Au soir du second tour des élections législatives, nous trouvons-nous en situation de dualité ? Poser une telle question, c’est prendre la mesure d’une certaine perversion du système politique et du système constitutionnel. Pour nous, la dualité implique la compétition. Or, dans la vie politique; le seul moment où il y a compétition plus ou moins équitable et équilibrée, c’est en campagne électorale; soit durant quelques mois sinon quelques semaines. Pendant le reste du temps, il n’y a pas compétition puisque telle force a le pouvoir et telle autre, dans l’opposition, ne l’a pas. Par comparaison, dans la vie socio-économique, des entreprises sont le plus souvent en compétition, chacune s’efforçant de conquérir une part de marché et leurs dirigeants font ainsi la démonstration de leur talent, de leur flair. Dans le domaine politique, cela est vrai dans la compétition entre États mais curieusement, cela n’apparaît pas clairement au sein de l’État qui est a priori en situation de monopole. Car de deux choses l’une : ou bien il y a cohabitation sans que l’on puisse parler de bipolarisation – on ne peut pas dire que deux équipes soient en compétition – ou bien il n’y a pas cohabitation et il y a encore moins bipolarisation puisque le pouvoir est soudé. Le problème, c’est qu’une situation de cohabitation peut offrir deux interprétations opposées : soit il s’agit d’une sorte de volonté d’union nationale qui fait que les partis opposés se partagent le pouvoir et sont condamnés à s’entendre, soit, au contraire, il s’agit d’une volonté de confrontation, de compétition. C’est cette ambiguïté que les socialistes n’ont pas su lever : eux qui se plaignaient de la cohabitation – à l’image de Shramek, proche de Jospin, qui en fit un livre – et qui, en même temps, pendant la campagne des législatives la défendaient en dénonçant le risque de concentration, de monopole du pouvoir (Président, Assemblée Nationale, Sénat). Il aurait fallu qu’ils évitent ce piège sémantique ! Il semble bien que nous souffririons, présentement, dans notre vie politique, d’un manque de compétition, laquelle est pourtant si présente dans la société dite civile. Il y eut certes l’affrontement Chirac-Le Pen qui incarnait plus peut être que l'affrontement Chirac-Jospin, une véritable alternative mais nos institutions sont faites pour laminer les extrêmes pénalisées par leur incapacité à trouver des alliances avant et après le premier tour. On voit comment les communistes qui ont un matelas de voix, au niveau national, beaucoup plus modeste, sont parvenus à avoir un groupe parlementaire ou comment les Verts ont deux députés dans la capitale. Il conviendrait probablement de repenser le statut des extrêmes, tant à gauche qu’à droite, dans la vie politique française, lesquelles incarnent à terme une véritable alternative alors que les partis au pouvoir tendent à devenir blanc bonnet et bonnet blanc. L’inconvénient d’un tel état de choses, c’est que la situation politique n’est pas vraiment cyclique. Elle l’est, certes, en ce qu’il peut y avoir alternance mais cette alternance n’est pas le résultat d’une victoire d’un camp sur un autre sur une longue période mais simplement le fait, on l’a dit, d’une brève campagne qui ne fonctionne que dans un registre de communication et non d’efficacité à résoudre les problèmes posés, dans la pratique. Encore une fois, si l’on compare avec d’autres domaines, on trouve, ailleurs, une concurrence qui semble n’exister que de façon très fugace dans la vie politique. Expliquons-nous : on ne choisit pas entre deux députés ayant chacun un bilan puisque forcément il y a -quand il se représente – un député sortant et un autre candidat qui n’est pas député ou qui, s’il le fut dans le passé, ne l’a pas été au même moment. En ce qui nous concerne, nous sommes en faveur d’une dualisation des postes politiques. Cela signifierait que l’on placerait face à face deux responsables et l’on verrait comment chacun se débrouille. Puis, à l’issue de cette période, on choisirait l’un des deux. Nous pensons que ce mode d’élection duelle devrait être largement étendu, et ce quel que soit le domaine, notamment dans l’enseignement, quand il faut choisir un titulaire pour un poste. Il faudrait donc une présélection, une pré-élection qui placerait deux candidats en concurrence, sur le même créneau, avec les mêmes moyens puis, au bout de quelques années, le corps électoral aurait à choisir, en connaissance de cause. En vérité, nous pensons qu’une telle procédure a du être très ancienne, qu’elle subsiste, au demeurant, dans les régimes capitalistes, en dehors du champ politique, et qu’elle disparaît, même dans le domaine économique, dans les régimes communistes pratiquant un monopole d’Etat. La guerre est évidemment un mode de confrontation qui permet de révéler la qualité ou la médiocrité des responsables. Et de fait, dès qu’il y a éventualité de confrontation, on est beaucoup plus vigilant dans le mode de recrutement en vigueur. Si l’on sait que la personne choisie aura à affronter un adversaire, disposant également d’atouts, on sera probablement plus vigilant. Or, dans la vie politique, à la française, le Président n’a pas à se battre avec un autre Président et en tout état de cause l’autre Président d’un autre Etat, n’est pas élu par le même corps électoral. Ce serait donc le fait de la fonction publique que d’empêcher la vraie compétition au sujet d’un poste donné. On est en effet amené à choisir entre des candidats sans que ceux-ci aient été mis en situation et donc selon des critères peu pertinents. Certes, dans un département, il peut y avoir plusieurs députés, mais ils ne sont pas responsables devant les mêmes électeurs et n’agissent de toute façon pas dans le même secteur géographique, du fait des circonscriptions. A partir d’un tel constat, il n’y a rien détonant à ce que les astrologues s’efforçant de faire des prévisions y perdent leur latin puisque le mécanisme qui est en jeu, pour ce qui est de la vie politique, est artificiel et ne correspond pas à une logique duelle qui, selon nous, est incontournable, indispensable. C’est un problème de lisibilité : si l’on ne peut pas décrire une situation politique, comment pourrait-on en prévoir le déroulement ? Notre pensée politique nous conduit donc vers un nouveau modèle impliquant qu’un seul et même corps électoral élise parmi un ensemble de candidats deux d’entre eux pour assumer des postes jumeaux puis, au bout d’une période probatoire, le dit corps électoral aura à apprécier les services rendus par les deux protagonistes et en élira un pour assumer tout seul, cette fois, la responsabilité. On alternerait ainsi des phases de bicéphalité et des phases de monocéphalité. On pourrait, certes, soutenir que Chirac et Jospin ont été ainsi confrontés, durant cinq ans mais ce serait ne pas tenir compte de la différence des moyens chez l’un et chez l’autre, le Premier Ministre ayant à sa disposition des ministres et des administrations, ce qui n’est pas le cas du “locataire” de l’Elysée. Il semble que le système électoral à deux tours constitue bel et bien une sélection en deux temps mais ce n’est pas en une (intervalle pour des législatives) ou deux semaines (intervalle pour une présidentielle) que l’on va, encore une fois, pouvoir raisonnablement départager les deux candidats restants. On a ainsi l’impression que le système politique a gardé la mémoire de certaines lois ancestrales mais de façon très confuse et déconnectée des réalités. On pourrait envisager des élections au niveau national qui auraient à départager le pouvoir entre différents responsables politiques régionaux. Le corps électoral voterait ainsi pour des hommes et des femmes ayant chacun exercé des responsabilités à la tête d’une grande ville, d’un département, d’une région, au cours d’une même période mais dans des espaces différents. Nous aurions des périodes de décentralisation où le pouvoir serait réparti entre plusieurs structures et des périodes de centralisation où le pouvoir local fléchirait au profit d’un pouvoir central, constitué à la suite d’une élection départageant les divers responsables régionaux. Si l’on étudie l’Histoire de France, on constate en pratique une telle alternance : tantôt des pouvoirs régionaux qui se renforcent avec un pouvoir central faible et tantôt un renforcement du pouvoir central. Or, avec la vogue constitutionnelle, un tel système ne peut plus guère fonctionner dans la mesure où la constitution tend à uniformiser le temps et ne prévoit pas des phases successives et alternantes mais seulement une alternance des personnels, ce qui ne suffit pas. Il conviendrait donc soit de renoncer à un carcan constitutionnel par trop rigide et de laisser les choses se faire “naturellement”, si l’on admet qu’il puisse exister un rythme sous-jacent, soit de prévoir un système à double phase, l’une décentralisatrice et comparatrice, l’autre centralisatrice. C’est en fait la dualité entre le monarque, le roi d’un côté et les Grands du Royaume, à la tête de provinces, d’apanages. Notre époque, de par sa modernité, tend à brouiller les pistes en même temps qu’elle progresse dans sa connaissance du code génétique (ADN). On sait déjà que les naissances provoquées se multiplient et que cela “casse” le lien entre le moment de la naissance et la position des astres, ce dont les astrologues se gardent bien de parler. Or, il faudrait, également, signaler à quel point la vie politique est faussée par les constitutions qui fixent des périodicités arbitraires – comme par exemple le passage du septennat au quinquennat – et veulent uniformiser les phases au lieu de les différencier en faisant alterner les phases duelles, décentralisées et les phases de recentrage. Et voilà pourquoi, ce faisant, nous n’avançons plus qu’à l’aveuglette, puisque nous avons coupé nos liens avec nos rythmes, nos horloges, internes. Le décalage, dès lors, entre vie “civile” et vie politique devient de plus en plus flagrant. On n’imaginerait pas ainsi, que dans le monde économique, on ne parvienne pas à représenter, dans une enceinte dite représentative comme l’est un Parlement – une partie importante de la population. Et on nous dit que l’on procède à de tels trucages pour clarifier la vie politique, comme si un système qui serait trop proche de la réalité, comme c’est le cas de la proportionnelle, serait à craindre.. On ferait mieux, répétons-le, plutôt que de recourir à de tels subterfuges arithmétiques, de mettre en place de vraies méthodes de sélection. On comprend ce qui a conduit les pays communistes à la faillite, du fait qu’ils ne profitaient pas, en contre-point, de la dynamique de l’économie de marché. On peut se demander, désormais, si la démocratie parlementaire est le meilleur système ou le moins mauvais. Pour notre part, ce système qui se veut universel, sous la forme que nous lui connaissons, ne terminera pas le XXIe siècle, il n’est de toute façon pas à l’abri des soubresauts de la rue, comme ce fut le cas en Mai 68 ou en décembre 95. Le fait que l’on s’achemine en France vers un renoncement à la dissolution, n’a rien de rassurant pas plus que l’ajustement – sur cinq ans – du mandat du Président sur celui de l’Assemblée Nationale. Nous y voyons là les signes d’une dangereuse rigidité, et cela surtout si, comme en effet, il a été souvent relevé, ces derniers temps, le pouvoir est désormais par trop concentré en un temps qui, selon nous, ne s’y prête pas forcément. La gauche n’a pas su analyser la situation : elle s’est retrouvée prise dans le chantage à la cohabitation qui n’est en réalité qu’une pseudo dualité. Il y a donc bel et bien une crise de la pensée politique et, de fait, il est temps de mettre en chantier les plans d’une VIe République, mieux en phase avec les réalités cycliques qui continuent, heureusement, à gérer nos sociétés dans ce qui est propre au domaine privé. Une consolation : l’avantage d’un gouvernement de droite, par rapport à un gouvernement de gauche, est probablement une approche moins dogmatique et donc moins vouée à vouloir tout réguler... Jacques Halbronn le 15 juin 2002 |
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