Darra : A 42 kilomètres
de Peshawar dans la vallée du même nom que cette grande ville, Darra… dans la
province du Nord-Ouest du Pakistan, à proximité de la frontière afghane.
Aujourd’hui, la chaleur est humide, et nous voyons, nous collègues français,
sur la carte géographique un point fixe : Darra, une ville dont la
réputation a dépassé le cadre déjà fort large de la vallée de Peshawar et du
Pakistan lui-même.
Une autorisation spéciale
des autorités pakistanaises est nécessaire pour pouvoir aller à Darra.
N’étant pas matériellement
en situation de pouvoir obtenir cette autorisation et bien qu’étant avertis du
rapt d’un citoyen hollandais sur les lieux même où nous désirions aller (le
rapt moyennant rançon est pratiqué régulièrement dans les tribus du Nord-Ouest
du Pakistan), nous décidons dans le cadre de notre voyage de tenter notre
chance et de louer un petit véhicule avec chauffeur !
- Pas de problème !
A peine sortis de l’hôtel,
nous trouvons juste le temps de surveiller l’un de ces chauffeurs qui dormait à
l’arrière de son véhicule.
“ Three hundred roupies
for five people ”
En marchandant… on n’obtient
pas plus bas mais on part !
A cinq à l’arrière du
véhicule, nous pouvons profiter du vent que la vitesse du “ tacot ”
crée. Trois quarts d’heure de route en ligne droite. La nonchalance des
policiers aux multiples postes de surveillance nous permet d’atteindre Darra
rapidement.
En fait, qu’est-ce que
Darra ?
Une rue principale bordée
d’armureries, de petites échoppes où les Pathans, peuple de la vallée de
Peshawar, barbus et revêtus de leurs longues tuniques blanches attendent
accroupis d’éventuels visiteurs. Le thé fume dans les petites coupelles
dispersées devant leurs propriétaires. Notre curiosité n’a pas à s’exercer.
Le spectacle est devant
nous. Des armes de toutes sortes sont fabriquées. Les habituels fusils de
chasse sont fabriqués intégralement à Darra.
Sculpture et polissage des
crosses ainsi que des supports n’ont pas de secrets pour ces hommes.
L’équipement du chasseur –
de la cartouchière à la gibecière –
n’est pas moins important en quantités.
Les Nemrods de la chasse
trouvent leur bonheur à des prix défiant toute concurrence.
Certains fusils dignes des manufactures
de Saint-Etienne sont vendus mille six cent roupies pakistanais soit quatre
cent francs français approximativement.
Il n’est bien sûr pas
interdit de marchander.
La chasse est une passion
pour nombre de Pakistanais qui chassent le canard et le sanglier, qui pêchent
et chassent les oiseaux dans les plaines du sud.
Si les armes de chasse
constituent un potentiel non négligeable de l’activité industrieuse des
commerçants de Darra, il ne faut pas oublier que l’extraordinaire activité de
production des armes de guerre et de munitions de petit et gros calibre est
ahurissante.
Les vestiges des armées
afghane et soviétique en territoire afghan sont régulièrement récupérés et
expédiés à Darra où les Pathans (qui peuplent la vallée de Peshawar) les vendent
à des prix très bas (pour nous Occidentaux) mais d’une infinie valeur pour les
autochtones. Kalashnikov, obus, roquettes, casques de tankistes sont ici
revendus par lots entiers. Des Kalashnikov en état encore parfait, sont ici
vendus 1600 roupies, soit près de 400 francs français … avec les balles
évidemment, qui, elles, sont produites par milliers.
Les pistolets automatiques
ainsi que nombre de poignards militaires sont vendus par dizaines.
A cette impressionnante
récupération d’objets militaires vient s’ajouter la production d’armes de
guerre à l’état neuf.
Dans la rue, les acheteurs
éventuels s’entraînent, le canon de leurs armes pointé vers le ciel.
Le crépitement des
mitraillettes contribue à donner à cette ville un aspect surréaliste.
J’ai l’occasion avec mes
amis d’essayer une Kalashnikov dont le bruit est assourdissant.
Travail du bois et de
l’acier sont pratiqués par les Pathans, avec une dextérité indéniable. Les
modèles proposés sont magnifiques, bois et canons peints éblouissent le regard.
Les répliques d’armes
anciennes, ou même de véritables armes anciennes sont en vente. Nous en
achetons certaines, notamment de vieux poignards iraniens.
Le gouvernement pakistanais
n’ignore rien de cette activité illégale qu’il voudrait bien interdire définitivement.
L’accès à Darra n’est
possible pour les étrangers que depuis quelques années, seulement. En fait,
tout trafiquant peut venir se servir à Darra et acheter ce qui lui plaît.
Darra vit de cette activité
et vend aux tribus hostiles de la vallée de Peshawar depuis un siècle, mais
également aux intervenants étrangers notamment aux Moudjahidin afghans.
Cependant, l’activité de la
petite ville est “ doublée ”, “ court-circuitée ” si l’on
ose s’exprimer ainsi, par les Américains qui font transiter des armes par le
Pakistan à destination des rebelles afghans. Darra n’est pas aussi prospère
qu’on pourrait l’imaginer. A part les commerces d’armes, on ne voit aucun des
commerces d’une ville de cette importance.
De plus, la population (3000
habitants) n’a guère augmenté depuis des décennies.
Toute la vallée de Peshawar
où est située Darra vit peu ou prou du commerce de la drogue.
Celle-ci est produite
notamment et mise en vente libre dans tous les bazars orientaux entourant les
cœurs des petits bourgs.
Cette drogue part par
bateaux entiers clandestinement vers la France, la Suisse, les Etats-Unis
notamment
Invoquant leur mission de
lutte contre le trafic de drogue menée conjointement avec les pays producteurs,
les Etats-Unis avaient obtenu la fermeture totale de l’accès aux étrangers de
Khyber Pass, cruciale pour accéder de nuit au territoire afghan, ainsi que la
fermeture de l’accès à la ville de Darra.
Cette pression des
Américains sur le gouvernement d’Islamabad n’avait pas empêché la contrebande
de se perpétuer.
Le haschisch vendu dans les
bazars, l’héroïne produite par kilos sinon par tonnes continuent à faire vivre
nombre de citoyens pathans. De plus, l’argent de la drogue est bien souvent
nécessaire pour acheter des armes, d’où la nécessité pour les producteurs de
s’offrir les services d’intermédiaires en tous genres.
Cette région soumise aux
lois tribales demeure dangereuse non seulement pour ceux qui y vivent mais
également pour les touristes étrangers.
Les intérêts antagonistes
une fois de plus s’opposent.
Les Pakistanais du
Nord-Ouest du pays trouvent leur intérêt dans l’exercice de ces deux commerces
finalement complémentaires.
Le gouvernement pakistanais
laisse la production de drogue s’effectuer ‑ toute intervention de police
destinée à extirper le mal à sa racine – présentant le risque de générer des
troubles parmi ceux qui vivent de ce commerce.
En fait, la fascination
exercée par la petite ville de Darra est celle d’une petite ville qui a fait de
la production d’armes son activité commerciale mais qui demeure hors du champ
d’application des lois fédérales votées par le parlement d’Islamabad.
La violence est un souci
majeur de toute société organisée régie par des règles. Ainsi aux Etats-Unis,
le Congrès est sur le point d’adopter une législation fédérale réglementant le
port des armes, actuellement libre au Texas ainsi que dans d’autres états du
Sud des Etats-Unis.
Le commerce des armes n’a
jamais été aussi florissant. Toute réglementation restrictive se heurte à la
réalité économique.
Qu’adviendra-t-il dans ce
contexte, de Darra ?
Darra donne d’Islamabad une
très mauvaise image de marque à l’étranger De plus, les pressions américaines
sur le gouvernement pakistanais vont obliger certainement celui-ci à
réglementer le commerce des armes dans la vallée de Peshawar et ces pressions
vont peut‑être le contraindre à intervenir plus directement sur le marché
de la drogue, ce qui sera évidemment une tâche beaucoup plus délicate.
Les jours de Darra
paraissent maintenant comptés.