Carnets de voyage

 

 

Au pays des Kalash


L a fin d'un peuple

Lionel Cudennec

Depuis des temps immémoriaux, une merveilleuse ethnie vit dans les vallées dites des “ Kalash ”, au sein de la province de la frontière du Nord-Ouest du Pakistan.

Les trois vallées sont Beerer, Bumburait et Rumbur.

Dans ces trois gorges à près de 1500 mètres d’altitude vivent approximativement 3000 à 4000 Kalash. Ce peuple est constitué par les Kafirs “ rouges ”, appelés ainsi car ils portent une calotte d’une couleur rouge remarquable sur la tête.

Le terme “ Kalash ” signifie “ noir ” mais ne permet pas de désigner de façon suffisamment explicite l’origine de cette peuplade. Qui sont les Kalash ?

Plusieurs hypothèses s’affrontent mais doivent être étudiées car elles permettent de cerner l’originalité de ce peuple. Les deux mille à trois mille Kalash seraient les descendants des anciennes populations aryennes de l’Afghanistan fixées dans les plaines et hauteurs de Kabul et de Jalalabad, et qui, refusant d’embrasser l’Islam, choisirent au 10ème siècle de notre ère de s’enfermer dans la forteresse de l’Indu-Kush. Assurément, les Kalash, comme les ex-Kafirs et tous les peuples de cette partie de l’Indu-Kush, appartiennent à la race blanche. Pourtant, il faut imaginer les affrontements, les mélanges, assimilations des bandes aryennes avec les populations autochtones dans leur longue traversée de l’Asie avant d’atteindre les terres afghanes.

Mais même si l’aspect physique des Kalash et autres habitants de l’Indu‑Kush reflète d’évidence une préservation singulière des traits européens, la seule preuve irréfutable de leur appartenance à la famille indo-européenne repose une fois et encore pour toutes sur l’étude des langues.

Les Kalash peuvent être reconnus comme des descendants de ces populations laissées en route, en Afghanistan Oriental, par les envahisseurs indo-aryens.

Les Kafirsten durant cette période du premier millénaire ne peuvent avoir échappé à la culture greco-irano bouddhique qui rayonna aux portes de l’Indu-Kush, et s’infiltra par les axes de circulation, les cols très fréquentés comme raccourcis entre le Nord-Ouest du sous continent, le Turkestan et la Chine.

Jusqu’à l’arrivée des Arabes, il ne faut pas voir l’Indu-Kush comme une forteresse infranchissable.

Alexandre l’a traversé, utilisant les couloirs naturels de passage où s’étaient engouffrés les Aryens et les Perses.

Le Bouddhisme d’ailleurs s’y répand. Peut-être dès la conversion d’Ashoka, le grand Empereur Maurya qui parsème son vaste empire de vastes monumentales inscriptions sur des rocs grevés de sermons de Paix et fait graver des stupas bouddhiques jusque dans le Kafirstan. L’Islam dès le huitième siècle après Jésus Christ va tenter de briser cet isolement Kalash.

Les Kalash vont néanmoins avec des armes rudimentaires résister à tous les envahisseurs, les Musulmans, les Sikhs de l’Inde puis les Anglais.

Curieusement, ce sont les Anglais qui permettront aux Kalash de garder leur identité par une de ces explications dont l’Histoire a le secret.

Le gouvernement musulman de Kaboul dirigé par le Sultan Abdur Rahman entama une campagne de conversion forcée à l’égard des Kalash en 1896. La violence de l’intervention musulmane répondait à la réticence des Kalash qui refusaient de se soumettre.

Dès ce moment, les conversions allaient devenir de plus en plus fréquentes : jusqu’à aboutir à la coexistence des Kalash islamisés et des Kalash païens dans les trois vallées de Beerer, Bumburait et Rumbur.

Vers 1930-1935, nombre de Kalash se convertirent néanmoins à la religion musulmane et dès lors leur peuple lentement se fit “ phagocyter ” au quotidien par les Musulmans écrasants en nombre.

Aujourd’hui le territoire des Kalash est situé dans la région de Chitral, dans la province du Nord-Ouest de la frontière du Pakistan. Ce territoire des Kalash couvre les trois vallées de Beerer, Bumburait et Rumbur, trois vallées encaissées entre des sommets atteignant des altitudes avoisinant de 2500 à 3000 mètres.

Les Kalash vivent dans des maisons dont les murs sont constitués de pierres jointes grâce à un mortier épais fait de terre et de boue. Les différents plafonds sont soutenus par des poutres en bois démesurément longues dont l’extrémité dépasse largement les murs de pierre.

Le sol des pièces est le plus généralement constitué de terre battue cimentée. Chaque maison mêle avec grâce l’usage du bois et celui de la pierre ardoise notamment.

Les Kalash vivent dans des villages très petits situés sur les versants des vallées et accessibles par des routes très difficilement “ carrossables ”.

Avec un groupe de plusieurs français, je me suis rendu dans cette région au mois d’août dernier.

La vision que nous a communiqué le paysage a été une vision enchanteresse à laquelle nous ne nous attendions pas.

Les noyers, les abricotiers, entourent des habitations qui nous font penser, de loin, par leur aspect, à des “ villages lacustres ”.

En fait, les habitations rendent l’image d’un bois pauvre et poussiéreux. Il n’y a guère plus de 400 Kalash vivant dans la vallée de Beerer à proximité des Musulmans.

En effet, nombre de maisons Kalash jouxtent celles de Musulmans qui sont venus bien souvent il y a plusieurs décennies s’installer par la force. Ceci crée un “ melting pot ” de deux cultures différentes qui coexistent.

A cinq heures du matin, l’appel du minaret – très intense – rythme la vie des Musulmans.

Les deux ethnies connaissent une vie où les mêmes problèmes les concernent. Ainsi, les travaux des champs touchent aussi bien les Musulmans que les Kalash.

Les champs de maïs abondent et on y voit nombre de femmes Kalash s’affairer auprès des tiges de haricots plantées à même les tiges des plants de maïs Les vallées de Kalash contiennent de rares hôtels-restaurants dont l’extrême dénuement n’a d’égal que l’extrême modicité de leur prix de location.

Les habitants accueillent depuis quelques années les étrangers sur paiement d’une autorisation spéciale (cinquante roupies) auprès du poste d’entrée de la vallée.

Les Kalash ne vivent pas du tourisme, ni d’un quelconque commerce. Ils exercent des activités agricoles, telles que la culture du maïs (récolte durant la première quinzaine de septembre), des haricots, du haschich dont ils sont consommateurs (comme beaucoup de Musulmans d'ailleurs). Ils pratiquent également la culture du raisin pour leur propre subsistance.

Ce raisin donne notamment un vin lourd et fort, que les Kalash vendent également aux éventuels touristes qui se présentent dans leurs vallées. On observe surtout les femmes effectuant les travaux des champs et travaillant notamment sur les champs de maïs.

Les Kalash ignorent la culture en terrasses et ont créé des canaux d’irrigation le long des flancs de la montagne. Comment vivent hommes et femmes Kalash ensemble ?.

La coutume applicable à la femme en tant que mère est très spéciale. Les femmes doivent se retirer à l’abri du regard des hommes pendant la période de leurs règles et durant les accouchements, dans une habitation sommaire où elles restent à l’écart de ceux-ci. Durant cette période des règles ou de l’accouchement, la femme est considérée comme impure.

Les Kalash doivent lui apporter à manger sur les lieux mêmes de sa convalescence.

Les femmes Kalash ont en moyenne six enfants.

La mortalité infantile est très développée. Un enfant sur cinq meurt avant l’âge de dix ans ! Au sein de cet univers familial où hommes et femmes occupent des tâches bien définies, la tradition païenne possède une place fondamentale.

La société des Kalash est basée sur des rites ancestraux qui reposent, en effet, sur l’adoration des Dieux de la Nature. L’une de ces croyances est reprise notamment au-dessus du 3ème village Rumbur où un temple est dédié au Dieu Malendeo (quatre statuettes en bois représentent les chevaux sur lesquels sont censés se déplacer les Dieux “ Kalash ”). L’eau fait également partie essentielle de l’univers Kalash.

Auprès de chaque village coule un torrent impétueux à partir duquel les Kalash peuvent procéder à l’irrigation de leurs champs.

Les Kalash obéissent à des rites également quant à la danse. Les danses constituent un passage essentiel de la vie des Kalash.

Enfants, adultes – chacun y participe. Les femmes Kalash vivent bien enveloppées sous d’amples vêtements de tissu noir et revêtues de boucles d’oreilles particulièrement riches. Elles sont revêtues de la Kupa – large coiffe de laine tissée décorée de rangées de cauris – quatorze généralement – de boutons, de perles et de grelots.

Aujourd’hui, quelle est l’attitude des Kalash vis-à-vis des étrangers ?

Cette attitude est conciliante : ils accueillent l’étranger aimablement.

Malheureusement, si à la suite des conversions, nombre de Kalash avaient dû s’expatrier vers l’enclave politique de Chitral, aujourd’hui les arrivées des Musulmans se poursuivent, Musulmans qui par la spéculation accaparent nombre de terres Kalash.

Dans la première moitié de ce siècle, les terres inaccessibles de l’Indu-Kush furent absorbées par des entités politiques plus larges de grandes nations englobant les principautés ou petits royaumes dont dépendaient ces vallées reculées et laissées à elles-mêmes. Le Pakistan et l’Afghanistan ont organisé en provinces ces régions frontalières et les administrent effectivement. Le monde moderne irradie jusque dans ces montagnes. Les solutions du progrès ne manqueront pas bientôt de supplanter les réponses naturellement harmonieuses faites par ces tribus maquisardes aux problèmes de leur environnement. Le schéma est sans surprise.

Comme pour tant d’autres peuples au vécu archaïque préservé d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique Latine brusquement mis au contact de la société industrielle et étouffés par un modèle d'existence désormais universellement obligatoire plaqué sur toutes les différences, les Kalash connaissent un destin qu’ils ne maîtrisent plus.

Ainsi finissent de vivre les Kalash, leur identité traquée par un désenclavement économique et culturel qui mène irrémédiablement sur les chemins de l’Islam.

Dans une société pakistanaise morcelée où les Musulmans sont majoritaires, les Kalash apparaissent comme les derniers Païens. Mode de vie coutumier et respect des traditions font bien sûr l’originalité de ce peuple en sus des problèmes dus à sa spécificité. Celui-ci connaît également un isolement géographique qui ne le rend que plus mystérieux et plus attachant pour nous citoyens occidentaux.

Ce caractère sauvage des derniers habitants de l’Indu-Kush rejoint la description poétique de Sir Winston Churchill qui décrivait la région de Chitral comme “ la terre naturelle à l’état sauvage ”.

Quant à travers un paysage se reflète l’âme de tout un peuple !

Lionel Cudennec, le 15/09/1991
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