présente pas toujours de manière aussi catégorique que Freud l’a présenté. Pour Charles Baudouin, « l’amour du jeune enfant est singulièrement entier et jaloux et la situation complète pourrait se résumer par les formules suivantes :

Dans le moment que l’enfant — garçon ou fille — aime son père, il tend à voir dans la mère une rivale : dans le moment où il aime sa mère, il tend à voir dans son père un rival.

L’amour pour la mère avec hostilité au père est plus fréquent chez le garçon ; l’amour pour le père avec hostilité à la mère est plus fréquent chez la fille. »[6]

Voilà qui nous rapproche de la réalité sans pour autant énoncer la violence du fantasme du meurtre du parent…

Selon les positions de la psychanalyse, il ne serait pas possible de remédier à un problème hérité des parents car nous ne pouvons influer sur la formation de l’Inconscient de nos parents. Cela soulève des problèmes d’ordre moral et philosophique. Nous serions dans une chaîne de causes auxquelles nous ne pouvons rien et qui nous « lie » dans une malédiction insensée. C’est une position très fataliste. Se pose aussi la question de la conscience. Où est la conscience et sa relation à l’autonomie et à la liberté ?

On comprend mal comment un Bouddhiste pourrait aspirer à rompre son lien à la « chaîne des causes ». Ne connaîtraient-il pas l’Œdipe sous ces latitudes ?

« La conception moderne d’une simple relation causale et linéaire ne correspond pas à une juste évaluation des faits, mais relève d’une superstition caractéristique de notre civilisation. »[7]

Troisième réponse

Elle se rapporte à la maîtrise d’une cure psychanalytique. Par sa méthode même, l’écoute flottante, les associations libres, l’interprétation dans le cadre des topiques freudiennes, l’approche de l’inceste est impossible. Le silence même du psychanalyste se rapporte au mutisme du milieu générateur d’inceste. L’interprétation se rapporte à l’interprétation du manipulateur/prédateur. Il faudrait donc beaucoup de doigté au psychanalyste pour aider son client victime d’inceste à se libérer.

Enfin la topique freudienne elle-même pose un problème d’ordre éthique. Pour Freud, le Moi est maître en sa maison, et la cure consiste à rendre conscients les contenus de l’Inconscient afin de mieux les contrôler et vivre avec. Or, cette vision procède d’un pessimisme fondamental. L’Homme ne serait que ça : une petite lumière sur une gigantesque poubelle ! Pour les victimes d’inceste il s’agirait d’une décharge publique… compte tenu que le tabou de l’inceste est fondateur de la civilisation. Que ferait cette personne d’une telle charge ? J’ai observé, en effet, que de nombreux sujets dans ce cas s’épuisaient à porter le monde.

La vision pessimiste de la théorie freudienne a souvent été critiquée et c’est là un problème de vision du monde qui est soulevé.[8] Quand on est confronté aux aléas immédiats de nos souffrances psychiques, nous ne nous intéressons pas à ces problèmes d’ordre philosophique. Qu’importe que Freud ait obscurci la vision que nous avions de l’architecture psychique en la situant à un niveau pulsionnel, presque matérialiste ! Mais quand il s’agit de réparer des dommages qui trouvent leur racine au plus profond de la fondation de notre être il nous faut tout de même nous demander où nous allons. Si la cure consiste uniquement à mieux vivre nos souffrances et nos angoisses, c’est justement quelque chose que nous savons faire bien avant d’apprendre à lire... Dirait le chœur des enfants violés.

L’innocent, rescapé de l’inceste n’en finirait pas avec sa honte, ses remords, sa rage et sa culpabilité. Il lui faudrait vivre avec ! Ce n’est pas le projet que j’assigne à un travail sur soi.

Quatrième réponse — une alternative ?

En dehors de la psychanalyse, d’autres thérapeutes ont tenté d’aborder l’aspect préoccupant de la prise en charge et du suivi des victimes de violences subies durant l’enfance. C’est à ce point que nous pouvons introduire un concept très en vogue actuellement, celui de résilience. C’est, probablement, à la fois une illusion moderne, avatar probable d’une figure mythique contemporaine et une véritable tentative pour aborder des réponses aux souffrances de l’enfant victime et du futur adulte.

La résilience se place sur l’un des points obscurs de la psychanalyse et cela paraît justifier le crédit qui lui est accordé. Mais si l’on décrypte la finalité que ses prosélytes lui prêtent, on découvre l’impact d’un mythe de notre temps : celui de l’efficacité, de la bonne santé morale et physique. Le tout présenté dans un discours globaliste tout à fait séduisant. Les thérapies fondées sur le concept de résilience s'inscrivent dans la perspective contemporaine des thérapies comportementalistes qui visent l'efficacité et nient du même coup l'échelle du temps. Nous y revenons dans un essai sur ce même site et dans notre ouvrage sur l'inceste comme crime contre l'humanité.

 


[2] — Phénomène bien connu des anthropologues et c’est pour cette raison que je rapporte d’abord ma propre histoire. Afin que le lecteur critique puisse se mettre à distance !

[3] — Bilan de la Psychologie des profondeurs, éd. Planète, 1968, p. 113.

[4] — La psychanalyse, col. Que sais-je ? PUF, p. 31.

[5]Le neveu de Rameau, 1762. À cette époque, l’Europe découvre d’autres cultures, notamment africaine.

[6]L’âme enfantine et la psychologie, Ed. Delachaux-Niestlé, 1930, p. 49.

[7]La femme dans les contes de fées, Marie Louise Von Franz, Albin Michel, col. Espaces libres, Paris 1993, p.174.

[8] — Dans Inanalyse, le déclin de la psychanalyse en Occident, Éd. Lierre et Coudrier, Paris 1991, j’ai soulevé ce problème.

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