Regard de l'intérieur



L'Inde au quotidien


 
Pauline Hirschauer-Choudhury

Pollution : l'eau, l'air et la poussière

L e climat, le relief, la pluie , le beau temps, tout simplement l'environnement sont les éléments familiers qui nous entourent, un vent ensoleillé n'aura pas le même impact qu'une pluie maussade. Outre les facteurs naturels, les activités humaines perturbent et agressent la nature en la polluant et la déréglant. Le climat de Delhi est une énigme dont le mystère s'intensifient d'une année à l'autre avec une pollution enragée qui place la capitale parmi les cinq premières villes polluées du monde. Les réserves d'eau en Inde diminuent avec une population en hausse vertigineuse, la mousson n'est pas toujours abondante. Il arrive même qu'elle ne vienne pas d'où les terribles sécheresses qui s'ensuivent. La lutte contre la pollution par le bruit fait l'objet de prescriptions écrites mais sa finalité n'a pas encore atteint les limbes spirituels de tous les citoyens indiens qui ne sont pas conscients de leur droit naturel à la tranquillité.

Construite, détruite puis rebâtie sept fois par des dynasties au sang victorieux, la capitale indienne défend habilement sa situation géostratégique imprenable à la croisée du Rajasthan, du désert du Thâr, de la barrière himalayenne et de la plaine indo-gangétique. La Yamuna, fleuve courant depuis des millénaires sur le territoire de Delhi et qui rejoint le Gange à Allahabad, coupe Delhi en deux en étalant sans pudeur ses larges berges sablonneuses et boueuses. Le Ridge couvre une grosse partie de la métropole du nord au sud avec son duvet vert et aussi hétéroclite que ce qui bouge sur une route indienne, des broussailles épineuses et des buissons tourmentés par l'influence du désert côtoient des plantations exotiques puis naturalisées comme les acacias ou les neems plantés par milliers à la fin du XIXe siècle par les anglais.
Cette colline forestière est une extension de la chaînes des Aravallis, une des plus vieilles montagnes en Inde, c'est un rempart contre la montée du mercure - conséquence directe de la pollution - et une barrière naturelle contre la poussière envahissante et la désertification du Rajasthan. Outre la Yamuna et le Ridge, Delhi s'étend sur de grandes plaines monotones et rendues plus fertiles par les débordements hoquetants d'un fleuve plutôt malingre. Tout comme les activités humaines sans contrôle, la disposition de la capitale induit un type de climat qui aggrave directement la pollution.

Le climat semi-aride de Delhi apporte régulièrement des tempêtes de poussière avant la mousson tandis que les vents d'ouest transportent des particules du désert saturant l'atmosphère de Delhi. Les bourrasques imprévisibles sont soit sèches et âcres , soit accompagnées de pluies impressionnantes par leur violence voire des orages de grêle.

Tout est calme en cette belle journée de mars à Connaught Place, le centre d'affaire et de tourisme de la ville, et pourtant en l'espace d'un quart d'heure le ciel va se charger étrangement et transformer une journée ensoleillée en crépuscule lugubre et précoce. Il faut absolument se ruer au triple galop sous l'abri en dur le plus proche pour se protéger de la violence de grêlons plus gros qu'une noix et chargés de glace. Scooters, vélos, motos, rickshaws, humains et animaux se pressent tout craintifs les uns contre les autres sous l'heureux espace offert entre deux gouttières, sous un abri défoncé de bus, dans un passage souterrain, ce qui va faire le bonheur des pickpockets, toujours prêts à alléger ces moutons détrempés et seulement préoccupés d'éviter de recevoir un grêlon énorme et insolent sur l'aile du nez. Puis, tout aussi soudainement, le soleil pointe et le ciel se dégage en laissant les peintures des maisons meurtries et un asphalte bien lavé. Les pluies de Delhi sont aussi violentes que rares, une vingtaine d'averses tombent sur la ville durant l'année, parenthèses aussi mouillées qu'éphémères. A Delhi, la mousson a perdu son identité, les trombes d'eau ne sont plus qu'illusion, il pleut durant quelques matinées à son arrivée en juin-juillet et à son retrait en septembre, rien à voir avec les trombes torrentielles quotidiennes d'antan. Les larges gouttes froides et implacables de la mousson rafraîchissent certes les toits en terrasse de la ville mais elles s'écrasent aussi indiscrètement avec leur lot de poussières... Vêtements et fenêtres se trouvent alors benoîtement maculés de granulés boueux alors qu'ils s'attendaient à une catharsis de propreté après des jours interminables de chaleur harassante.

Le ciel est en général dégagé, parfois couvert mais la ligne d'horizon ressemble à un bain de vapeur laiteux. Lorsque la lumière crue de la journée se mêle à la pollution ambiante pour former un air trouble et fatiguant, il fait bon se délasser dans la pénombre fraîche d'une chambre. Delhi est un anachronisme comme si le taux trop élevé de pollution déréglait son horloge interne, trop chaud (jusqu'à 48 degrés), trop froid (moins de 5 degrés) avec des fenêtres qui ne ferment pas, des résistances thermiques « d'avant-guerre » pour chauffer les baquets d'eau glacée qui permettront de prendre la douche hebdomadaire…et des superpositions incongrues de hardes tellement désuètes qu'elle nous font ressembler à des canards endimanchés. Mais le « grand froid » à Delhi ne dure que un à deux mois alors que la vague des chaleur s'étend sur 6 à 7 mois dans l'année. Au final la marque omniprésente tout au long de l'année demeure celle de la pollution.

La pollution de Delhi est en grande partie la résultante du nombre de véhicules qui augmente à grande vitesse sur le marché indien, de 51% entre 1961 et 1991. Les deux-tiers sont des deux-roues impudents qui crachent dans un bruit infernal une épaisse fumée noire en raison d'une maintenance limitée, les 80.000 autorickshaws de Delhi peignent sans vergogne l'air de Delhi en noir. Théoriquement il y a des amendes pour ceux qui ne passent pas le contrôle technique ou qui n'ont pas de vignettes antipollution renouvelables tous les trois mois mais s'il fallait retirer de la circulation tous les véhicules pollueurs, le gouvernement prendrait le risque de mécontenter une grande partie de la population avec les ombres menaçantes du chômage, de la grève et des violences sociales. Si un jour où vous vous sentez brave, vous embarquez dans un de ces monstres de ferraille appelé bus, il suffit d'une heure de circulation pour vous dessiner de merveilleuses auréoles blanches au niveau des yeux pour la bonne raison que vos lunettes de soleil protègent à peu près vos yeux de la pollution pendant que le reste de votre visage en reçoit de plein fouet les embruns. La pollution noirâtre sur la couleur locale n'est pas aussi frappante que le noir sur blanc, couleur exotique du touriste. Pour voyager dans une voiture rutilante, elle doit être lavée chaque matin à grande eau, mais le soir même vous pouvez y dessiner des paysages dans la pellicule de poussière. Et si par chance vous circulez dans une voiture à air-conditionné aux vitres fumées, ne faites surtout pas l'erreur d'entrouvrir la fenêtre pour vous imprégner en directe de l'ambiance fraîche car au lieu de l'air bucolique ou notre oxygène vital, vous allez renifler une masala abominable de poussière, de chaleur et de pot d'échappement marinant ensemble dans une véritable infection. Les maladies respiratoires et cardio-vasculaires atteignent des taux incroyablement élevés, les asthmatiques n'ont rien à faire à Delhi, tous les habitants sont des « fumeurs actifs » puisque respirer à Delhi revient à fumer dix à vingt cigarettes par jour en raison d'un air anti-naturel.
Si respirer est problématique, boire l'est tout autant !

 

L'eau

« L'eau potable de Delhi est impropre pour l'irrigation » titre l'Hindustan Times, un important journal de langue anglaise, pourtant même avec une prise de conscience très claire comme celle-là, les habitants reçoivent cette eau tous les jours dans leurs gamelles, la boivent directement puisque les filtres à eau ne sont pas encore suffisamment répandus, et ceux qui existent tombent inévitablement malades. Des tests chimiques ont bien montré que l'eau souterraine de Delhi qui sert à l'approvisionnement quotidien, est en général saumâtre et non potable, même après les premiers traitements de purification. La municipalité doit veiller au bon approvisionnement, au traitement et à la réduction du gaspillage pendant la distribution de l'eau à l'usage des citadins. Au résultat, laissez couler l'eau dans les grands baquets qui permettent le stockage durant les pénuries d'eau - fréquentes pendant les grosses chaleurs - et vous verrez un aimable dépôt de terre et de saleté vous sourire au fond de vos 60 litres !

La Yamuna, quant à elle, reçoit tous les déchets industriels des innombrables usines installées sur ses rives durant toute la traversée de la ville en plus des déchets domestiques. De grosses usines ont installé des machines pour épurer leurs déchets, d'autres ont dû fermer car elles ne répondaient pas aux normes de protection de l'environnement, il n'empêche qu'il reste à Delhi plus de dix mille usines polluantes qui produisent des pesticides ou des produits chimiques.

Beaucoup de rivières et de fleuves en Inde ont perdu de leur fraîcheur romantique lorsque, des berges, on peut admirer des déchets filer, comme ravis, dans le courant. Le fleuve sacré qu'est le Gange est réputé avoir des vertus purificatrices mais tout est maintenant dans le symbole ! Si aux sources du Gange, l'eau est vierge et propice à la nage lorsque les remous le permettent mais plus on descend vers l'embouchure dans la baie du Bengale, plus le fleuve se charge de divers détritus.

A Benarès, les millions de pèlerins hindous font leurs ablutions dans l'eau sacrée alourdie par les restes à moitié calcinés des morts brûlés sur les ghâts funéraires. Les pétales de rose et les offrandes aux dieux hésitent dans les vaguelettes en se heurtant au corps d'une vache à moitié immergée puis rejoignent des déchets domestiques et ce beau monde paraît heureux de voyager ainsi de concert dans le cours puissant du fleuve. Les animaux tout comme les morts de la variole, les nouveau-nés et les femmes enceintes décédés sont directement immergés dans l'eau puisqu'ils sont déjà considérés purs tandis que les gens ordinaires sont incinérés avant qu'une partie de leurs cendres ne soit jetée dans le fleuve.

 

Une autre forme de pollution, le bruit

Le bruit est une nuisance non négligeable, avant de choisir sa résidence en Inde, il est plus sage de localiser les différents endroits de culte pour finir ses nuits tranquillement. Temples, ashrams, mosquées lancent leurs mélopées chacun à heure fixe alternativement et il suffit qu'ils soient bien équipés en haut-parleurs grâce à un donateur généreux pour rendre la vie infernale, trois solutions sont alors possibles, déménager et tomber sur la bonne rue pour la prochaine résidence, se plaindre à la police locale qui avec quelques backshishs sera rapidement neutralisée ou adapter son rythme quotidien à celui du lieu de culte, ce qui revient à se réveiller minimum vers cinq/six heures chaque matin sachant qu'il ne faut pas compter sur les grasses matinées. Sur le papier la loi contrôle l'intensité des décibels mais dans certaines occasions comme la nuit de Diwali, les pétards aussi tonitruants qu'un bombardement d'obus sont une atteinte directe à l'audition, les enfants ne jouent ni plus ni moins qu'aux artificiers.

Dans un pays aussi diversifié et peuplé que l'Inde, les lois sont votées après de tumultueuses controverses, ensuite il faut faire la jonction entre les intentions et le passage de ces lois, qui portent sur la pollution des véhicules, de l'air, de l'eau, dans les gestes de la vie quotidienne. L'action du gouvernement pour améliorer l'environnement ne peut être efficace sans une sensibilisation des habitants laquelle passe par l'éducation. Un enfant ne saura jamais que se baigner dans une rivière sale peut le rendre malade si personne ne le lui explique.

Les mentalités changent cependant, de plus en plus de personnes de la classe moyenne prennent conscience de la préciosité de l'eau et investissent dans un filtre à eau. Les actions pour lutter contre les fléaux de la pollution sont encore trop souvent le fait d'initiatives individuelles et non d'actions de groupes. Il existe bien quelques associations, des ONG ou de rares magazines qui se battent pour la protection de l'environnement mais pour atteindre leurs objectifs la tâche est énorme et localisé. Puisque c'est l'amélioration des conditions de vie qui est recherchée, les moyens (l'éducation, la presse, les exemples concrets) pour y parvenir cheminent tranquillement mais sûrement dans les esprits.

Pauline Hirschauer-Choudhury, le 30/11/00

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