Regard de l'intérieur


 


L'Inde au quotidien


 
Pauline Hirschauer-Choudhury

La police indienne et le maintien de l'ordre

La police en Inde est un paradoxe vivant, forte, puissante et respectée, on s’en moque aussi et on la manipule au gré des événements en raison de ses faiblesses. D’une région à l'autre, que le terrain soit rural ou urbain la police doit faire face à des défis différents : maintien de l’ordre public, dacoitisme, terrorisme, milices privées, sécurité du citoyen etc. La police se méfie aussi d’elle-même, de la corruption qui handicape son efficacité.

Avec son milliard d’habitants l’Inde reste pourtant à 80 % rurale avec toutes ses richesses géographiques comme la chaîne de l’Himalaya, la plaine gangétique septentrionale, le plateau du Deccan, le désert du Thar, les ghâts orientaux et occidentaux, ses forêts luxuriantes ou ses trois mers protectrices. Tous ces recoins de reliefs particuliers sont les refuges de prédilection de ces dacoits, bandits de grand chemin qui rançonnent les campagnes et les villages indiens.
Révoltés par tradition ou par nécessité, ces bandits, qui circulent toujours en troupe, font courir la police indienne. Ces traques coutumières en Inde surpassent parfois le sensationnel, la police qui les poursuit pour meurtre, pillage ou braconnage, déploie des moyens élaborés pour débusquer ce gibier. Il s’agit vraiment d’une chasse à l’homme qui demande des techniques adaptées à chaque terrain. Les hors-la-loi sillonnent la jungle et la brousse qu'ils connaissent comme leur poche en s’appuyant sur les villageois le plus souvent par la terreur. A l’heure actuelle, le bandit Veerappan est poursuivi par une troupe de six cent cinquante policiers spécialement mise en place pour l’attraper au Karnataka, au Tamil Nadu et en Andhra Pradesh (Etats du sud de l'Inde). Il aurait tué cent trente huit personnes dont trente et un policiers et, à la source d’un trafic d’ivoire gigantesque il aurait braconné plus de deux mille éléphants. En général ces bandits choisissent des forêts qui s’étendent sur plusieurs états ce qui leur permet de fuir d’un état à l’autre sauf si les polices des différents états organisent une chasse commune comme pour Veerapan.
Ainsi Bandit Queen ou Phoolan Devi, cette femme bandit qui après avoir fait plusieurs années de prison est devenue un membre du parlement, régnait sur un territoire appelé la forêt de Chambal qui s’étendait sur le Madya Pradesh et l’Uttar Pradhesh (Etats du nord et du centre de l’Inde), elle fuyait tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.
Dans les métropoles aussi la mafia maîtresse du jeu sévit et les policiers n’osent pas s’aventurer dans les quartiers contrôlés par les gangsters. Mis à part les écueils du terrain la police s'accommode autant que possible d’autres caractéristiques propres à la société indienne.

Pour maintenir l’ordre, la police doit pouvoir se détacher de l’événement mais le devoir professionnel est souvent influencé par les facteurs socio-culturels et religieux qui sont des paramètres d’identité incontournables en Inde. Pendant des émeutes, fréquents soulèvements entre deux communautés religieuses, la police charge les émeutiers à coups de lathi, mais un policier hindou ne peut pas contre-attaquer froidement un de ses frères hindous émeutier, idem pour les musulmans ou les sikhs. A la suite de la démolition de la mosquée de Babri le 6 décembre 1992 par les hindous, des émeutes se sont répandues dans toute l'Union Indienne faisant du 6 décembre un jour de fête pour les hindous et un jour noir pour les musulmans. Quant à la police, elle s’inquiète tous les ans à la même date de ne pouvoir faire face à des débordements de violence entre les deux communautés.
De même que la religion est un facteur d’identité, l’appartenance à un groupe social en l’occurrence la caste l’est aussi. Dans l’état du Bihar, un des plus pauvres en Inde, les gens s'entre-tuent pour une question de caste. Les hautes et basses castes ont chacune leur milice privée qu’elles rémunèrent mensuellement pour les protéger et attaquer les innocents impuissants de la caste opposée, la police étant incapable de remplir sa fonction puisqu’elle est totalement impliquée dans les enjeux locaux par des trafics d’influence et d’argent à un point tel qu’elle n’ose même pas intervenir quand des massacres sont perpétrés. Ailleurs la police se heurte à des menaces plus dangereuses pour la sécurité du pays et des citoyens.

 

Dans d’autres régions comme au Cachemire ou en Assam la police doit faire face aux terroristes poussés par le fondamentalisme religieux ou par une volonté indépendantiste. Les terroristes sont bien équipés et reçoivent des armes des pays voisins ou des groupes terroristes internationaux. Plusieurs méthodes ont été appliquées par la police indienne pour éradiquer ces maux, ainsi il y a quelques années l’ancien chef de police du Penjab Mr. K.P.S. Gill a lancé pour consigne radicale de tuer les terroristes à bout portant, ne pas les laisser vivre même en prison car leurs compagnons font toujours tout pour les libérer. Sa méthode controversée a pu toutefois résorber le terrorisme au Penjab. En décembre 1999, des terroristes islamistes ont pris en otage un avion de Air India et obtenu par ce biais la libération de plusieurs de leurs leaders. Armés jusqu’aux dents ces terroristes tuent de nombreux civils avant d’être abattus ou arrêtés par la police secondée par l’armée. Si la police a beaucoup de difficultés à faire régner l’ordre dans des régions instables et périphériques, en revanche la police de Delhi essaye de prouver que la capitale est bien contrôlée.

 

En effet la police est partout à Delhi, elle est puissante pour les habitants ordinaires qui n’ont pas de contacts politiques, en fait elle est ambiguë. En temps que capitale, l’ordre doit régner, on voit des gypsies (quatre-quatre ouverts à l’arrière utilisés par la police de Delhi) partout même en pleine nuit. En cas d’urgence et de problème il suffit d’appeler le numéro 100 pour que la patrouille la plus proche vienne à vous à n’importe quelle heure. Ils résolvent les litiges, contrôlent les véhicules, règlent la circulation. La police doit faire face à une infinité de problèmes, de délits et de crimes : prostitution des adultes ou des enfants, exploitation infantile, meurtres, drogues, viols, infanticides, maltraitements des domestiques, etc.
Les crimes contre les femmes augmentent avec le développement de l’éducation, les femmes étant plus présentes dans les administrations. En travaillant hors de la maison elles deviennent une source de revenus mais à l’extérieur elles sont plus menacées et font l’objet de harcèlements, de viols, de mauvais traitements, l’inegalité des sexes est flagrante. Les crimes de dots sont aussi fréquents, la prison des femmes de Delhi est pleine de détenues par exemple qui ont assassiné leur belle-fille par pure convoitise pour qu’elle augmente sa dot.

 

La vie dans les prisons indiennes est extrêmement difficile, si vous écopez de dix ans, certains disent qu’il vaut mieux se suicider. Les conditions de détention sont inhumaines, l’eau y est sale et rare, les docteurs ne sont jamais présents au bon moment et les prisons sont surchargées. La prison Tihar de Delhi contient neuf mille prisonniers pour une capacité théorique de deux mille cinq cent personnes. Les détenus qui attendent d’être jugés, dont la faute n'a donc pas encore été prouvée, languissent en prison avec des criminels endurcis et ce pendant parfois plusieurs années jusqu’au moment où la justice veut bien se rappeler leur procès à moins qu’ils ne soient suffisamment puissants financièrement pour pouvoir faire passer une pétition et se faire entendre dans des délais raisonnables. Rappelons que 90 % des cas des détenus dans toute l’Inde sont en cours de jugement. Il y a une telle promiscuité dans l’enceinte des prisons que les prisonniers reproduisent le même schéma que dans la société civile mais en plus sauvage et violent avec des phénomènes de gangstérisme, de communalisme où les petits criminels s’endurcissent au contact des plus gros s’ils veulent survivre, d’où une contamination éclair du crime. Les gangsters recrutent leurs hommes ouvertement dans les prisons parfois avec la connivence de la police et de l’administration pénitentiaire dont les bénéfices mutuels sont apportés par la corruption. De temps en temps des émeutes éclatent dans les prisons entre différentes factions ou entre les prisonniers et le personnel de la prison qui les maltraitent trop.

La gangrène de la police est la même que celle qui ronge tous les corps de l’administration indienne, il s’agit de la corruption. Les policiers gagnent des salaires dérisoires qui les obligent à user de méthodes peu conventionnelles, les backshishs ou pots-de-vin, sans lesquels ils ne peuvent nourrir leur famille décemment. La police de Delhi elle même s’est lancée dans l’assainissement de son propre corps devant des plaintes accumulées au sujet des policiers de la circulation qui prélèvent des pots-de-vin dans des lieux stratégiques comme les gares routières. Quand on brûle un feu de croisement, si le policier est intransigeant et respectueux de la loi, il se peut que l'on ne puisse pas payer l’amende sur place, le policier confisque un des papiers importants du véhicule et il faut aller le retirer devant un magistrat en payant l’amende. Cette nouvelle loi est supposée réduire la corruption. Tout citoyen peut appeler un certain numéro de téléphone s’il pense que le policier agit d’une manière vénale. D’ailleurs les plaintes abondent contre la police de Delhi, tortures, pratiques corruptrices, mauvais traitements à l’égard des femmes, participation à des rackets... Ironiquement on rencontre partout le slogan de la police de Delhi, "avec vous , pour vous toujours"...! Un policier est la dernière personne en qui vous pouvez avoir confiance, les statistiques montrent que plus le citoyen est loin d’un policier mieux il se porte ! Les policiers utilisent la méthode peu orthodoxe de la torture pour recueillir des information mais ils nient en bloc les nombreux cas de décès sous garde à vue.

Ainsi il semble qu’il n’y ait pas assez de complicité entre la police et le public. Si la police à Delhi est bien visible, elle n’est pas pour autant respectée. Elle doit gagner la confiance des citoyens pour qu’ils viennent à elle et la supportent davantage mais elle doit d’abord s’auto-épurer ou se faire assainir par une brigade anti-corruption. Elle a en outre besoin de plus de moyens et d’équipements pour être plus performante, le système d’empreintes digitales a été inauguré en février deux mille, ainsi pour avoir son permis de conduire, il faut donner son empreinte digitale ce qui permet d’enregistrer une partie de la population dans les dossiers de la police.

 

Glossaire

Bandit Queen : c’est le nom cinématographique donné à Phoolan Devi durant la période où en Inde le principal sujet portait sur les bandits. Elle fut dans les années 80 le chef d’une troupe de bandits qui rendait la justice aux plus pauvres. Elle-même originaire d’une basse caste, elle a tué de nombreux propriétaires terriens. Après de nombreuses années en prison, elle s’est fait élire membre du parlement. Elle se fait plus discrète maintenant.

Dacoit : bandit de grand chemin qui circule en bande armée.

Ghât : marches qui descendent jusqu’au bord d’une rivière ou de la mer.

Gypsie : voiture particulière utilisée par la police ouverte à l’arrière.

Pauline Hirschauer-Choudhury, le 08/10/00

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