Le d�cha�nement des consciences
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En 1983 quand nous autres, membres de Lierre & Coudrier
association, d�cid�mes de cr�er une soci�t� d'�dition en Sciences
Humaines, nous avions suffisamment de documents � des essais, des reportages,
des actes de colloques, etc. �, pour couvrir une ligne �ditoriale claire et
originale. Nous ne savions rien des difficult�s qui nous attendaient : faire sa
voie dans un milieu tr�s corporatiste comme l'�tait � ce moment le monde de
l'�dition, former des collaborateurs, constituer un fonds de documentation
important... L'association L&C g�rait � l'�poque un modeste r�seau de
chercheurs et d'�tudiants. Depuis, l'�dition fran�aise s'est consid�rablement
transform�e, les soci�t�s de taille modeste ont toutes disparu. Tant au plan
de la production que de la distribution et il n'est plus possible de contourner
la mainmise des grands groupes : Hachette et Presse de la Cit�, pour ne citer
qu'eux.
Dans cette aventure, nous avons englouti une petite fortune, environ 2 M de
francs, apport�s, pour l'essentiel, par des amis et des auteurs.
Il nous a fallu 10 ann�es de travail pour conna�tre une certaine notori�t�,
faire valoir une image de s�rieux et de rigueur et c'est ce qui nous a perdu.
Nous nous �tions engag�s dans un voie o� il fallait fournir toujours plus.
Les " grands " n'avaient m�me pas � attendre pour nous manger, ils
ont, plus tard, r�cup�r� tranquillement certains de nos concepts de
collections sans devoir nous racheter. Nous ne pouvons rien � en dire, d'un
point de vue juridique s'entend. Telle est la loi de ce march�.
Dans cette affaire, nous avons perdu par na�vet� et incons�quence, m�me si
de nombreux collaborateurs nous demeurent fid�les et attendent que nous
fassions un signe pour nous apporter de nouveau leur aide. L'�chec rendant
prudent, nous ne pouvons reproduire les m�mes erreurs, nous lancer dans une
nouvelle aventure sans la penser au pr�alable.
Quand L&C �tait � l'agonie, que chacun attendait anxieusement le moment o�
j'irais d�poser le bilan, signant ainsi une fin regrett�e, dans un dernier
sursaut, nous avons �dit� des ouvrages en shareware...
La r�ponse imm�diate des lecteurs m'a laiss� une singuli�re impression�:
Pendant des ann�es nous nous �tions battus selon les r�gles classiques de l'�dition
pour que nos auteurs soient connus. Car quel est le plus important pour un
auteur, surtout dans ce domaine difficile des Sciences Humaines ? Gagner un
maximum de droits d'auteur ou bien �tre lu par le plus grand nombre ? Le
Shareware � principe de libre diffusion d'une �uvre et de r�cup�ration des
droits si l'acqu�reur entend utiliser celle-ci � apportait une r�ponse
ambigu�, un nombre important de lecteurs pour un chiffre d'affaire quasiment
nul.
Nos ventes effectives, pour chaque ouvrage �dit� selon les voies classiques,
ne d�passaient gu�re les 500 exemplaires, et voil� que sous forme d'une
disquette, cela pouvait aller jusqu'� 5000 lecteurs.
En fait, nous avions rat� le coche, nous nous �tions enlis�s dans un milieu
dont les m�urs �taient largement surann�es. D�j� le commerce des id�es
empruntait la voie de l'informatique et de l'Internet, du t�l�chargement, ...
Nous avions perdu de nombreuses ann�es � r�gresser pour nous adapter aux
modalit�s v�tustes d'un monde en perdition, celui de l'�dition dite
traditionnelle. Maintenant encore, de nombreux lecteurs pleurent la disparition
du livre sentant bon l'encre des ouvrages d'antan. Question d'information, de
matraquage m�diatique ! Des animateurs, des critiques s'appliquent encore �
faire vivre une illusion selon laquelle le bon livre papier serait en fait la
victime innocente d'un monde inhumain envahi par une technologie imb�cile et
glaciale.
Nous adapter aux coutumes de l'�dition, c'�tait bel et bien r�gresser car, d�j�
la premi�re version de Windows de Microsoft �tait apparue, il y eut tr�s vite
la version 1 de Page Maker (logiciel de mise en page), la suite, on la conna�t
mieux. A quoi cela pouvait-il servir d'�diter un ouvrage de fonds � c'�tait
notre vocation � alors que les nouvelles technologies d�voilaient des
pratiques compl�tement diff�rentes ?
Nous ne nous sommes � aucun moment donn� le moyen d'analyser ce qui se passait
vraiment dans le monde, pour anticiper et produire des oeuvres qui eussent �t�,
dans leur forme et leur contenu, accessibles au plus grand nombre.
Informer les auteurs, convaincre des partenaires financiers ...
Imaginez aujourd'hui que nous disposions encore de cette enveloppe financi�re
de 2 M de francs environ qui fut allou�e au fonctionnement des �ditions
L&C, pour cr�er et nourrir un site Internet ! Nous pourrions alimenter
notre propre nom de domaine, puis quoi d'autre encore... organiser un grand
tapage publicitaire !
Las ! Mieux vaut de nouveau nous projeter vers l'avenir que nourrir une vaine
nostalgie. Nous disposons encore d'une avance confortable, m�me sur nos
concurrents les plus puissants. Hachette, par exemple, se met � penser que le
ph�nom�ne Internet est important et qu'il faut d�sormais lui adapter les
strat�gies �ditoriales et, bien s�r, publicitaires. C'est presque comique !
Je ne dis pas que le livre papier est mort ; que la diffusion de la pens�e par
les voies du livre est un ph�nom�ne d�pass�. Non ! Mais l'apparition
d'Internet, de ses us et coutumes si particuliers nous force � repenser les
circuits de distribution de l'�uvre �crite.
Cet outil formidable de transmission des id�es est d�j� en place et il faut
en tenir compte car le livre calibr�, pr�dig�r� par exploration du march�
et vendu avec l'appui d'un formidable tapage m�diatique n'est plus LE livre !
C'est un ersatz ! Un succ�dan�, un fant�me, au sens o� nous attendons encore
que le support v�hicule une pens�e ou une forme particuli�re de l'imaginaire.
Aujourd'hui le livre vecteur d'id�es, porteur d'un t�moignage, d'une vision et
d'une analyse du contemporain, emprunte les circuits d'Internet. C'est, j'en
suis convaincu, le meilleur moyen de faire d�passer les vieux clivages qui s�parent
l'�lite d�cadente d'une masse de gens, d'un peuple qui, d�j�, pense ailleurs
et autrement. Et ce peuple n'est pas si amorphe et si d�bile que d'aucuns
voudraient nous le faire para�tre. C'est m�me une grave erreur que de
concevoir les choses ainsi, l'Histoire nous le montre sans cesse. Il nous faut
poser les choses, analyser pos�ment ce qui se passe, tirer les le�ons des �checs
ant�rieurs mais aussi envisager comment faire d'Internet un vecteur ou un m�diateur
pour la diffusion des id�es.
Nous avons donc choisi de revenir � la diffusion des id�es sur Internet et d'y
ouvrir un modeste site.
Celui-ci sera consacr� � l'analyse de nos soci�t�s contemporaines, aux faits
de soci�t� et � l'Homme en situation de vie dans un monde en voie
d'uniformisation.
La r�alit� de nos soci�t�s install�es confortablement ignore celle de
mondes en mutations qui vivent dans un drame que nous regardons de fa�on d�tach�e.
Nous leur consacrerons un espace au moins aussi important que celui que nous
destinons au n�tre. Nous leur laisserons la parole, non comme � des d�sh�rit�s
mais comme � des �tres dignes et fiers qui tentent de faire partager leur
parole et leurs convictions.
Nous voudrions que ce site soit v�ritablement interactif, c'est aussi pourquoi
nous avons ouvert un forum et une foire aux questions.
Entre des informations de fonds et d'autres plus �ph�m�res, nous tenterons de
nous partager afin de vous inciter � participer � la p�rennit� d'une page
ouverte sur le monde... Quant au fond, � l'esprit dans lequel nous entendons g�rer
ce site, nous le d�dions d'abord aux t�moignages port�s sur les faits, aux
reportages � rapporter/reporter.
L'analyse ou l'interpr�tation restant secondaire m�me si, parfois, il faudra
s'extraire de l'enchev�trement passionnel pour esquisser des commentaires. Mais
nous saurons qu'il ne s'agit que d'opinions parcellaires, forc�ment affect�es
par une culture, une histoire personnelle... La v�rit� est un espoir !
Il 'L Baz, Juillet 1997
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