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Les rêves et les images intérieures


Les rêves ont, de tous temps, constitué la voie royale d’accès à ce que nous nommons aujourd’hui inconscient et que l’on nommait dieu antan. Les images intérieures n’occupent pas la même place privilégiée. Pourtant leur puissance est tout aussi importante. C. G. Jung nous a appris a écouter ces multiples voix intérieures.
Parution originale, 25/11/2004 sur PsychoTextes http://www.psycho-ressources.com/bibli/les-reves.html

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plus divins que toutes les étoiles éclatantes nous paraissent les yeux sans nombre que la Nuit fait s’ouvrir en nous !
Novalis - Hymnes à la nuit

 

Les rêves et les images intérieures occupent une place primordiale dans l’Histoire et dans le monde depuis probablement la naissance de cette tranche-ci d’humanité.

Cependant leur existence pose toujours problème, la science a, certes, démontré que l’homme rêvait - on le sait depuis près de 100 000 ans - mais n’a rien apporté de neuf quant au contenu du rêve.

Freud a voulu donner une approche scientifique du rêve en fondant des interprétations sur une grille contenue dans la théorie psychanalytique.

Jung, de son côté, tenta une autre approche, par une contribution qu’il voulut moins réductrice en diversifiant les polarités de la libido et en attribuant aux rêves un rôle jusque là ignoré. Le rêve aurait pour fonction d’établir une communication entre la conscience et l’inconscient et pour but, le rétablissement d’un équilibre dynamique de l’un à l’autre. Ce dernier ayant pour finalité de rendre plus fluide l’immersion du conscient dans la réalité. C’est supposer que conscient et inconscient aient l’un et l’autre un projet.

En France la polémique, née au lendemain de la rupture de ces deux géants de la psychanalyse, sévit toujours entre les deux écoles issues de ces pères fondateurs.

Du côté de la neurologie et de la physiologie, rien de neuf n’a été apporté de particulier depuis les années 70, avec la découverte des phases du sommeil. On exploite au maximum les découvertes de M. Jouvet à des fins médicales mais la recherche fondamentale stagne par manque de moyens mais, probablement aussi, par manque d’intérêt pour les rêves. On sait que l’on rêve, scientifiquement parlant, mais nul ne sait ce dont le chat, le singe ou l’homme rêvent, ni pourquoi tel rêve survient plutôt que tel autre. Or c’est ce qui fascine le plus et c’est aussi ce qui a laissé des traces dans l’Histoire. Cela les neurologues et autres physiologistes semblent ignorer.

Force nous est de revenir à l’empirisme de la pratique quotidienne, nous basant sur une écoute attentive du langage du rêve qui faciliterait une meilleure dialectique conscient/inconscient. C’est l’essentiel de la pratique psychothérapeutique ou psychanalytique.

Cela suppose d’emblée l’existence de deux zones, au moins, de la psyché humaine : l’inconscient, le conscient et qu’il existe des communications permanentes entre ces couches de la psyché humaine.

Outre les rêves, les échanges entre la conscience et d’autres zones de la psyché, surviennent - apparaissent à la conscience - des images ou visions dont la trame est plus ou moins élaborée, à des moments particuliers que la physiologie a également très peu étudiées. Suivant les écoles, les modes et la culture, on les nomme fantasmes, fantaisies, images, visions, hallucinations...

Parler de fantasme, en français, c’est laisser supposer qu’il s’agit d’une production tout à fait trompeuse, mensongère, fruit de l’imagination, en somme quelque chose qui n’a ni consistance ni intérêt sinon comme production névrotique. C’est dire que ces productions de l’imaginaire ne suscitent que suspicion et méfiance.

Pourtant la « réalité » de ces images jalonne l’Histoire et, parfois, la forge. Si l’on parle de vision, Dieu n’est pas loin.

On admet pourtant que ces productions sont aussi en relation avec le processus créatif.

Hors du processus névrotique ces images intérieures seraient donc tout à fait exceptionnelles, survenant à des moments exceptionnels chez des êtres d’exception ou dont la fonction culturelle est spécifiques - artistes, inventeurs...

On comprend que le rêve, cantonné à la vie nocturne puisse faire l’objet d’une attention pour les spécialistes du cerveau. Au moins entre le jour et la nuit, la veille et le sommeil, la frontière est très nette.

On étudie les abysses de l’océan, on explore les recoins les plus inattendus de la planète, on peut accorder quelque attention à la vie nocturne ou une à activité psychique durant le sommeil, même si les termes activité et sommeil paraissent antinomiques.

De là à passer un seuil et supposer l’existence d’une activité parallèle à celle de la conscience il y a un abîme. Pour M. Jouvet, d’un point de vue purement physiologique ce ne sont pas les mêmes zones qui sont concernées par l’activité diurne et l’activité nocturne. On peut donc supposer sans trop de risques qu’il en est de même en ce qui concernent les fantaisies de la psyché.

Fantasme que tout cela ! Illumination de mystique ! C’est l’opinion qui domine.

Forçant un peu l’attention du lecteur on finira par lui faire accroire l’existence de quelques visions passagères et fugaces qui traversent la conscience. Et l’on admettra aussi bien que cela concerne les sens de la vue. Nous l’avons compris, fantasme, vision, image, pour peu que l’on en admette l’existence se présentent sous forme visuelle.

Rien n’est moins sûr ! L’expérience nous amènerait à penser que les cinq sens sont concernés. Dans ce cas, pouvons-nous parler d’images ? Bien sûr, car il s’agirait de représentations, de fantaisies et ces particularités du processus psychique peuvent tout aussi bien affecter la vue que le toucher, l’olfaction ou l’ouïe, le goût pourquoi pas.

De nombreux témoignages vont dans ce sens et il suffit parfois de faire une enquête sommaire autour de soi pour constater que la vie psychique peut en effet revêtir bien des aspects.

Et si nous allions plus loin en disant que même les pensées peuvent se présenter comme des représentations qui échapperaient en fait au contrôle de la conscience ?

Le lecteur le plus complaisant se met à sursauter...

Pourtant nombre d’écrivains seraient enclins à dire que, parfois, la plume leur échappe...

Placement

Nous aborderons dans un premier temps la question des rêves et principalement le rôle qu’ils tiennent dans l’activation de la communications essentielle entre les instances conscientes et les instances conscientes. Le fond conceptuel auquel nous faisons référence est celui de C. G. Jung, c’est pourquoi en ce qui concerne l’interprétation des contenus nous renvoyons le lecteur à Jung mais aussi à sa collaboratrice la plus prolixe, M. L. Von Franz, notamment à la série d’études qu’elle a consacrée à l’interprétation des contes de fées.

Il s’agira surtout de faire pressentir au lecteur que la psyché humaine n’est ni une ni « totale ». La pratique et l’examen attentif de témoignages depuis plus de 30 ans nous a conduit à poser l’hypothèse selon laquelle l’unité de la conscience, par suite celle de l’Inconscient ne découleraient que des représentations du monothéisme. C’est pourquoi l’animisme et le fétichisme, quoique considérés comme primitifs, peuvent nous être très utiles pour comprendre les mécanismes psychiques. Au regard de la psychologie, il n’est pas de bon ton d’évoquer l’infinie différenciation de la psyché, donc de son morcellement.

Dans un deuxième temps nous aborderons la question, pour nous fondamentale, de l’existence des images intérieures et leur articulation à la dialectique Conscient/Inconscient. Cette approche nous conduira à poser l’existence d’une instance médiatrice entre les la conscience et le conscient qui agit en toute autonomie, de manière salvatrice et inventive pour la conduite des petites affaires humaines tout autant que pour les grands desseins. L’existence de ce centre autonome est déjà signalée dans des textes historiques, dans l’Islam chiite mais aussi par les Soufis. Or les Hadiths - récits complémentaires de la tradition du Livre dans l’Islam. Ils sont composés de témoignages sur la vie du Prophète et de commentaires du Coran — auraient repris une antique tradition d’où serait également issue un « yoga occidental » : l’Oraison monologiste des Pères du désert, dont le Prophète Mohammad aurait été un disciple. Qu’il existât un malentendu à relier une science, l’anthropologie, à des religions peut choquer des psychologues praticiens. Mais c’est bien là l’essentiel de la pratique anthropologique que de dresser des hypothèses prudentes à partir d’éléments apparemment disparates.

Dans un troisième temps nous aborderons la façon dont nous pouvons, cette fois, dans la pratique quotidienne, reprendre cette trilogie - conscience-médian-inconscient — et la mettre au service de nos métiers de manière extrêmement pertinente.

Les rêves, rôle et interprétation

  Les rêves dans l’Histoire et dans les mythes

Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’impact des rêves dans l’Histoire et dans les mythes. On connaît le rêve oublié de Nabuchodonosor et le rôle d’interprète que joua le prophète Daniel.

Rappelons aussi, à l’origine de la guerre de Troie, le rêve de la reine Hécube, épouse de Priam, roi de la cité troyenne. Nombreux sont également les songes ou les visions au cours desquelles les dieux apparaissent, porteurs d’un message plus ou moins sibyllin et dont l’interprétation nécessite la sagesse d’un mage.

Ainsi Balthazar, lors d’un festin de victoire vit apparaître une main qui écrivait sur un mur. Ce fut Daniel qui donna l’interprétation qui subjugua le dernier roi de Babylone.

Ce qui est intéressant dans cet épisode mythique c’est le rôle d’une part de l’image et non d’un rêve, de l’écriture d’autre part. Ce qui confère à l’interprétation une fonction de traduction.

Voici le récit biblique du Livre de Daniel :

« Le roi Balthazar donna un grand festin pour ses seigneurs, qui étaient au nombre de mille, et devant ces mille il but du vin. Ayant goûté le vin, Balthazar ordonna d’apporter les vases d’or et d’argent que son père Nabuchodonosor avait pris au sanctuaire de Jérusalem, pour y faire boire le roi, ses seigneurs, ses concubines et ses chanteuses. On apporta donc les vases d’or et d’argent pris au sanctuaire du Temple de Dieu à Jérusalem, et y burent le roi et ses seigneurs, ses concubines et ses chanteuses. Ils burent du vin et firent louange aux dieux d’or et d’argent, de bronze et de fer, de bois et de pierre. Soudain apparurent des doigts de main humaine qui se mirent à écrire, derrière le lampadaire, sur le plâtre du mur du palais royal, et le roi vit la paume de la main qui écrivait. »

Le roi, fit venir Daniel qui lui dit : « L’écriture tracée, c’est : Mené, Mené, Teqel et Parsîn. Voici l’interprétation de ces mots : Mené : Dieu a mesuré ton royaume et l’a livré ; Teqel : tu as été pesé dans la balance et ton poids se trouve en défaut ; Parsîn : ton royaume a été divisé et donné aux Mèdes et aux Perses. « Alors Balthazar ordonna de revêtir Daniel de pourpre, de lui mettre au cou une chaîne d’or et de proclamer qu’il gouvernerait en troisième dans le royaume. Cette nuit-là, le roi chaldéen Balthazar fut assassiné. »

Il faut nous défier d’interpréter l’interprétation et d’en réduire le contenu à notre position du moment, historique, métaphysique ou psychologique. Les commentaires que nous pouvons faire des rêves et récits de visions doivent être assujettis à une minutieuse étude du contexte historique dans lesquels ceux-ci prennent forme. Tout comme l’anthropologue ne conclut quoique ce soit sur la découverte d’un site sans soumettre les résultats des ses trouvailles à de nombreuses expertises, géologiques, historiques ethniques, etc. l’historien ne peut rien conclure d’un récit de rêve s’il n’a pas une solide connaissance du contexte culturel, économique, historique, géographique voire linguistique dans lequel le récit s’enracine.

Et c’est à partir de ces premiers éléments d’investigation que l’on peut avancer une interprétation psychologique sensée et cette dernière n’aura rien d’un discours métaphysique.

Pour leurs études sur les rêves Emma Jung et Marie Louise Von Franz se sont transformées en véritables linguistes et historiennes.[1]

Le rêve comme transformateur

Il ressort néanmoins un trait commun de ces récits que les mythes rapportent : les rêves ou les visions sont de puissants transformateurs de culture, voire de civilisations. Dans les temps historiques nous ne pouvons oublier le rôle que jouèrent les visions et les rêves dans la vie du Prophète Mohammad. Et ce fut la naissance de l’Islam.

C’est dire la formidable puissance emmagasinée par le rêve et dont le développement façonne une tranche d’histoire.

Fort justement Michel Jouvet affirme : « Gardien et programmateur périodique de la part héréditaire de notre personnalité, il est possible que chez l’homme, le rêve joue également un rôle prométhéen moins conservateur. En effet, grâce aux extraordinaires possibilités de liaisons qui s’effectuent dans le cerveau au moment où les circuits de base de notre personnalité sont programmés, pourrait alors s’installer un jeu combinatoire varié à l’infini

  • utilisant les événements acquis - et donnant naissance aux inventions des rêves, ou préparant de nouvelles structures de pensée qui permettront d’appréhender de nouveaux problèmes. »[2]

On ne peut mieux faire apparaître le rôle psychopompe du rêve et c’est un physiologiste qui l’affirme.

Le rêve met trois acteurs en relation : le rêveur bien entendu, un interprète et un groupe ethnique.

Rêveurs et interprètes revêtent des caractéristiques spécifiques - rois, ascètes, prophètes, etc. - qui les rendent remarquables aux yeux du groupe.

On retrouvera ces éléments dans de nombreuses ethnies, tant en Afrique qu’en Inde, en Asie ou chez les Amérindiens. Ces rêves ne peuvent être confondus avec les rêves personnels que chacun de nous peut collecter au matin. Ce sont ce que C. G. Jung a appelé des « grands rêves ».

Cette fonction « prophétique » du rêve n’a pas disparu dans l’enfer des technologies et du rationalisme technique...

Les rêves personnels

Paradoxalement c’est l’étude des rêves personnels du quidam contemporain qui nous permettra d’approfondir notre approche des rêves et visions qui ont façonné l’Histoire.

Une chose est tranchée, nous rêvons tous. C’est un apport fondamental des physiologistes. Par conséquent, si un sujet prétend ne pas rêver c’est qu’il manque un relais de communication entre sa conscience et les lieux de la psyché d’où les rêves émergent. Avec un peu d’habitude, ce pont finit par exister. Même si la production paraît pauvre, la nuit parvient à laisser quelques traces qui suffisent à pénétrer dans ces mondes inconnus.

On peut distinguer quatre grandes catégories de rêves personnels.

  Différentes catégories de rêves

Certains rêves se rapportent directement à l’histoire du sujet, il apportent des informations sur l’état des relations entre les différentes couches de la conscience et celles de l’inconscient.

À ce stade nous introduisons une distinction quasi hérétique : ni la conscience, ni l’inconscient ne participent de l’unité. Si Michel Jouvet aimait rappeler cette parole : « Je est un autre », nous insistons pour dire que ce que nous pensions être une unité n’est en fait que fragments, myriades d’éléments interagissant avec plus ou moins d’énergie. La seule unité qui existe, et encore parce que nous participons d’une culture matérialiste objectale, c’est le corps ! Le reste, ce que nous nommons la psyché, n’est que nuage plus ou moins dense.

D’autres rêves véhiculent des informations qui vont au-delà de l’histoire de la conscience. Ce sont eux que C. G. Jung appelle « les grands rêves ». Ces derniers véhiculent des représentations communes au patrimoine de l’humanité, des grands symboles demeurés actifs depuis des millénaires. Et ces derniers ne dépendent en rien de l’environnement culturel et géographique du sujet. Un individu né à Toronto, y vivant depuis sa naissance et n’ayant jamais voyagé peut fort bien véhiculer des images venues des lointaines steppes de la Mongolie. Ces rêves appartiennent également au sujet. Nous voulons dire qu’ils concernent son évolution personnelle mais leur contenu universel a sans doute pour fonction, outre leur sens profond, de rappeler à celui-ci qu’il n’est pas seul sur cette terre et qu’il est relié à l’expérience commune de l’humanité. C’est probablement cela qui fait penser à certains qu’il s’agit de rêves à connotation religieuse...

Par ailleurs, il existe des rêves qui appartiennent au collectif, au groupe dans lequel le sujet évolue. Ces rêves donnent des informations qui vont au-delà de ce que le sens commun véhicule sur tel ou tel sujet important, sur tel événement majeur.

Peu avant la chute du mur de Berlin, certaines personnes produisirent des rêves qui, malgré moult tentatives, ne pouvaient que s’interpréter de cette manière.

Dans de nombreuses ethnies, on apprend très tôt aux enfants à faire la distinction entre les rêves personnels et ceux qui concernent le groupe.

« Chez les Esquimaux, il ne viendrait à l’esprit de personne, fût-il un enfant, de cacher aux autres ses propres rêves. », nous rapporte Didier Anzieu.[3] Et les grands événements d’un groupe sont ponctués par ces émergences de la nuit que chacun pourra reconnaître ou qui nécessiteront la sagacité d’un chaman.

Dans nos sociétés ses rêves existent mais leur prise en compte est négligée. Plus, il n’existe pas de véritable guidance éducative qui permettrait, dès l’enfance, de faire le distinguo entre les différentes sortes de rêves. Très souvent une cure psychothérapeutique se résume en cet apport qui permettra à l’individu d’acquérir quelques repères dans ce cheminement, rien de plus. La personnalité du sujet fera le reste.

Enfin certains rêves peuvent être considérés comme saisonniers car ils ponctuent les « saisons de l’âme », ces grands passages de la vie. Sommairement nous pourrions distinguer la période du passage du bébé à l’enfant, ponctués par de forts cauchemars dans lesquels des êtres fantasmagoriques menacent de dévorer ou d’engloutir le petit humain. Plus tard au passage à l’âge adulte en fin d’enfance, entre 8 et 14 ans, d’autres rêves singuliers surviennent. L’âge d’entrée dans la maturité apportent son lot d’autres images oniriques particulières - entre 25 et 30 ans. Le mitan de la vie, entre 45 et 50 ans voit apparaître d’autres images. La fin de vie, pour terminer, laisse entrevoir le seuil de l’au-delà, semblant ainsi préparer le sujet à son passage de l’autre côté.

Soit cinq saisons en tout...

  Mécanisme du rêve

Le mécanisme physiologique du rêve a bien été mis en évidence par les chercheurs depuis Michel Jouvet dès 1958.[4] Et selon sa propre expression nulle progression ne s’est opérée depuis une trentaine d’années.

Cependant les rouages qui déterminent telle ou telle catégorie de contenu échappent à notre compréhension et nous ne pouvons que dresser des hypothèses que le travail de la psychothérapie contribue à forger.

Selon un préjugé tenace, mais qui ne tient pas à l’observation, les rêves ne seraient que tissés des informations de l’état de veille. Ce qui paraît assujettir leurs contenus à ceux de la conscience. Cela supposerait, par incidence, que la conscience serait capable de se remémorer les événements importants qui seront repris dans le rêve et qu’elle contrôle en quelques sorte les mécanismes du rêve.

En fait, dans la dialectique Conscient/Inconscient, c’est le Conscient qui demeure tributaire de l’Inconscient.[5] Cela C. G. Jung l’a parfaitement montré et cette hypothèse est la plus pertinente si nous voulons articuler le langage du rêve à celui de la conscience. Un rêve se constitue en fait comme une tablette de hiéroglyphes. C’est l’analogie la plus proche qui soit. Les « signes » qui constituent le contenu du rêve sont certes issus de la vie de veille mais ils opèrent grâce à la puissance de l’affect qui leur est attaché.

   L’affect dans le rêve

Au rêve personnel porteur de sens est toujours attaché un affect qui indique la charge d’énergie potentielle attachée au message. Cet affect peut être constitué d’émotions mais il existe d’autres manières de représenter la charge affective, les couleurs, les sons, les parfums, etc. En fait les cinq sens peuvent être mobilisés soit de manière singulière soit en synergie. Cependant les rêves qui mobilisent tous les sens sont rarissimes. Les rêves qui contiennent des sons sont eux-mêmes rares, même chez des musiciens.

Les rêves en couleurs ne sont pas fréquents et quand ils existent de façon constante chez un individu, cela met l’accent sur un aspect particulier de sa personnalité.

Les affects sont constitués, la plupart du temps, par des émotions communes, facilement repérables par le rêveur.

Or c’est l’affect qui établit la véritable connexion porteuse de signification entre la réalité de la conscience et la réalité du rêve.

Tout se passe comme s’il existait une ou plusieurs réalités parallèles à celles de la conscience et que celles-ci communiquent par l’intermédiaire de points de jonction signalés par les affects.

La conscience n’accordant pas la même importance que l’inconscient aux événements, celui-ci se saisit d’événements particuliers de la vie courante pour attirer l’attention du rêveur vers d’autres horizons, une autre dynamique de vie. Cela induit l’hypothèse selon laquelle quelque chose en nous perçoit et enregistre plus que ce que la conscience mémorise. Cela, nous pouvons nous en servir dans un travail en profondeur sur les images intérieures.[6]

   La dynamique du rêve

Nous avons vu que le rêve est une sorte d’opérateur médian entre différentes instances inconscientes et la conscience. On retrouve cette fonction dans le contenu même du rêve qui met en relation différents acteurs comme sur une scène fantastique. Le mouvement des objets du rêves est important car c’est ce qui signale quelle dynamique est en cours et quelle transformation s’opère.

C’est pourquoi les rêves sans mouvement, ceux où les acteurs sont immobiles signalent une certaine immobilité de la psyché et il peut s’agir d’une sorte d’alerte.

L’être humain sait retrouver cet aspect étrange et chargé d’inquiétude : dans certains films, l’angoisse est souvent suscitée par un plan de scène où n’existe aucun mouvement.[7]

Par réflexe, nous n’aimons pas les cauchemars ni les rêves violents et cet instinct nous protège probablement d’une dérive vers les abysses de l’inconscient. Cependant il ne faut pas évaluer la violence des rêves à l’aune de notre propre sensibilité. En effet les rêves dans lesquels les acteurs se croisent avec violence, charge d’animaux, lutte entre protagonistes, agression par des tiers, etc. ne font que signaler la charge énergétique/émotionnelle incluse dans un mouvement en cours.

Dans la mesure où le contenu du rêve est soit compensatoire soit complémentaire aux mouvements de la conscience[8] cette violence est destinée à attirer l’attention sur une trop grande différence de potentiel entre la conscience et les autres instances.

  L’importance du contexte

Nous percevons donc combien le contexte dans lequel émerge un rêve est de toute première importance. Dans la mesure où le rêve personnel puise ses images représentatives dans le quotidien du rêveur et qu’en outre il met l’accent sur des éléments de ce quotidien que la conscience a négligés, l’examen minutieux de toutes le péripéties du quotidien est incontournable. Bien souvent d’ailleurs on « tombe » sur un événement totalement anodin qui charrie cependant avec une lui une suite de métaphore qui, par association peuvent conduire le rêveur dans un très long dédale intérieur de sa vie présente ou passée.

En cela le rêve peut être considéré comme maître en soi, du dialogue conscient/inconscient.

  L’interprétation

C’est ainsi que se pose la question de l’interprétation et de la manière dont elle doit être conduite.

Suite à la vision de Balthazar, le Prophète Daniel se contente de suivre avec le roi ce que la main a écrit. Il lit, puis il traduit. Et cet opus suffit à déclencher une action importante et inéluctable.

Face à un rêve, si nous pouvions nous contenter de n’être que traducteur, le travail sur le rêve confinerait à une sorte d’artisanat, de ciselure sur les bords de l’âme. Mais bien souvent la tendance rationaliste l’emporte et nous finissons par réduire le rêve à une grille plus ou moins élaborée et c’est une défloration du sens profond du rêve. Dans l’idéal nous devrions renoncer à « comprendre » le sens d’un rêve, laissant ainsi ce dernier continuer son propre travail.

Dans le quotidien, souvent, un carnet de bord qui consigne les différents événements de la journée et un carnet de rêve suffisent à nous éviter le long détour d’une psychothérapie. Parfois même, le pseudo cheminement thérapeutique se résume en un long travail d’acquisition de réflexes d’écoute de ces messages que notre vie trop intellectuelle et matérialiste nous ont conduit à délaisser.

  Rôle et fonction du rêve

C’est Michel Jouvet qui pourrait conclure cette approche sur les rêves personnels :

« C’est le rêve qui ferait que chacun de nous est différent, et c’est la mémoire génétique de chaque individu qui s’exprime par le rêve. C’est mon hypothèse. »[9]

Si M. Jouvet parle de mémoire génétique, cela rejoint étrangement la notion d’Inconscient collectif mise en évidence par C. G. Jung et celle-ci va bien au-delà du contenu des rêves personnels

Retour aux grands rêves de l’Histoire

   Interprétation au plan du sujet et rôle du groupe

Jung prenait d’abord le rêve comme drame intérieur dans lequel le rêveur et les acteurs interagissaient comme autant d’éléments de la personnalité du sujet. Drame - action - relation - dont le rêveur se doit de prendre conscience, pour un projet dont l’objectif est à jamais inconnu, soit dit en passant. C’est ce que Jung nommait interprétation au « plan du sujet ».

Il est aussi possible de lire un rêve au « plan de l’objet ». Dans ce cas, les acteurs sont des éléments de la vie objective du rêveur mais une telle interprétation, outre qu’elle renforce souvent les projections faites sur des tiers, confère à la conscience une puissance et une tendance à la domination qui peut poser problème. La lecture des rêves nous apprend à faire le deuil d’une volonté de compréhension qui n’est qu’un des aspects d’une volonté de toute puissance bien souvent néfaste à notre immersion dans le monde. La conscience ne domine pas les éléments, elle en est issue et comme une île volcanique surgie des flots elle grandit grâce au matériaux en fusion qui lui vienne de la profondeur. Elle en est construite, elle en dépend.

Pourtant si nous étudions attentivement la lecture que Daniel fait des rêves de Nabuchodonosor et de la vision de Balthazar, nous constatons qu’il se situe au plan de l’objet. Le roi est au centre de la scène et les éléments du rêve sont pris comme autant de représentations de ce qui se passe dans le royaume et auprès de ses sujets.

Une telle interprétation est-elle due au fait que nous sommes en présence d’êtres exceptionnels, les rois de Babylone ? Partiellement, oui.

Si nous revenons au contexte de ces époques, au 7e siècle av. J.-C., la cosmogonie en place, avant l’émergence du monothéisme, situe le roi comme principal média entre les dieux et la masse indifférenciée des sujets du royaume. Autant dire que la conscience individuelle n’existe pas, c’est le roi, investi par les dieux, qui tient lieu de conscience pour tous. Ce qui revient à dire que, hormis le roi, nul conscience n’existe, seul un gigantesque maelström d’où surgira bientôt Yahvé.

Vu sous cet angle le prophète Daniel se tient au « plan du sujet », puisque le roi n’est que la conscience d’un gigantesque corps constitué par le royaume et ses sujets. C’est ce qui explique la singularité constante de Daniel par rapport aux autres mages. N’a-t-il pas en effet « ramené » le rêve que Nabuchodonosor avait laissé « partir de lui » ? Daniel est là comme un élément de conscience avancée, quelques siècles en avant ; figure éclairante du monothéisme et des symboles d’unité...

Ceci nous confirme la difficulté qu’il y a à accueillir puis à traduire les grands rêves collectifs. Non pas tâche impossible mais nécessité de s’entourer de tous les éléments que la science nous fournit afin d’être dans un mouvement de lecture et non de compréhension.

Quant aux porteurs de la lumière éclairante des images, notre monde semble les ignorer et seuls quelques créatifs-artistes auraient le privilège d’être au centre d’un dialogue entre les deux rives de la psyché.

Toulouse le 10 octobre 2004


[1] - Consulter la série d’ouvrages de l’une et l’autre sur l’interprétation des contes de fées et sur les légendes germano-celtiques.

[2] - Histoire naturelle du rêve, fonctions du rêve, conférence de Michel Jouvet, in http://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/jouvet/histoire_naturelle/p11.html.

[3] - Les esquimaux et les songes, Revue française de Psychanalyse, tome XL, janvier-février 1976, reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur in :

http://www.hommes-et-faits.com/index_0.html - Rubrique, Une société de l’image.

[4] - Le sommeil et le rêve, Michel Jouvet, Éditions Odile Jacob, 1992.

[5]  - C’est ce qui est d’ailleurs signalé par les rêves du jeune enfant entre 3 et 6 ans qui signalent qu’un être dévoreur menace de l’avaler, de le dévorer, de l’engloutir. On peut traduire par : La toute jeune conscience en voie de constitution, encore fragile, est menacée d’engloutissement par les forces gigantesques de l’Inconscient figurée ainsi par cet être surpuissant.

[6] - Si la recherche sur les phases du sommeil et la vie onirique a peu progressé depuis 20 ans, en ce qui concerne les images intérieures, c’est le grand désert.

[7] - Ce ne sont pas les seuls éléments semblables au rêve que l’on retrouve dans les rêves. Lire à ce sujet l’excellent travail d’analyse de Catherine Barbé sur Le silence des agneaux in http://www.hommes-et-faits.com/cinema/kb_anio.htm.

[8] - Voir à ce sujet les études de C. G. Jung et de ses continuateurs les plus proches.

[9] - http://www.cybersciences.com/cyber/4.0/dec_jan98/entrevue.asp

février 2006 par Illel Kieser


Notes :

Parution originale sur PsychoTextes http://www.psycho-ressources.com/bibli/les-reves.html

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