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Regard de l'intérieur


 



L'Inde au quotidien


 
Pauline Hirschauer-Choudhury


L'Assam, une beauté tragique

Qu'est-ce-que l'Assam? Où est l'Assam? Les indiens eux-mêmes s'imaginent que l'Assam et ses marges (les 7 sœurs ou les 7 états) n'appartiennent pas à la carte de l'Inde, cette ignorance illustre les relations distantes qu'entretiennent cette région et le centre. La géographie du sous-continent ne facilite pas non plus la compréhension visuelle avec le mince bras de terre qui lie le Nord-Est au reste de l'Inde juste au dessus du Bangladesh depuis la partition de 1947. Les étrangers, pour la plupart, arrêtent l'Inde au Bangladesh, amputant l'Inde d'une de ses régions incroyablement typique et riche. Le contexte naturel avec ses éléments géographiques déchaînés et la distance sont certainement parmi les causes qui ont donné aux habitants locaux le sentiment d'être négligé par le reste de l'Inde et surtout par le gouvernement indien au centre.

Cette terre porte ainsi les graines du sécessionisme qui font de la région du Nord-Est un des endroits de l'Inde le plus instable politiquement. Ceux qui connaissent un peu plus la région assamaise appelée lors de l'Inde britannique « la cendrillon des provinces " la voient comme une terre de hautes collines luxuriantes creusées de ravins et de rivières et habitées par une faune sauvage qui hante l'imaginaire des aventuriers et le quotidien de la population. L'Assam, un tiers de la superficie du Nord-Est indien, est prodigue et exploite ses richesses naturelles que nous pouvons retrouver aisément dans nos tasses à thé, à travers nos voitures grâce au pétrole, sur nos tables avec le riz qui est la nourriture de base du nord-est, c'est aussi la jute, le charbon, le bambou, le coton ou la soie etc. Très riche voire même trop riche, la fertilité de cette région est régulièrement déstabilisée par la couleur terrible qu'elle arbore lorsque la nature se prend à déchaîner son trop-plein d'énergie en composant son requiem de tempêtes, d'inondations pendant la mousson et de tremblements de terre. Pendant que l'homme exploite au maximum les richesses naturelles, la nature l'oblige à demeurer vigilant par ses mouvements incontrôlables.

Etymologiquement, Assam prend ses racines dans le mot sanskrit « Assom » qui signifie à la fois « sans comparaison » et « sans prix ». Cela illustrerait la force invincible et « sans comparaison » du peuple mongol des Ahoms qui a conquis la région de l'Assam (correspondant alors au nord-est entier) au XIIIe siècle en traversant la chaîne montagneuse des Patkoi qui est la frontière naturelle entre l'Inde et la Birmanie, ou la beauté « sans prix » en raison de la grandeur scénique du paysage qu'offre l'Assam.

Un réseau intérieur de rivières et de fleuves irriguent en abondance la terre assamaise. L'impressionnant Brahmapoutre, un des bras puissants du Gange, prend le nom coloré de « fleuve rouge » ou « Lohitya " en sanskrit car ses eaux rougissent durant la saison des pluies lorsque le fleuve érode la terre rouge de ses berges notamment à Guwahati, la capitale de l'Assam, où le Brahamapoutre roule ses flots dans son lit vraiment très large.

La Barak, rivière qui coule dans l'Assam inférieur et qui traverse Silchar , serpente dans la plaine, tandis que sur son étendue liquide flottent des assemblages de perches de bambou liées les uns aux autres et formant ainsi une longues procession aux extrémités desquelles des hommes poussent à l'aide de grande bâtons de bambou sur le tapis de la rivière, pour faire avancer le chargement qui est ainsi livré ainsi d'un endroit à l'autre. Le spectacle est admirable car le chargement de plusieurs dizaines de long pourtant si peu pratique arrive à bon port dans les meilleures conditions après avoir parcouru parfois une centaine de kilomètres. Les eaux sont très poissonneuses, le poisson est d'ailleurs le met favori des bengalis qui se concentrent principalement au Bangladesh et sur ses marges indiennes. Roses et orchidées sauvages, rhododendrons et azalées composent principalement la flore sur les flanc escarpés et dans les plaines couvertes de rizières , surtout au printemps de mars à avril.

Si l'homme apprécie la promenade dans cette nature au charme impressionnant, il doit se méfier de ses autres habitants encore plus familiers qui sont les animaux sauvages. Les uniques rhinocéros à une corne se protègent dans les réserves naturelles, les tigres et les léopards descendent parfois des montagnes pour se nourrir de chaire humaine. Quand nous nous sommes retrouvés à quatre du matin sur un bord de route propice aux accidents entre Shillong et Guwahati, dans la jungle assamaise sombre, alors que notre bus s'était renversé, nous n'étions pas très fiers, en raison du récent traumatisme et aussi des menaces potentiels de la faune. Quelques jours avant nous étions en visite chez un propriétaire de Tea Garden dans les collines à thé du Lower Assam, nous avions l'intention de rentrer mais l'heure tardive (la nuit venait juste de tomber, aux alentours de six heures du soir) nous a fait changer nos plans pour des raisons bien précises, la route que nous devions emprunter est aussi fréquentée particulièrement la nuit, par des troupeaux d'éléphants sauvages, et la patte d'un éléphant fait aisément le poids contre une carcasse métallique de voiture! Nous avons donc opté pour la sagesse.

L'Assam fait parler dans le monde entier de son thé, elle produit soixante pour cent du thé indien. Le thé a été introduit officiellement en 1815, des arbustes à thé sauvages ayant été découverts dans les bois des collines assamaises. Les tribus locales vivant sur les flancs abruptes de l'Assam avaient alors déjà l'habitude de boire ces breuvages. Il semble que les plantes à thé d'Assam seraient une continuation de celles qui poussent sur les terres chinoises voisines de l'Inde à cet endroit. Un commandant britannique expérimenta de son côté les feuilles à thé et commença alors la première industrie de transformation du thé en Assam. En 1838, la première cargaison de thé était envoyée en Grande-Bretagne tandis qu'en 1839 les premières compagnies de thé étaient formées et dont le siège résidait en Angleterre. C'est ainsi que débuta l'incroyable industrie du thé. A l'heure actuelle les propriétaires de plantations de thé sont les plus riches personnes de la région, ils sont aussi les plus menacés par les bandits et les terroristes qui les rançonnent en premier.

En se promenant dans la petite ville de Silchar et surtout aux alentours, ce qui frappe d'abord est l'abondance des maisons construites en bambou. Le bambou est un matériel très résistant, utilisé partout, pour les charpentes des maison, les palissades des jardins, tout un artisanat tourne autour du bambou avec de menus objets courants. A trente kilomètres de Silchar nous avons visité la plus grande usine de papier d'Asie, des camions dont les chargements de bambou font deux fois le camion en lui-même nous dépassent sur la route, les énormes chargements plient et oscillent avec le poids et la vitesse. Les bouquets de bambou qui touchent le ciel de leurs trois mètres de hauteur, poussent partout, et le bambou étant peu chère, entre cinq à dix roupies (1 franc=6 roupies) pour une très longues perche, son industrie est très active dans la région. Dans les rizières, les paysans se protègent la tête avec des chapeaux larges et pointus faits aussi de bambou.

L'Assam nage simplement dans le pétrole alors que seule une minuscule portion de ses réserves est exploitée par des compagnies comme l'Assam Oil Compagny, l'India Oil Compagny ou par des compagnies étrangères comme Elf (l'ancienne compagnie ELF Aquitaine) dont nous avons débusqué les inscriptions peintes en bleu, blanc et rouge à différents endroits. D'ailleurs l'Assam extrait la majeure partie du pétrole du sous-continent même si ses nappes souterraines sont sous-exploitées au point que fréquemment le gaz qui émane du pétrole est brûlé 24 heures sur 24 à différents endroits d'Assam car la pression est trop forte. Le manque d'équipement et les litiges frontaliers avec le Bangladesh qui revendique comme l'Inde le pétrole frontalier sont les principales explications de ce gaspillage.

Autre richesse naturelle qui ne sort pas des livres mais que nous avons observée de visu : le charbon. Durant les douze heures de voyage en bus qui séparent Guwahati de Silchar, entre les trous de sommeil, les pousses de bambou qui touchent le ciel, les forêts de manguiers et les collines puissantes et sillonnées de vallées étroites, la route large et bien entretenue est très souvent fréquentée par des terrains noirs d'où le charbon est extirpé et entassé. Nous comprendrons donc pourquoi l'administration centrale refuse de céder entre autre aux volontés indépendantistes des groupes politiques et terroristes. Le jute, la soie, le coton, le pétrole, le charbon, le bambou, la canne, le riz ou le thé font de l'Assam une région au potentiel économique exceptionnel.

Mais si l'Assam est connue pour sa grande beauté et ses richesses naturelles, elle l'est aussi pour ses calamités naturelles qui rappellent à l'homme que la nature donne et prend aussi. L'Assam et le Nord-Est se trouvent dans le piémont himalayen où les risques sismiques sont extrêmement élevés. Plus de cinq cent secousses ont paniqué les habitants depuis 1980. L'Assam s'attend d'un jour à l'autre, entre les crises d'anxiété et une routine paisible, à un tremblement de terre d'une ampleur tragique, plus important que celui du Gujarat du 26 janvier 2001, voire de celui qui a secoué l'Assam le 15 Août 1950. Le grand-père d'un voisin qui avait quinze ans lors du dernier séisme de 1950 nous raconte : « À la suite de ce tremblement de terre de 1950, la topographie de la région s'est même modifiée, les rivières ont changé leurs cours et sont devenues incontrôlables. Les glissements de terrain obstruaient les rivières avec des arbres déracinés, des quantité énormes de boue et d'autres débris. Lorsque la neige des glaciers se mit à fondre sous le soleil d'Août, des millions de tonnes d'eau se sont déversées sans direction sur les plaines en contrebas en dévastant tout sur leur passage. Le lit des rivières ayant été rehaussé, les inondations ont pris la relève du séisme. Les survivants étaient bloqués sur des bans de sables boueux avec des torrents d'eau se déchaînant comme des serpents autour d'eux. Ni les canoës de rivière, ni les bateaux à vapeur ne pouvaient franchir les flots turbulents et menaçants, finalement la plupart des rescapés ont pu être rapatriés par air. Le tremblement de terre de 1950 a décimé la faune animale sauvage et domestique et la population. » Les propos de notre témoin nous présente des images réalistes.

Chaque année lors des pluies diluviennes de la mousson, les rivières et les fleuves débordent apportant leurs lots de misères avec les sans-abri, le blocage des communications, la paralysie de l'économie et le chaos général dont les terroristes et les bandits toujours opportunistes savent si bien profiter, en faisant, par exemple, sauter la voie ferrée ou en pillant.

L'Assam est une région tout simplement magnifique et sauvage mais les risques y sont aussi innombrables, naturels comme humains, ce qui limite l'exploration de cette région et nous laisse sur notre faim.

Pauline Hirschauer-Choudhury, le 12/05/01
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